L’édito de Fabrice Grosfilley : sous surveillance et influence

Dans son édito de ce vendredi 15 mars, Fabrice Grosfilley est revenu sur les dérives des réseaux sociaux.

Plus on communique, plus on est surveillé. Plus on échange, plus on facilite le travail de ceux qui nous espionnent. Plus on les laisse entrer dans notre téléphone portable, plus on prend le risque de les voir aspirer nos données, mais aussi prendre la main sur ce que ces machines nous montrent du monde. Le danger donc dans les deux sens. Le “flicage” constant de ce que nous faisons : où sommes-nous, avec qui échangeons-nous, mais encore les sites internet que nous fréquentons, les articles ou les vidéos que nous regardons, celles que nous postons, les like, les commentaires, les artistes que nous suivons, les articles que nous commandons en ligne…  En sens inverse, la fabrication de contenus destinés à capter notre attention. Cela peut être la vidéo d’un chaton qui danse le tango et qui en apparence ne prête pas à conséquence. Ce sont, de plus plus en plus souvent aussi, des interventions dans le champ de l’information. Des polémiques sur les réseaux sociaux, des articles qui font le buzz, des vidéos qu’on monte en épingle et qui sont destinées à nous influencer, à créer un climat de crainte, d’hostilité de stupeur, qui sape la crédibilité de l’autorité ou remettent en cause des évidences pour nous amener à douter de tout, quand ce ne sont pas purement et simplement des informations fausses, des montages qui relèvent de la pure propagande.

Ces phénomènes sont pernicieux. On a beau en connaitre l’existence, s’en méfier, tenter de les tenir à distance, ils s’imposent à nous quotidiennement. Parce qu’en 2024, il est quasiment impossible de vivre sans smartphone, tablette ou ordinateur, de ne pas se connecter au monde virtuel pour consommer, s’informer ou se divertir. Alors, on se laisse faire. Tous. On se laisse endormir. On finit par passer beaucoup plus de temps qu’on ne le pensait sur ces machines. On finit par être très exposé à des contenus qui ne sont pas ceux que l’on cherchait initialement. Cela finit par peser sur notre moral, plus que nous le pensons, être pris à partie sur les réseaux sociaux par exemple, c’est une agression, et ce sera ressenti comme telle, qu’elle soit virtuelle ou pas, et  tous ces contenus auxquels nous sommes continuellement exposés définissent notre vision du monde. Si les partisans de Trump sont convaincus que Trump a gagné la dernière élection présidentielle américaine, c’est parce qu’on le leur dit à longueur de journée sur leurs machines.

Il est utile d’avoir ces considérations en tête pour bien comprendre la vente forcée, pour ne pas dire l’interdiction, de TikTok sur le territoire nord-américain. Cette application chinoise très populaire, aspire vos données d’un côté et vous propose des contenus de l’autre. TikTok ne pourra bientôt plus dépendre de sa maison mère si elle veut continuer à toucher le public des Etats-Unis. Elle devra donc changer de propriétaire et le nouveau patron devra montrer patte blanche. Il faut dire que TikTok illustre jusqu’à la caricature ce que l’on peut faire avec les applications. Les données des journalistes ou des hommes politiques qui l’ont téléchargée ont bien été transmises aux autorités chinoises (c’est avéré dans des cas sensibles). Quand on voit le nombre de défis (parfois dangereux) qui sont lancés et relevés sur TikTok, on comprend aisément, que  l’application chinoise exerce déjà une influence sur les populations et que cela peut être un outil d’ingérence. Ce qui est vrai pour  TikTok, l’est aussi pour Facebook, Instagram, X anciennement Twitter, etc.

Depuis deux jours, les échanges sont particulièrement violents entre américains et chinois sur ce dossier. Le PDG de ByteDance (la maison mère de TikTok)  a appelé les jeunes américains à se faire entendre. Un porte-parole de la diplomatie chinoise a qualifié la décision américaine de “méthode de voyous“, un terme qui ne relève pas vraiment du langage diplomatique. Tandis que l’ambassadeur des États-Unis en Chine a souligné l’ironie de la position chinoise, alors que l’internet est hyper-contrôlé en Chine et que TikTok, justement, n’y est pas accessible, en tout cas pas dans la même version que celle proposée au reste du monde. Ce bras de fer numérique touche l’Europe : l’Italie vient d’infliger une amende de 10 millions d’euros à TikTok.

Ce matin, on apprend que les ministres, hauts fonctionnaires et diplomates belges, déjà privés de TikTok ne seront désormais plus autorisés à utiliser non plus WhatsApp, Teams, Messenger ou Télégram. Pour les échanges, ils devront désormais utiliser BSC (Belgian Secure Communication, un système de communication qui sera directement géré par le ministre de la justice). Ça, c’est donc pour nos dirigeants. Pour chacun d’entre nous, nous qui savons que quand c’est gratuit, c’est nous le produit, il nous revient, de ne jamais oublier que dans le virtuel aussi rien n’est innocent, et qu’en conséquence, il vaut toujours être prudent.

Fabrice Grosfilley