L’édito de Fabrice Grosfilley : à Vivaqua aussi, celui qui paye décide

Les dettes de Vivaqua sont-elles de nature à faire couler l’entreprise ? S’il faut de l’argent frais, qui l’apportera et à quelles conditions ? Voici les deux questions que les informations du Standaard ont remis à la une hier. Que Vivaqua soit en difficulté n’est pas une nouveauté. Déjà au mois d’octobre Laurence Bovy avait alerté le monde politique en appelant à prévoir un autre mode de financement, comprenez un subside régulier. L’argumentaire de la patronne de cette intercommunale est le suivant  : la distribution de l’eau est un service public. Ce service public n’est aujourd’hui pas rentable, avec des frais de plus en plus importants pour assurer l’épuration et la qualité de l’eau qui arrivent, mais aussi des investissements colossaux, parce qu’on a pris beaucoup de retard, pour s’occuper de l’eau qui repart, le réseau d’égouts. Si on ne veut pas augmenter exagérément le prix de l’eau, il faut donc que les pouvoirs publics, sous-entendu la Région, apportent leur contribution. Ce raisonnement Laurence Bovy l’a  notamment défendu l’an dernier dans le  studio de Bonjour Bruxelles évoquant un “sous-financement historique”. Et si on remonte plus loin, en 2019, il y a près de 5 ans, elle demandait déjà avec insistance qu’on indexe le prix de l’eau. Demande à laquelle le politique a d’abord fait la sourde oreille, augmenter les tarifs n’est jamais populaire, avant de finalement débloquer le compteur, avec un rattrapage conséquent, en quatre ans les tarifs de Vivaqua vont augmenter de près de 20% (dont 14% l’an dernier).

Et pourtant cela ne suffit pas. Cela ne suffit pas parce que Vivaqua n’a pas été un modèle de bonne gestion. Le passage à un nouveau logiciel de facturation en pleine période Covid a été un fiasco. L’entreprise n’arrivait plus à émettre de factures, les consommateurs sont restés de long mois, parfois près d’un an sans payer. Il a ensuite fallu prévoir des régularisation, bref, un capharnaüm qui est un cas d’école pour les étudiants en école de commerce ou de management sur ce qu’il ne faut pas faire. Pendant cette période ou elle était privée de rentrées, Vivaqua a même dû emprunter pour pouvoir payer les salaires. Mais le mal est en réalité beaucoup beaucoup plus profond. Les difficultés de Vivaqua aujourd’hui viennent moins de la production et de la commercialisation de l’eau potable que de l’épuration des eaux usées. Le malaise remonte à 2014 (et même au-delà) quand on a décidé de fusionner Vivaqua et Hydrobru. Hydrobru, c’était la société en charge de l’égouttage et des eaux usées, qui tentait vaille que vaille de reprendre la main sur une compétence historiquement dévolue aux communes (qui géraient donc chacune leur portion d’égouts). La fusion entre les deux sociétés est devenue effective au 1er janvier 2018. Cela fait donc 6 ans que Vivaqua est en charge des eaux usés. 6 ans que Vivaqua ne s’en sort pas. Les égouts à Bruxelles c’est un réseau de 1900 kilomètres de long. Plus d’un quart de celui-ci, 500 km, doit être rénové, une rénovation jugée même urgente pour 220 kilomètres de galeries. Les sommes nécessaires pour ces travaux se calculent en centaines de millions (il faudrait y consacrer  systématiquement 80 millions par an indiquait le président de Vivaqua à notre micro ce vendredi). On parle d’une addition totale entre 1,5 et 2 milliards, et cet argent Vivaqua ne l’a pas.

Ce qui a mis le feu aux poudres hier, c’est d’ailleurs autant le chiffre sorti par le Standaard, un milliard d’endettement, que cette précision donnée par Laurence Bovy, 14 km d’égouts rénovés seulement en 2023. On peut faire simple pour résumer la situation : c’est sur la rénovation des égouts que Vivaqua est en train de faire des économies. Les chantiers sont reportés les uns après les autres parce que l’entreprise ne peut plus les payer. Une gestion indigne d’un service public qui est une véritable bombe à retardement pour le futur. Politiquement, une situation intenable.

La difficulté c’est que Vivaqua n’est pas un organisme régional. La région a son mot à dire. C’est le ministre de l’énergie Alain Maron qui édicte les normes et assure la surveillance de la qualité de l’eau par exemple. Mais Vivaqua appartient aux communes. La société a été créée en décembre 1891, elle a donc 131 ans. Au  capital on retrouve 23 communes, les 19 communes de la Région bruxelloise mais aussi des communes du Hainaut et du Brabant-Wallon : Braine-l’Alleud et Braine-le-Château par exemple sont actionnaires. Ce sont ces communes qui gèrent l’entreprise, définissent sa stratégie, valident son budget, pas la région. Même si la région est régulièrement appelée à la rescousse, avec par exemple  l’an dernier une enveloppe de 12 millions pour aider à boucler les comptes. Vivaqua, bien qu’accomplissant une mission de service public, obéit à une logique de société privée : elle commercialise un bien qui n’est pas gratuit. C’est théoriquement le produit de ses ventes qui devrait lui permettre d’atteindre l’équilibre. Aujourd’hui ce n’est pas le cas. Il y a donc deux scénarios possibles : soit on augmente le prix de l’eau, c’est donc le consommateur qui paye. Soit on fait intervenir les pouvoirs publics, là c’est le contribuable qui paye.

Si on veut renflouer réellement Vivaqua il faudra soit que les communes-actionnaires remettent la main à la poche et procèdent à une augmentation de capital. Ce qui est peu réaliste. Soit que la région apporte sa contribution. Et là tant Alain Maron qu’Elke Van den Brandt ont été clairs ; la région veut bien aider, mais dans ce cas-là elle devra avoir son mot à dire. “Nous n’allons pas laisser Vivaqua couler mais avec la facture nous devons aussi recevoir des compétences”, a dit notamment  la ministre de la Mobilité hier soir à la VRT. En d’autres termes, il faudrait la faire entrer dans le capital et lui laisser un siège (au moins) au conseil administration. Il n’est pas sûr que les communes l’acceptent si facilement. Ce serait le début d’une régionalisation de Vivaqua. Pour la petite histoire une étude sur la rationalisation du secteur de l’eau a d’ores et déjà été commandée par le gouvernement bruxellois. Elle avait été annoncée pour la fin 2023, elle arrivera finalement dans quelques mois, visiblement dès qu’on parle de l’eau, il y a du retard. Cette étude sera donc sur la table du monde politique au moment ou il s’agira de former le prochain gouvernement, après les élections de juin prochain. Ce n’est pas un hasard de calendrier. C’est juste l’indication que dans le secteur de l’eau, à Bruxelles, les grandes manœuvres viennent de commencer.