L’édito de Fabrice Grosfilley : en ordre de bataille

Fabrice Grosfilley - Photo Couverture

Nos partis politiques ont donc décidé d’anticiper la trêve des confiseurs. Ils se sont, pour au moins deux d’entre eux, mis en ordre de marche avant de passer les fêtes de l’année. Samedi, à quelques dizaines de mètres l’un de l’autre (ils ne l’avaient sans doute pas fait exprès) le PS et Ecolo désignaient leurs têtes de listes pour le scrutin géant de juin prochain (on votera pour les régionales, les législatives et le parlement européen le même jour, et tout le monde aura déjà aussi en tête le scrutin communal d’octobre).

Côté socialiste, un congrès de fédération a confirmé les informations qui circulaient depuis quelques jours avec un vote des militants massif en faveur des deux binômes proposés : Ahmed Laaouej et Karine Lalieux pour emmener la liste à la Région,  Caroline Désir et Ridouane Chahid pour tirer celle à la chambre. Ces premières désignations confirment que le PS bruxellois a bien fait de la ministre-présidence régionale son objectif premier (Ahmed Laouej avait obtenu plus de 31 000 voix en 2019 et bénéficie d’une forte exposition médiatique, il est par ailleurs le patron des socialistes bruxellois) . Comme toujours dans ces cas-là on note une série d’équilibres (homme-femme, nord et sud de Bruxelles, la ville d’un coté et les autres communes de l’autre, les laïcs qui ont fait l’ULB et  ceux qui viennent d’un autre horizon, etc) qui devraient être confirmés  ou amplifiés par la suite (on annonce Rudi Vervoort en troisième position à la Région, Philippe Close en 4e place à la Chambre, on s’interroge encore sur les places que pourront occuper  Nawal Ben Hamou, Fadila Laanan ou Delphine Chabbert dans ce dispositif,  les députés très actifs Martin Casier et Marc-Jean Ghysels ne devront pas être oubliés, on prête à Ibrahim Dönmez et Hassan Koyuncu la capacité de faire de gros scores dans la communauté d’origine turque, etc, et il est toujours de bon ton de faire émerger de nouveaux visages). Il faut aussi constater un renouvellement des têtes de liste qui correspond à un passage de génération  (Rudi Vervoort et Karine Lalieux en font un peu les frais, mais ils ne seront pas les seuls) et à l’affirmation du groupe qui contrôle désormais la fédération (Laaouej-Désir- Close- ervoort-Chahid, qui même s’ils ne sont pas les meilleurs amis du monde, savent qu’ils doivent s’entendre)  ce que n’a pas manqué de souligner Rachid Madrane (il faut se souvenir qu’il avait été candidat contre Ahmed Laaouej pour présider la fédération) en refusant la 5e place régionale qui lui était proposé. Message limpide : ceux qui bénéficiaient dans le passé d’une position qui leur avait été octroyée du temps de Laurette Onkelinx vont devoir faire état d’autres qualités pour rester dans la course.

Côté Ecolo, c’était une assemblée générale surprise (elle n’avait pas été annoncée et se déroulait elle aussi à huis clos) qui rebattait les cartes en vue des prochaines élections. Zakia Khattabi, qui avait publiquement annoncé son souhait d’être tête de liste à la Chambre, bifurquait soudainement vers la Région avec une candidature affirmée pour la ministre-présidence, se plaçant ainsi en pôle position devant Alain Maron et Barbara Trachte. La co-présidente nationale Rajae Maouane se trouvant du coup propulsée à la tête de la liste fédérale devant le chef de groupe Gilles Vanden Burre. Là aussi, on donc opéré des chassés-croisés entre les différents niveaux de pouvoir, en décidant de mettre le paquet à la Région (Zakia Khattabi avait obtenu 29 000 voix de préférence il y a 4 ans), quitte à bousculer là aussi la tradition qui veut qu’un ministre sortant (ici Alain Maron) défende son bilan face à l’électeur. Officieusement c’est le 7 décembre que ce changement de casting aurait donc été opéré. Les ministres écologistes étaient en pleine Cop28 à Dubaï quand le comité de liste (là aussi un petit groupe de têtes pensantes) les a convaincus de revoir leurs ambitions personnelles dans l’intérêt du collectif écologiste.

PS-Ecolo c’est donc le même combat : l’idée que la pôle position à la Région est le graal, une position qui permet d’avoir la main pour lancer les négociations, et la ministre-présidence quand cela se termine bien. Une priorité qui vaut donc qu’on y mette ses plus gros faiseurs de voix, et qu’on accorde une attention particulière à la montée en puissance du PTB dans les sondages. Les personnalités les plus à gauche et celles qui sont les plus à mêmes de parler à l’électorat populaire issu de l’immigration ont donc clairement été privilégiées. La montée de l’extrême-gauche s’observe en particulier dans les quartiers où la population d’origine marocaine est très représentée et se nourrit d’un sentiment de rejet qui cumule le sentiment d’être victime du racisme (le débat sur la neutralité des administrations y participe mais il faut y ajouter des discriminations ressenties en matière d’accès à l’emploi, de qualité de l’enseignement, d’accès au logement entre autres), le rejet de la politique régionale de mobilité (c’est à Cureghem à Anderlecht et dans le quartier Verboekhoven – cage aux ours-  à  Schaerbeek que Good Move a été le plus contesté) ou encore la colère vis à vis des évènements du Proche-Orient et de la politique internationale jugée timide du gouvernement fédéral. Les listes du PTB feront d’ailleurs la part belle à des candidats capables d’incarner ces frustrations et revendications (c’est l’ADN du parti communiste, rien d’anormal à cela) avec par exemple Soulaimane El Mokadem, un  jeune de 25 ans originaire des Marolles en deuxième position à la Région, derrière Françoise De Smedt, ou Nabil Boukili à la Cchambre.

Aucun parti  ne pourra délaisser ces problématiques en 2024 car cela reviendrait à laisser le champ libre à un populisme déjà particulièrement présent. PS et Ecolo se risqueront donc sur le terrain qu’occupe aujourd’hui le PTB. C’est une condition de leur réussite, et à terme de leur maintien au pouvoir. On pourra, à droite,  taxer ce mouvement de “communautarisme” : c’est en réalité la simple prise en considération de la réalité bruxelloise.  La ligne à ne pas franchir étant celle du double discours, où l’on s’adresserait à une communauté en lui faisant miroiter des mesures qu’on ne sera en réalité pas prêt à défendre, puisqu’on s’y dit opposé dans d’autres cercles. Il y a un communautarisme bien plus pernicieux que la désignation d’une tête de liste qui consiste à faire la tournée des mosquées ou à compter sur les relais de l’une ou l’autre ambassade qu’on caresse dans le sens du poil sur les questions de géopolitique internationale.

Si PS et Ecolo ont donc clarifié leurs intentions en révélant leurs têtes de listes, les autres partis n’ont pas encore tous résolu leurs problèmes de casting. Et peut-être pire pour certains, pas encore trouvé leur positionnement stratégique. Ainsi au Mouvement Réformateur, la tête de liste régionale est aujourd’hui revendiqué par David Leisterh, tandis qu’on annonce un trio Sophie Wilmes – Michel De Maegd -Hadja Lahbib à la Chambre. A l’évidence (sans vouloir vexer personne) la répartition parait aujourd’hui fort déséquilibrée, donnant l’impression que le MR mise tout sur le fédéral… C’est une stratégie risquée, puisqu’on sait que les négociations à la Région bruxelloise risquent de s’engager plus vite que celles du niveau fédéral, et que Bruxelles est parfois le domino qui permet de garantir une présence en Wallonie et à la Fédération Wallonie-Bruxelles. Surtout, on ne voit pas émerger de grand nom incarnant la diversité et susceptible  de porter un message de renouveau sur cette thématique alors que Georges-Louis Bouchez  avait clairement identifié l’objectif.  A Défi on assiste à un bras de fer entre Bernard Clerfayt et Fabian Maingain pour conduire la liste régionale, avec le risque d’une crise interne. Chez les Engagés, Elisabeth Degryse et Christophe De Beukealere mèneront les batailles de la Chambre et de la Région, mais on manque encore d’indication sur leur poids électoral respectif. Surtout, dans toutes ces formations, on ne semble pas avoir pris la mesure de ce qu’est aujourd’hui la diversité bruxelloise et la jeunesse de la population. Ne pas intégrer cette dimension est une faute politique. Qui risque d’être sanctionnée sur le plan du résultat électoral, d’abord. Mais qui surtout (et c’est cela qui nous préoccupe) empêche de construire la région bruxelloise de demain. Car les débats sur le port du foulard, le racisme, l’accès à l’emploi, l’éducation méritent mieux qu’une instrumentalisation partisane tous les 4 ou 5 ans. Pour débattre, il faut commencer par  reconnaitre son interlocuteur et lui faire une place. “Faire la synthèse”, comme on disait dans les partis politiques autrefois, ce n’est pas seulement accorder l’une ou l’autre place à des représentants des “minorités visibles” comme les appellent les sociologues. C’est surtout être capable d’élaborer des programmes électoraux et définir des politiques publiques auxquelles toute la population adhère.