L’effet Cureghem, l’édito de Fabrice Grosfilley

Ce mardi, Fabrice Grosfilley évoque dans son édito le plan Good Move dans le quartier de Cureghem.

Cette fois, c’est officiel. Le plan Good Move est retiré dans le quartier de Cureghem. La proposition que le bourgmestre formulait sur notre plateau jeudi dernier est devenue une décision portée par l’ensemble du collège communal. 

À Anderlecht, on va repartir d’une page blanche. La majorité communale a reconnu dans un communiqué de presse que l’adhésion au plan n’était pas suffisante et que ce quartier méritait un plan de revitalisation globale et concertée. En clair, on va dans les prochains reparler de mobilité, mais aussi de sécurité, de prévention, d’emploi et de logement. Et en ce qui concerne la mobilité à proprement parler, on change de périmètre : on ne parlera plus de Cureghem dans son ensemble, mais de mailles plus petites à l’échelle de micro quartier.

Cette décision était attendue, c’est une victoire pour les riverains et tous ceux qui se sont mobilisés contre Good Move. Et c’est un rappel cruel à ceux qui portaient le projet : quand on veut changer la ville en profondeur, on ne peut pas le faire contre ceux qui y habitent. Quand on parle de démocratie participative, on doit s’assurer que tout le monde participe vraiment. Quand une grande partie de la population a le sentiment de ne pas avoir été écoutée, c’est le concept de démocratie qui finit par être abîmé. 

Alors bien sûr, il y a eu dans ce bras de fer ce que les spécialistes appellent la résistance au changement. On se méfie des nouvelles règles parce qu’elles nous font peur et on préfère rester dans le confort d’un système qui n’est pas parfait, mais auquel on est habitué. Et puis il y a eu de l’instrumentalisation aussi. Des groupes de pression sont intervenus. Dans les deux sens, et dans les deux sens, ils n’étaient pas tous issus du quartier de Cureghem. On ajoutera une instrumentalisation politique et vous comprenez que l’affaire était devenue difficile à gérer, le plan impossible à digérer. 

Dans tout ce qui a été dit et écrit sur ce plan Good Move, il y a plus grave que cela. C’est le sentiment qu’on put avoir certains habitants que la gestion de leur quartier était en train de leur échapper. Et pire encore, la conviction que ces mesures avaient pour objectif de leur rendre la vie impossible, qu’on était en train de les chasser de chez eux. Qu’il s’agissait de faire fuir les populations modestes qui continuent à utiliser leur voiture, pour les remplacer par une population plus jeune et plus aisée qui a désormais opté pour le vélo. 

Cette idée d’une gentrification rampante. Certains ont même employé l’horrible expression de grand remplacement, elle est assez glaçante. Bien sûr, l’idée qu’il existerait un plan concerté en ce sens ne tient pas la route, c’est une théorie du complot, rien de plus. En revanche, que les obstacles à la mobilité automobile puissent gêner, en particulier certaines classes populaires, ne doit pas être balayé d’un revers de main. Les partisans de la voiture à Bruxelles,  cela peut être une mère de famille qui dépose ses enfants à l’école, un petit artisan qui a besoin de se déplacer avec du matériel, un chauffeur de taxi ou un livreur dont toutes les courses sont minutées alors qu’il ne gagne pas forcément sa vie. 

Alors bien sûr, ce n’est pas une raison pour jeter Good Move avec les blocs de béton de Cureghem. Le plan global, celui à l’échelle de la région, ne doit pas finir au fond du canal. On a réellement besoin d’une mobilité plus fluide à Bruxelles, besoin d’améliorer la qualité de l’air, besoin de retrouver de l’espace public pour le rendre aux habitants. Ce qui n’est pas possible en revanche, c’est que la politique de mobilité se transforme en lutte des classes. Ni les partis de la majorité ni les Bruxellois dans leur ensemble n’y auraient intérêt.  Au contraire, ce serait prendre le risque qu’un effet Cureghem se reproduise dans d’autres quartiers.  

■ Un édito de Fabrice Grosfilley