Le soulagement et l’essoufflement, l’édito de Fabrice Grosfilley

Ce lundi, Fabrice Grosfilley évoque dans son édito le résultat des élections présidentielles françaises.

Ce sera Emmanuel Macron. Réélu pour cinq ans. On pourra se dire “ouf”, la démocratie française est sauvée. Mais on doit se dire aussi qu’elle est bien essoufflée.

Il y a des chiffres qui parlent d’eux-mêmes : 18 millions de voix ou un peu plus pour Emmanuel Macron, 13 millions pour Marine Le Pen. Cela fait 5 millions de voix en plus. La victoire est large pour le président sortant dont on ne pourra pas dire qu’il a volé son deuxième quinquennat. Mais si on ne s’arrête pas à ce seul face-à-face, on notera que 13 656 000 Français n’ont pas participé au scrutin et ils sont plus nombreux que les électeurs de Marine le Pen. Il faut encore prendre en compte plus de 2 millions de votes blancs, c’est énorme et 800 000 votes nuls. Au total, 19 millions de citoyens n’ont pas exprimé de préférence pour l’un des deux candidats. 

Ces chiffres sont interpellants parce qu’ils replacent l’élection dans une perspective qui est celle d’une sorte d’érosion de l’engouement démocratique. L’élection présidentielle est un peu la mère des élections françaises. Parce que le président de la République concentre énormément de pouvoir à la fois sur la scène internationale et nationale. Et parce que ce système de scrutin majoritaire à deux tours a des allures de phase finale de champions league. Un affrontement de personnalités fortes, avec une élimination en deux temps, un tour final avec un gagnant incontestable qui fixe le cap pour les cinq années à venir. Tous ces ingrédients qui font que même depuis la Belgique, nous suivons la compétition électorale avec beaucoup d’attention. 

Beaucoup d’attention, mais peut-être moins de passion qu’avant. Une fois la défaite de Marine Le Pen actée, il y avait comme une envie de tourner la page. Le monde continue d’avancer, passons à autre chose. C’est vrai, on ne saura jamais ce qu’auraient été les conséquences d’une victoire du Rassemblement National. Comment aurions-nous encaissé le choc ? Est-ce que l’Union européenne aurait simplement survécu ?  On ne saura pas. On souffle, et on reprend nos activités. Tout cela a un air de déjà-vu. Même la fête des partisans d’Emmanuel Macron, hier, avait les tristes effluves d’un mauvais remake, d’un mauvais feuilleton. Quand la saison 1 s’achève de manière poussive et qu’on se demande pourquoi il a fallu produire une saison 2. 

Vu de Bruxelles, on ne peut s’empêcher de penser que la politique française est en train de passer à côté de son sujet. Que devoir émettre un vote barrage tous les cinq ans finira par démotiver le plus civique des électeurs. Que ne pas pouvoir parler de réchauffement climatique, de désertification des campagnes, de déclassement social, d’autonomie alimentaire, de manipulation sur les réseaux sociaux, c’est quand même passer un peu à côté des grands sujets du moment. Tout ne se résume pas à l’identité et à l’immigration contrairement à ce que pensent certains politiques et certains responsables de rédaction. 

Redonner du souffle à sa démocratie. Ce sera l’un des grands travaux que l’on serait en droit d’attendre d’Emmanuel Macron pour les cinq années à venir. Et observer la France est aussi se voir dans un miroir déformant, on ne doit pas faire non plus l’économie d’une réflexion sur la situation belge. Est-ce que notre débat politique attire le citoyen ? Ses thèmes, sont-ils toujours actuels ? Quels sont ses enjeux ? Les jeunes y participent-ils ?  Tant qu’à ouvrir une consultation citoyenne, ce que fait aujourd’hui le gouvernement fédéral dans le but de préparer une prochaine réforme de l’État, ce sont ces questions qu’on doit se poser. Pas uniquement celle de l’équilibre communautaire. 

■ Un édito de Fabrice Grosfilley