Procès des attentats de Bruxelles : taxi, fausses pistes, perquisitions… le récit de l’enquête se poursuit
Le procès des attentats du 22 mars 2016 se poursuit devant la cour d’assises de Bruxelles avec le récit, plus précis, de l’enquête autour des attaques de Zaventem. Avec notamment le témoignage du chauffeur de taxi qui a pris en charge les terroristes.
L’audience de ce mercredi a débuté avec un témoignage important, celui du chauffeur de taxi qui a pris en charge les kamikazes de Zaventem. Le matin du 22 mars, cet homme a été appelé pour une commande de taxi rue Max Roos à Schaerbeek. Les trois clients lui ont demandé de les déposer, ainsi que leurs bagages, à l’aéroport de Bruxelles-National à Zaventem. Il s’agissait des kamikazes Ibrahim El Bakraoui et Najim Laachraoui et de l’accusé Mohamed Abrini, qui renoncera finalement à se faire exploser.
L’audition de ce chauffeur de taxi va se révéler déterminante dans l’enquête sur les attentats du 22 mars 2016, permettant à la police de découvrir l’adresse de la rue Max Roos, où plusieurs indices importants – dont un ordinateur – seront retrouvés. Le chauffeur n’a toutefois pas souhaité témoigner devant la cour, c’est donc un commissaire de la police judiciaire fédérale qui a raconté l’audition du chauffeur, ce mercredi.
La suite de la journée a été consacrée au récit des enquêteurs sur leurs premières recherches après les attaques de Brussels Airport.
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10h25 – “Calmes, tous les trois”
Le taximan a été entendu le 22 mars 2016 entre 8h29 et 9h31, tout juste après les attaques de Brussels Airport. Il en ressort qu’il a pris en charge trois individus, rue Max Roos, à Schaerbeek, à 7h08 du matin et les a emmenés à l’aéroport de Zaventem, où il est arrivé à 7h33. Chacun avait une valise noire en tissu, dégageant une forte odeur chimique, selon les propos du taximan. Ces bagages, identiques, semblaient lourds mais les clients ont refusé l’aide du chauffeur, que ce soit pour les charger ou les décharger.
Le chauffeur décrit les trois hommes de type nord-africain, parlant français pour deux d’entre eux, le troisième n’ayant pas parlé. L’un portait des vêtements clairs, un autre un chapeau. Il les qualifie de calmes, tous les trois.
Les enquêteurs ont également retrouvé la trace de l’appel téléphonique ayant permis de réserver le véhicule, passé à 6h26 ce matin-là. Le numéro a été identifié, les enquêteurs déterminant par la suite qu’il a été passé via une carte prépayée au nom de David Olive Serra, fausse identité utilisée par Najim Laachraoui. C’est ce dernier qui a passé l’appel, selon les enquêteurs. L’homme demande une camionnette, précisant qu’il faut transporter “plusieurs personnes” et qu’il y a “pas mal de bagages“. Un monospace lui sera proposé, ce qu’il accepte.
10h49 – Deux versions
Les images de caméras, placées sur le trajet, ont également permis aux enquêteurs de trancher entre la version donnée par le chauffeur de taxi, selon lequel les trois individus étaient assis à l’arrière du véhicule, et celle de l’accusé Mohamed Abrini, qui affirme qu’Ibrahim El Bakraoui était assis à l’avant. Selon les enquêteurs, les trois individus étaient bien assis à l’arrière. Un élément important, selon les juges d’instruction, car le taximan témoigne de propos tenus par les suspects selon la place à laquelle ils étaient assis.
Le 22 mars 2016, une recherche d’explosifs, de précurseurs (soit de substances ayant servi à fabriquer des explosifs), de fibres, de poils, d’ADN, d’empreintes… est également effectuée. Cela ne donnera pas de résultat pertinent.
Le montage vidéo de la reconstitution du trajet de taxi qui a emmené les deux kamikazes et l’accusé Mohamed Abrini à l’aéroport de Zaventem le 22 mars 2016 a été diffusé. Selon le témoignage du chauffeur de taxi, Ibrahim El Bakraoui faisait la conversation, tandis que les deux autres passagers – Najim Laachraoui et Abrini – semblaient soit stressé, soit ailleurs.
La reconstitution a eu lieu le 19 mai 2016 sur le site des Casernes à Etterbeek. Elle n’a pas pu se faire sur la voie publique, car l’accusé Abrini y assistait.
11h17 – “Ils prennent leur temps”
Le chauffeur de taxi est revenu sur plusieurs éléments, notamment sur son arrivée au 4, rue Max Roos.
Alors qu’il ne trouve pas le nom de réservation (Serra) sur la sonnette, il appelle la centrale de taxis pour obtenir le numéro de téléphone qui a commandé le véhicule. Il sonne, à deux reprises, sans avoir de réponse. Il s’apprête à partir quand un homme lui crie d’un étage élevé qu'”ils arrivent”. “Je sors du taxi, j’ouvre le coffre (…) J’attends, mais j’active mon taximètre. Ils prennent leur temps pour sortir“, explique-t-il ce jour-là.
C’est Ibrahim El Bakraoui qui arrive en premier et place son sac en tissu noir dans le coffre, bien droit. Puis Abrini, suivi de Laachraoui.
Le premier explique au chauffeur de taxi qu’ils vont à l’aéroport, mais ne semble pas bien situer la géographie de la Région, il s’étonne notamment que la voiture passe par l’Otan pour rejoindre Zaventem.
C’est El Bakraoui qui fait la conversation, les deux autres (la version diffère d’une audition à la reconstitution) semblent pour l’un stressé, pour l’autre dans ses pensées. Il affirme au chauffeur qu’ils sont étudiants, venus à Bruxelles pour des vacances, puis digresse sur les Américains. “Ils ont amené la violence dans le monde (…) T’as vu ce qu’ils font aux Noirs aux États-Unis?!“, lance-t-il au chauffeur, lui-même noir.
11h53 – “Peut-être qu’on se reverra un jour”
Une fois arrivé à destination, chacun prend sa valise, refusant à nouveau l’aide du chauffeur. Abrini, présenté alors comme “l’homme au chapeau“, va chercher un charriot. El Bakraoui salue le chauffeur d’un “peut-être qu’on se reverra un jour“.
En quittant Zaventem, le chauffeur roule toutes fenêtres ouvertes sur l’autoroute “tellement ça puait” dans la voiture. Il reçoit une autre commande, depuis Schaerbeek vers la place du Jeu de Balle. C’est avec sa cliente qu’il entend qu’il y a eu des explosions à l’aéroport, il lui fait part de ses doutes sur les trois personnes qu’il a transportées avant elle. “Elle me dit : si t’as des doutes, il faut aller voir la police.” Et c’est comme ça qu’il se retrouve, dès 8h20, dans un commissariat des Marolles.
14h25 – Les premiers devoirs d’enquête
Le juge d’instruction Patrick De Coster et le commissaire de police Kris Meert, en charge, dans un premier temps, de l’enquête sur l’attentat perpétré à l’aéroport de Zaventem le 22 mars 2016 ont présenté à la cour d’assises de Bruxelles les premiers pas de leur enquête, partie dans un premier dans toutes les directions possibles et imaginables.
Les premiers devoirs d’enquête se sont concentrés principalement sur des enquêtes en matière de téléphonie, pour identifier le fameux “homme au chapeau” ainsi que sur des perquisitions “tous azimuts”. Assez rapidement, les enquêteurs partent en effet à la recherche d’un troisième homme, mis sur cette piste par le témoignage du chauffeur de taxi qui avait emmené les deux kamikazes et l’accusé Mohamed Abrini à l’aéroport de Bruxelles-National, mais aussi par une première exploitation rapide des images de vidéosurveillance de l’aéroport. “Vu l’urgence, nous avons ratissé large, nous avons voulu n’exclure aucune piste possible et imaginable”, a expliqué à la cour d’assises le juge d’instruction Patrick De Coster.
En ressort une foule de devoirs d’enquête, avec de nombreuses pistes qui n’ont finalement rien donné. “Mais il fallait le faire, ne fût-ce que pour fermer des portes”, a pointé le juge d’instruction, qui sera dessaisi du dossier le 31 mars, l’affaire ayant été jointe avec l’enquête sur l’attentat à la station de métro de Maelbeek.
15h52 – Des fausses pistes
Un exemple de fausse piste sera l’inculpation d’un homme, erronément suspecté d’être le fameux “homme au chapeau”. Il sera privé de liberté le 24 mars, mais libéré le 28 mars, l’enquête ayant démontré qu’il n’avait pas de lien avec les attentats. “Cela me permet de démontrer qu’un juge d’instruction travaille à charge et à décharge”, a pointé M. De Coster, ajoutant que “priver quelqu’un de sa liberté, c’est loin d’être amusant. C’est un nombre d’heures, de jours de sa vie qu’on perd et qu’on ne récupère pas”.
Plusieurs éléments déterminants sont cependant dénichés assez rapidement. Une perquisition est ainsi menée à la rue Max Roos, qualifiée de “découverte de la caverne d’Ali Baba” par le juge d’instruction. Elle permet de mettre la main sur un ordinateur et plusieurs téléphones. Le résultat de cette perquisition sera expliqué en détails à la cour ultérieurement.
Il a cependant déjà été présenté que deux boites en carton pour des poubelles ont été retrouvées ainsi qu’une boite en carton qui aurait contenu des centaines de billes ou de boules métalliques ou en fer. Une valise de voyage est également découverte dans l’appartement utilisé comme planque. Un agent de gardiennage travaillant dans le magasin où cette valise a été achetée a été entendu et explique que l’acheteur s’est adressé à lui, demandant des renseignements. L’acheteur se demandait notamment si la valise pourrait contenir une poubelle et a testé sur place si son achat convenait.
17h15 – La reconstitution des faits grâce aux caméras
Une reconstitution des faits survenus à l’aéroport de Zaventem le 22 mars 2016 a été ensuite présentée. Grâce aux multiples caméras de surveillance de l’aéroport, les enquêteurs ont pu refaire la chronologie et identifier trois auteurs.
Les images montrent l’arrivée des deux kamikazes et de l’accusé Abrini dans le parking “Kiss & Ride” à 7h33. Ils traversent la route, tirent leurs bagages sur roulettes et entrent dans le bâtiment par l’entrée C, qui se situe à droite de l’aéroport. Immédiatement, Ibrahim El Bakraoui se dirige vers le panneau d’information des vols, Mohamed Abrini semble en retrait. Les trois hommes restent un peu plus d’une minute devant le panneau, discutent et se dirigent vers le Starbucks. Ils font finalement demi-tour et vont au Délifrance. D’une audition à l’autre, l’accusé Abrini dira que le Starbucks était plein, puis qu’il avait remarqué des policiers près de la statue toute proche du café.
Les images du Délifrance sont de mauvaise qualité, mais elles ont permis aux enquêteurs de voir Najim Laachraoui s’agenouiller pendant une bonne minute devant chaque chariot. Lors d’une audition, l’accusé Abrini expliquera que c’est alors que Najim a effectué le branchement des bombes. Les trois hommes restent encore deux minutes à consommer leur boisson à table, puis s’en vont. Ibrahim El Bakraoui demande alors à Abrini de prendre la file des États-Unis. Les images montrent que le trio s’est concerté à deux reprises.
17h25 – Abrini ne veut finalement pas participer
Après avoir quitté le Délifrance, les trois hommes font une première reconnaissance des lieux, en passant à côté de la rangée 11. Ibrahim Bakraoui et Najim Laachraoui font ensuite demi-tour, sans que Mohamed Abrini ne les suive, “ceci apparemment à la grande irritation des deux autres”, a indiqué Kris Meert, commissaire de police en charge de l’enquête à Zaventem dans un premier temps. Abrini rejoint ensuite le duo et les trois hommes se concertent une première fois. Ils consultent un objet qu’ils ont en main, apparemment un téléphone. Selon les déclarations de Mohamed Abrini, chacun possédait un téléphone fixé sur la même date et la même heure, dans le but de coordonner les attaques.
Après cette première consultation, les trois hommes se séparent une première fois. Abrini se rend seul vers la rangée 11 mais fait demi-tour et rattrape Laachraoui et El Bakraoui. Une deuxième concertation a lieu, qui n’est que peu visible sur les images. Selon Mohamed Abrini, il aurait dit à ce moment-là aux deux autres qu’il ne pouvait pas faire ça et le duo essaie de le convaincre. Ibrahim El Bakraoui repart vers l’ancien hall des départs tandis qu’Abrini et Laachraoui partent ensemble vers le nouveau hall. À partir de ce moment-là, les trois hommes ne seront plus vus ensemble.
Ibrahim El Bakraoui arrive à 7h56 dans l’ancien hall des départs, fait des manipulations sur son sac qu’il relève à la verticale. Une fois prêt, il prend place au bout de la file du check-in au guichet 11 et après quelques dizaines de secondes, l’explosion retentit. Les vidéos de l’explosion, comme celle de la seconde, qui a lieu 11 secondes plus tard, témoignent de la violence des chocs, soufflant les vitres des bâtiments, faisant tomber des morceaux de plafond.
Avant cette première explosion, Abrini et Laachraoui se consultent une dernière fois, devant un panneau d’information. Les deux hommes se quittent, Najim Laachraoui se rend entre les rangées 6 et 7. Après la première explosion, il court vers la statue, située près du Starbucks, et fait exploser son sac, au niveau des rangées 4 et 5. Mohamed Abrini, après avoir quitté Najim Laachraoui, se rend lui vers la rangée 10, puis semble vouloir faire demi-tour. La première explosion retentit, il semble surpris et abandonne son chariot, sur lequel se trouvait une troisième bombe. Il s’enfuit et se met à l’abri. La deuxième explosion retentit, il s’enfuit alors par la sortie C, par laquelle il était entré. A 7h59, il a quitté les lieux.
18h18 – Des armes retrouvées mais pas utilisées
Parmi les centaines de pièces à conviction récoltées à l’aéroport de Zaventem, deux armes, un pistolet et un revolver, ont particulièrement attiré l’attention des enquêteurs, qui ont pu déterminer qu’elles appartenaient aux deux kamikazes ayant fait exploser leur bombe le 22 mars 2016, Ibrahim El Bakraoui et Najim Laachraoui.
Le commissaire de police Kris Meert a expliqué que deux armes à feu et plusieurs munitions retrouvées à l’aéroport après les deux explosions ont pu être reliées aux auteurs des attentats.
Un revolver, de marque Bruni, a été découvert dans la zone de la première explosion, déclenchée par Ibrahim El Bakraoui et ayant fait 11 morts. Ce revolver était fortement endommagé à la suite de l’explosion et son traçage s’est révélé impossible, l’arme n’ayant jamais été enregistrée. L’enquête a permis d’établir que si le revolver était prêt à l’usage au moment des attentats, il n’a pas été utilisé. Trois balles ont cependant explosé à cause de la bombe. Toujours dans la zone de la première explosion, une grenade factice, d’exercice, a également été découverte.
Aux environs de la seconde explosion, un pistolet endommagé, de marque Zastava, a été retrouvé. Le pistolet était armé et prêt à l’usage, cependant Najim Laachraoui ne l’a pas utilisé. Un coup de feu a été accidentellement tiré suite à l’explosion.
Ces armes ont pu être reliées aux auteurs également grâce à la perquisition réalisée à la rue Max Roos, d’où sont partis les deux kamikazes le 22 mars 2016. Des cartouches de même type que celles retrouvées à l’aéroport ont été découvertes dans la cache. Des photographies des armes se trouvaient également sur l’ordinateur retrouvé rue Max Roos.
Selon les déclarations de l’accusé Mohamed Abrini, Ibrahim El Bakraoui et Najim Laachraoui étaient armés le jour des attentats par précaution, en cas de contrôle. Il suppose qu’ils avaient l’intention de tirer dans le sac contenant les bombes s’ils étaient contrôlés, même s’ils ne lui ont pas explicité leurs intentions.
Le commissaire a également brièvement abordé les cibles potentielles de l’attentat. Les terroristes auraient voulu cibler des vols en direction des États-Unis, de la Russie et d’Israël.
Avec Belga – Photo de couverture : Belga/Pool Benoît Doppagne