L’édito de Fabrice Grosfilley : le malaise agricole
Dans son édito de ce lundi 29 janvier, Fabrice Grosfilley revient sur la grogne des agriculteurs.
C’est un conflit qu’on n’avait pas forcément vu (re)venir. La question agricole est de retour. Plus précisément, le malaise des agriculteurs et les difficultés qu’ils rencontrent. La question pouvait nous sembler lointaine, presque marginale. Il reste aujourd’hui 35.000 exploitations en Belgique, dont 12.000 du côté wallon. Elles emploient bon an mal an 50.000 personnes, auxquelles il faut ajouter les travailleurs saisonniers au moment des récoltes. Leurs conditions de vie sont relativement précaires, et la profession a du mal à séduire les jeunes. Plus de la moitié des agriculteurs ont plus de 55 ans. Et on notera qu’une partie d’entre eux cumulent désormais l’agriculture avec une autre activité, plus rémunératrice, pour joindre les deux bouts. Le constat est connu, et depuis longtemps.
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La question de la rentabilité de ces exploitations s’impose donc à nous, sous forme de blocage autoroutier. Avec le risque d’une gigantesque pagaille, le ring ouest étant ce matin fermé à la circulation. D’autres manifestations sont annoncées tout au long de la semaine, notamment ce jeudi. On peut évidemment s’interroger sur cette flambée du mécontentement, qui part de France et qui se propage tout à coup en Belgique. Avec des revendications qui nous donnent l’impression de partir un peu dans tous les sens : le prix du carburant (en France, il était notamment question de mettre un terme à une exonération de taxe sur le diesel professionnel qui profite aux agriculteurs), les nouvelles normes phytosanitaires plus strictes qui limitent l’utilisation des produits chimiques dans les cultures, la concurrence déloyale des produits importés à bas prix de l’étranger, mais aussi les prix d’achat trop bas pratiqués par la grande distribution ou l’industrie alimentaire.
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Le fait qu’un barrage ait été installé sur la commune de Hal est d’ailleurs symbolique. Hal, c’est le siège social du groupe Colruyt. Plusieurs entrepôts de cette grande marque se trouvent sur la commune, où elle emploie plus de 6.000 personnes. Hal, c’est Colruyt (et inversement), même si Colruyt a aussi un entrepôt à Lessines par exemple. Les agriculteurs reprochent à la grande distribution de leur imposer des prix qui ne correspondent plus aux coûts de production. Le prix des aliments pour bétail augmente, le prix du matériel, des frais vétérinaires, de la main d’œuvre avec l’indexation. Alors que le prix de la viande, du poulet ou des pommes de terre n’augmente pas. Ou, quand il augmente, cela part dans la poche des intermédiaires ou du commerçant. L’agriculteur n’a pourtant d’autre choix que de vendre. S’il ne veut pas vendre, c’est la faillite.
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Ce bras de fer avec la grande distribution, de plus en plus d’agriculteurs tentent de le contourner en instaurant des circuits courts. Vente à la ferme, contrat avec des petits bouchers, paniers de légumes sur abonnement, d’autres transforment eux-mêmes leurs produits, en se lançant dans la fabrication de beurre, de fromages ou de charcuterie. De nombreuses formules sont possibles, mais il faut avoir la lucidité de reconnaitre que ces initiatives restent marginales. Dans une grande ville comme Bruxelles, c’est encore et toujours le prix de vente qui reste le premier critère du consommateur. Acheter ses légumes en supermarché, c’est souvent moins cher que sur le marché, et parfois très nettement moins cher que les autres formules que je viens de décrire.
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La grande distribution n’est pas seule à être dans le collimateur des agriculteurs. Les autorités gouvernementales et l’Union européenne le sont également. Pour des problèmes de taxe sur les carburants, ce sont les États qui sont impliqués. Pour la concurrence internationale, l’importation de viande ou de céréales à des prix inférieurs à ceux qu’on pratique au sein de l’UE ou pour la réglementation qui veut désormais limiter les pesticides (ce qui nuirait à la productivité), c’est la Commission européenne qui sera visée.
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Là, il faut peut-être rappeler un point : la raison d’être de l’agriculture, c’est aussi de fournir des produits qui finiront dans l’assiette du consommateur. Ce consommateur n’a peut-être pas envie qu’on lui vende des produits qui contiennent des pesticides, des hormones, des OGM ou d’autres produits qui détruisent l’environnement et finissent par altérer notre santé une fois ingérés. On ne peut pas s’inquiéter des Pfas dans l’eau, sans voir que la pollution des nappes phréatiques vient aussi de l’agriculture. On ne peut pas dire qu’on est victime du réchauffement climatique et vouloir continuer à consommer du diesel sans limitation. C’est vrai pour les agriculteurs, comme pour beaucoup d’autres dossiers. Les problèmes sont plus complexes qu’un simple face à face entre les gentils vertueux agriculteurs d’un côté et la méchante Commission de l’autre.
Fabrice Grosfilley