Le procès des attentats du 22 mars 2016 reprend ce lundi : place aux réquisitoires sur les peines
Le procès des attentats du 22 mars 2016 a repris vers 09h30 lundi devant la cour d’assises de Bruxelles, après un peu plus d’un mois d’interruption. Le ministère public a entamé son réquisitoire sur les peines, en annonçant déjà la couleur : il demandera au jury et à la cour de prononcer des peines très sévères à l’encontre des huit coupables, en particulier contre les six qui sont co-auteurs des assassinats et des tentatives d’assassinat dans un contexte terroriste.
“Il me semble normal de condamner sévèrement ceux qui se sont attaqués à l’ensemble de notre société avec le mobile terroriste”, a déclaré la procureure fédérale Paule Somers lundi matin. “Sanctionner est nécessaire pour que s’exprime la désapprobation de la société, à la fois pour la société toute entière mais aussi pour les victimes”, a-t-elle dit. “Tous les jours ces victimes vivent les séquelles des actes posés. Ce sont elles les véritables et uniques martyrs de ces faits. Ce sont elles qui mènent un réel parcours du combattant. Elles doivent survivre, réapprendre à vivre, trouver une nouvelle place dans la société…Ce sont elles qui vivent avec la rage, la peur au ventre, les acouphènes… Ce sont elles qui sont enfermées dans leur syndrome post-traumatique”.
La magistrate a insisté sur “la responsabilité morale que le juge a envers la société”. Pour elle, il est nécessaire de prononcer dans ce dossier “de lourdes peines” pour “sanctionner avec fermeté les actes posés par les coupables”. Elle a rappelé les droits essentiels que sont le droit à la vie et le respect de la démocratie, et a également cité une victime qui avait déclaré : “je souhaite que ce procès soit un exemple pour que cela n’arrive plus”.
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Les magistrats seront interrompus à la mi-journée, car le tribunal civil de Bruxelles doit examiner dans l’urgence une requête des avocats de Salah Abdeslam. Ceux-ci demandent au juge de constater que le transfert de leur client de la Belgique vers la France, qui devrait intervenir à la fin du procès d’assises à Bruxelles, est illégal. Ils sollicitent que Salah Abdeslam puisse purger sa peine en Belgique.
Ce dernier devrait en théorie retourner en France pour y purger la peine de prison à laquelle il a été condamné par la cour d’assises spéciale de Paris, dont les débats se sont tenus avant ceux de la cour d’assises de Bruxelles.
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Le 29 juin 2022, Abdelsam a été condamné, par la cour parisienne, à une peine de prison à perpétuité incompressible pour son rôle dans les attentats du 13 novembre 2015 dans la capitale française. Il a ensuite été transféré dans une prison belge afin de pouvoir comparaître à son procès pour les attentats du 22 mars 2016 à Bruxelles, qui a débuté au Justitia à Haren en décembre dernier.
Le 25 juillet, Salah Abdeslam a été reconnu coupable, par le jury d’assises bruxellois, d’assassinats et de tentatives d’assassinats dans un contexte terroriste ainsi que d’appartenance à un groupe terroriste. Il risque donc une nouvelle peine de prison à perpétuité.
Le parquet fédéral a entamé lundi matin son réquisitoire sur les peines à infliger aux huit accusés reconnus coupables dans le cadre du procès des attentats à Bruxelles du 22 mars 2016. Les débats ont repris après plus d’un mois d’interruption pour les vacances et le verdict sur la culpabilité rendu le 25 juillet.
Le parquet fédéral a débuté avec des considérations théoriques, notamment sur la mise à disposition du tribunal d’application des peines (TAP) ou sur la déchéance de nationalité. Les procureurs s’attarderont ensuite sur le cas particulier de chacun des accusés. Ils devront cependant s’interrompre en milieu de journée avant de reprendre leur propos mardi matin. L’audience sera en effet suspendue pour laisser la place, lundi après-midi, dans la même salle, à un débat au civil en référé opposant Salah Abdeslam à l’État belge.
Les avocats de l’accusé demanderont au juge de constater que le transfert de leur client de la Belgique vers la France, qui devrait intervenir à la fin du procès d’assises à Bruxelles, est illégal. Ils sollicitent que ce dernier puisse purger sa peine en Belgique.
Mercredi matin, les avocats de la défense auront à leur tour la parole. L’audience devrait toutefois débuter par quelques considérations techniques. Il a ainsi été convenu que les avocats de la défense qui souhaitent déposer des conclusions après le verdict sur la culpabilité pourront le faire mercredi matin. La défense de Salah Abdeslam, qui sera la première à prendre la parole, a déjà annoncé qu’elle déposerait “de toutes façons” de telles conclusions “techniques”. Cela entrainera une suspension des débats afin que la cour se positionne et rende un arrêt sur ces conclusions. Ce n’est qu’une fois cette étape franchie que les avocats pourront tour à tour plaider en faveur de leur client. Ils le feront mercredi, jeudi mais aussi vendredi, d’ordinaire un jour de relâche durant les sept mois de débats ayant mené au verdict de culpabilité. L’objectif est que la cour entre en délibération sur les peines au plus tard au début de la semaine prochaine.
Déchéance de nationalité
Le ministère public requerra la déchéance de la nationalité belge pour Mohamed Abrini, Ali El Haddad Asufi et Bilal El Makhoukhi, tous trois Belgo-marocains, ainsi que pour Hervé Bayingana Muhirwa, Belgo-rwandais. Cette demande de sanction civile complémentaire concerne également Oussama Atar, Belgo-marocain, mais celui-ci est présumé mort et fait défaut à son procès.
La procureure a expliqué qu’une telle demande peut être soumise à la cour d’assises, citant la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de justice de l’Union européenne. Pour la magistrate, cette demande est légitime au vu de la gravité des actes pour lesquels ces hommes ont été reconnus coupables.
La principale conséquence de cette éventuelle déchéance de nationalité belge est de couper le lien juridique et administratif avec l’État belge. Cela signifie la fin de l’application de tous les droits et devoirs qui s’y rapportent, que ce soit en matière d’accès au territoire, de droit au séjour et de droits sociaux (allocations, chômage, etc.)
Le réquisitoire des procureurs fédéraux reprendra mardi matin. La parole sera ensuite donnée aux avocats des huit coupables et enfin à ces derniers pour leurs éventuels derniers mots. Le jury repartira une seconde fois en délibération, à laquelle prendra part cette fois les trois juges de la cour. Le verdict sera prononcé en audience publique, ce qui clôturera le volet pénal de ce procès hors normes.
20 ans de prison pour Ayari
Le parquet fédéral a demandé lundi aux jurés de la cour d’assises de Bruxelles chargée du procès des attentats du 22 mars 2016 de renvoyer Sofien Ayari à la peine prononcée à son encontre lors de son procès en correctionnelle pour la fusillade rue du Dries à Forest le 15 mars 2016, soit 20 ans de prison. Cela signifie que le ministère public requiert qu’aucune peine ne soit prononcée à l’encontre de l’homme devant la cour d’assises. Celui-ci y a été reconnu coupable de participation aux activités d’un groupe terroriste et risque un maximum de 10 ans de réclusion.
Réclusion à perpétuité pour Atar
Le parquet fédéral a requis la réclusion criminelle à perpétuité à l’encontre d’Oussama Atar. Les procureurs fédéraux ont également demandé à ce que le Belgo-Marocain, qui fait défaut devant la cour d’assises, car présumé mort en Syrie, soit mis à disposition du tribunal d’application des peines (TAP) durant 15 ans et qu’il soit déchu de sa nationalité belge.
Le procureur fédéral Bernard Michel a avancé que l’article 65 du code pénal belge ne peut pas s’appliquer pour les individus qui ont été reconnus coupables à Bruxelles et déjà condamnés à Paris en juin 2022. Cet article stipule que, lorsqu’une personne est jugée pour un fait qui est de même nature qu’un autre pour laquelle elle a déjà été condamnée, et qui a été commis durant la même période, il n’est pas utile de prononcer une nouvelle peine. Une peine complémentaire à la première peut néanmoins être prononcée.
Le parquet demande de renvoyer Ayari à la peine prononcée pour la fusillade rue du Dries
Le parquet fédéral a demandé lundi aux jurés de la cour d’assises de Bruxelles chargée du procès des attentats du 22 mars 2016 de renvoyer Sofien Ayari à la peine prononcée à son encontre lors de son procès pour la fusillade rue du Dries à Forest le 15 mars 2016, soit 20 ans de prison. Cela signifie que le ministère public requiert qu’aucune peine ne soit prononcée à l’encontre de l’homme devant la cour d’assises. Celui-ci y a été reconnu coupable de participation aux activités d’un groupe terroriste et risque un maximum de 10 ans de réclusion.
“Il faut vérifier si Sofien Ayari a été mû par la même intention délictueuse pour la fusillade de la rue du Dries et pour les attentats du 22 mars”, a expliqué le procureur Bernard Michel. “On ne peut pas perdre de vue que la cellule terroriste responsable du 22 mars est passée par l’appartement rue du Dries. Salah Abdeslam et Mohamed Abrini y étaient, les frères El Bakraoui y sont passés aussi.”
Et le magistrat d’évoquer l’article 65, qui stipule que “lorsqu’un même fait constitue plusieurs infractions ou lorsque différentes infractions constituent la manifestation successive et continue de la même intention délictueuse, la peine la plus forte sera seule prononcée”. Selon le parquet, c’est bien le cas ici et la peine la plus forte concernant Sofien Ayari est la condamnation de 20 ans prononcée par le tribunal correctionnel le 24 avril 2018 pour les faits de la rue du Dries, puisqu’il risque au maximum 10 ans de prison devant la cour d’assises. Pour la culpabilité, “il faut donc se référer à la peine la plus grave, donc celle infligée dans le procès Dries”, a conclu Bernard Michel.
Sofien Ayari a également été condamné à 30 ans de prison avec une période de sureté des deux tiers dans le cadre des attentats du 13 novembre 2015 à Paris, mais le ministère public considère que les condamnations à l’étranger ne doivent pas être prises en compte.
Renvoyer Abdeslam en France l’exposerait à des traitements inhumains, selon Maître Sax
La Belgique a l’obligation de vérifier si Salah Abdeslam risque ou non de subir des traitements inhumains et dégradants en France avant d’autoriser son transfert là-bas, a avancé Me Harold Sax, devant le tribunal civil de Bruxelles en référé. Pour l’avocat, ce risque existe bel et bien, rappelant que durant sa détention en France entre 2016 et 2022, Salah Abdeslam était filmé 24h/24 dans sa cellule.
Pour rappel, Me Delphine Paci, l’avocate de Salah Abdeslam dans ce procès, a introduit un recours en urgence devant le tribunal civil, visant à faire interdire à l’État belge de renvoyer Salah Abdeslam en détention en France après le procès d’assises à Bruxelles. Pour rappel, l’homme a été condamné par la cour d’assises spéciale de Paris en juin 2022 à une peine de prison à perpétuité incompressible, pour son rôle dans les attentats du 13 novembre 2015 dans la capitale française. Il a ensuite été “prêté” par la France à la Belgique, via une convention entre les deux pays, en juillet 2022, afin de pouvoir comparaître à son procès pour les attentats du 22 mars 2016, devant la cour d’assises de Bruxelles.
C’est le collaborateur de Me Paci, Me Harold Sax, qui a pris la parole lundi après-midi devant le tribunal civil en référé. Selon l’avocat, le premier argument en faveur du non renvoi de Salah Abdeslam en France est la garantie de ses droits fondamentaux. “La France a la ferme intention que sa détention soit la plus cruelle possible. Elle s’assimilerait à une sorte de torture blanche”, a affirmé Me Martin Vettes, qui a défendu Salah Abdeslam dans son procès à Paris. “En Belgique, Salah Abdeslam a des liens sociaux, il a pu faire des activités sportives avec d’autres détenus, et il n’est pas filmé 24h/24. La Belgique se grandirait en empêchant qu’il retourne dans les geôles françaises”, a-t-il dit.
Pour les deux avocats, c’est aussi la peine à laquelle Salah Abdeslam a été condamné en France qui pose question au regard de la Convention européenne des droits de l’homme. Il s’agit d’une peine de prison à perpétuité incompressible qui ne peut être levée qu’après 30 ans de détention et selon des conditions irréalisables dans le cas d’Abdeslam, selon eux. Le condamné devrait montrer des “gages de réinsertion sociale”. Or, il n’avait aucun contact lorsqu’il était détenu sous haute sécurité à la prison de Fleury-Mérogis en France. Il devrait également démontrer qu’il ne représente plus un “trouble social” et enfin, les victimes auraient le droit “d’émettre un avis” sur une modification de la peine.
De l’autre côté de la barre, Me Bernard Renson, avocat de l’État belge, a tout simplement estimé que “le débat n’a pas lieu d’être”, car il ne s’agit pas d’un cas de figure où la justice belge serait amenée à examiner une demande d’exécution de mandat d’arrêt délivré par la France. Ici, il s’agit d’une “remise temporaire” du détenu par la France à la Belgique, selon laquelle il est prévu que celui-ci retourne en France dès la fin du procès d’assises à Bruxelles. Me Renson a rappelé que, lorsque la Belgique a transféré Salah Abdeslam vers la France en 2016, sur base d’un mandat d’arrêt émis par la France, le concerné a “consenti à sa remise aux autorités françaises” et n’a pas “fait valoir de clause de garantie de retour”. À cet argument, Me Vettes a rétorqué que Salah Abdeslam avait été mal informé lorsqu’il a accepté sa remise à la France en 2016. Pour Me Sax, le consentement n’est “pas vicié”, mais il est par contre incomplet.
Avec Belga – Photo : Belga
■ Reportage de Camille Tang Quynh, Charles Carpreau et Hugo Moriamé