700 années de prison, 119 condamnations, 60 millions confisqués: retour sur le méga-procès Encro

Le méga-procès Encro, qui a écumé pendant plusieurs mois les dessous d’un vaste réseau de narcotrafic entre la Belgique et l’Amérique latine, s’est refermé mardi devant le tribunal correctionnel de Bruxelles. Cet imposant dossier concernait 128 prévenus et s’est soldé par des condamnations, parfois sévères, pour la grande majorité.

Tout commence avec le décryptage par la police des réseaux de communication sécurisés Encrochat en 2020, puis Sky ECC en 2021. Ces messageries se révèlent appréciées des criminels en tout genre, soucieux de rester discrets sur leurs activités. Grâce aux informations récupérées sur le réseau Sky ECC et après des mois d’enquête, la police judiciaire fédérale de Bruxelles est parvenue fin 2021 à démanteler un vaste réseau de trafiquants. Ceux-ci opéraient entre l’Amérique du Sud et l’Europe, avec Anvers notamment comme porte d’entrée. Au total, 124 individus et quatre entreprises entrent dans le viseur des enquêteurs. L’affaire est introduite devant la justice le 30 juin 2023.

Début novembre, un avocat de la défense formule toutefois une demande en récusation à l’encontre du siège. Celle-ci est rejetée et l’examen du fond du dossier débute le 18 décembre 2023 au Justitia, l’ancien siège de l’Otan situé à Haren. Les débats s’étaleront sur près de six mois, jusqu’au 7 mai dernier. Au vu du nombre important d’inculpés, la fin de la délibération est fixée au 2 septembre. Fin août, le parquet fédéral et un avocat de la défense demandent toutefois de rouvrir les débats. Le ministère public sollicite alors l’extinction de l’action publique à l’encontre d’un prévenu, John B., décédé durant la délibération.

De son côté, l’avocat de Karim M. argue que son client a été condamné mi-juin par la cour d’appel de Bruxelles pour des faits jugés également au procès Encro. Or, la loi interdit de condamner une personne deux fois pour des faits identiques. Les juges estimant nécessaire d’examiner plus en détails la position de la défense de Karim M., la lecture du jugement est reportée au 29 octobre. Au total, une douzaine d’infractions ont été retenues. Outre la participation à une organisation criminelle et le trafic de stupéfiants (cocaïne, cannabis), les charges s’étalaient de la séquestration à la tentative d’extorsion au sein même du réseau, du recel et blanchiment au trafic d’arme, en passant par la violation du secret professionnel pour un policier de la zone Bruxelles-Midi. Certains prévenus se trouvaient en détention préventive depuis leur interpellation. D’autres avaient été placés sous surveillance électronique et comparaissaient libres.

 

Des méga-chiffres

Cet ample réseau brassait de nombreuses nationalités : belge, albanaise, kosovare, colombienne, marocaine, algérienne, ukrainienne…

Le tribunal correctionnel de Bruxelles a finalement énoncé mardi 119 condamnations : 115 individus et les quatre entreprises ont été reconnus coupables à des degrés divers. Neuf personnes ont été acquittées. Parmi les trois principaux prévenus, l’Algérien Abdelwahab G. a obtenu la peine de prison la plus lourde, soit 17 ans. Bruxellois de 35 ans, Bilal I. a écopé de 15 années d’emprisonnement. Enfin, l’Albanais Eridan M.G., cerveau repenti et en aveux du réseau, est condamné à passer 14 ans derrière les barreaux. P

ar la sévérité des peines, le tribunal semble relever le fait que ce type d’organisation est de nature à déstabiliser l’État de droit, a commenté le magistrat de presse Denis Goeman. Zohir N., qui avait prêté son nom pour immatriculer des véhicules utiles au trafic de stupéfiants, s’en est sorti avec la peine la plus légère, soit 14 mois de réclusion.

D’autres profils ont émaillé ce procès. Comme cet avocat poursuivi pour être allé menacer Eridan M.G. en prison, ou ces sœurs propriétaires d’une quarantaine de logements et suspectées d’avoir mis des appartements à disposition des trafiquants. Le filet s’est également refermé sur un inspecteur de la zone Bruxelles-Midi, qui transmettait des informations tirées des bases de données de la police. Un quinquagénaire de Lasne s’est vu condamné à sept ans de prison pour avoir transporté de la drogue et sa compagne à quatre ans. Le fils de cette dernière, parti en virée en Maserati avec son beau-père, a été disculpé. Un Colombien qui travaillait dans des laboratoires de cocaïne a écopé de cinq ans de prison avec sursis pour ce qui excède la détention préventive. En entendant sa peine, le quadragénaire a porté la main à son cœur.

Au total, le tribunal correctionnel de Bruxelles a prononcé environ 700 années de prison cumulées et des confiscations avoisinant les 60 millions d’euros, sans compter les cautions qui resteront aux mains de la justice. Il n’était toutefois pas question de juger une masse, mais des personnes, a insisté la présidente du tribunal.

Par son gigantisme, le procès Encro a néanmoins provoqué des remous sur les bancs de la défense tout au long du procès. Lourd de plus de 220.000 pages, le dossier s’est révélé impossible à lire de bout en bout, ont dénoncé plusieurs avocats. Difficile dans ces conditions de décortiquer les conversations qu’untel a pu avoir avec un autre, les faits et gestes de chacun des plus de cent protagonistes. De sorte que certains pénalistes ont dénoncé devant le tribunal le non-respect du droit à un procès équitable dans cette affaire.

Autre preuve de la masse de travail qu’a représenté le procès Encro, “de nombreux acteurs du monde judiciaires ont été monopolisés durant de très longs mois dans le cadre de ce dossier”, a rappelé le service presse du tribunal de première instance francophone de Bruxelles. “Que ce soit bien sûr les magistrats et greffiers mais aussi les employés administratifs, services de sécurité et logistiques ainsi que les interprètes, sans qui la bonne tenue du procès n’aurait pu avoir lieu.” En début d’audience, ces derniers se sont croisés les bras pendant une petite heure pour dénoncer les retards de paiement annoncés le matin même par le SPF Justice.

Affaires particulièrement volumineuses, diversités des langues, un Justitia davantage sécurisé… “Bruxelles se distingue par ses spécificités et par l’ampleur importante de certains des dossiers qu’il a à connaître, avec un impact sur l’ensemble de sa chaîne pénale. Ces éléments sont encore trop peu pris en considération par les autorités compétentes”, a pointé le magistrat de presse Denis Goeman.

À la fin de la lecture (résumée) du jugement de 1.400 pages, le ministère public a requis l’arrestation immédiate de 58 condamnés qui étaient, selon lui, tentés de fuir vers des cieux plus cléments. Parmi ceux-ci, 49 ont rejoint leur cellule mardi soir, plutôt que leur famille. Certains proches présents dans la salle ont laissé échapper des cris de surprise et quelques sanglots.

 

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