Entre vandalisme et art urbain, quelle place pour les graffitis au Mont des Arts ?
Au cœur du Mont des Arts, la culture prend vie. Musées, jardins ou même Street art, ce lieu est une source d’inspiration pour les artistes. Mais, lorsque l’art joue sur la frontière entre vandalisme et art urbain, faut-il le faire disparaître ?
Lorsqu’on se balade dans le jardin du Mont des Arts, entre le musée des instruments et la place de l’Albertine, il n’est pas surprenant de voir les murs de la Bibliothèque Royale de Belgique recouverts de couleurs. Ces peintures murales ne cessent d’être nettoyées depuis des années par la Régie des Bâtiments, car elles ne sont pas autorisées. Depuis la fin des années 90, la question plane sur la définition de cet art. Faut-il considérer ces couleurs comme des tags ou bien comme des graffitis ? Selon le dictionnaire-art regroupant l’ensemble du lexique de l’univers artistique, le graffiti est une forme d’art qu’on peut classer dans le Street Art, un mouvement artistique qui s’exprime dans les lieux publics. Tandis que les tags sont associés à du vandalisme, c’est-à-dire un acte de destruction, de mauvais goût qui vise à endommager un site, une œuvre d’art ou même un paysage.
L’historique des graffitis au Mont des Arts
L’art des graffitis est apparu dans les années 60 aux États-Unis avant de se développer rapidement dans les rues bruxelloises à la fin du XXème. Depuis, les années 90, historiquement, le Mont des Arts a toujours été la cible de ces dessins muraux. La raison : le lieu n’abrite pas d’habitations, mais seulement des bâtiments fédéraux ou de la Ville. De plus, à la tombée de la nuit, le manque de lumière favorise les activités nocturnes de graffitis. Lorsque le soleil réapparaît, le Mont des Arts est un lieu très prisé des touristes, ce qui privilégie la visibilité des graffitis ou des tags. Depuis les années 2000, le nombre de graffitis est en constante augmentation d’après Pierre Frison, chef de projet chez WeArtXL, “ le graffiti a toujours eu sa place au Mont des Arts. Aussi loin qu’on puisse retourner en arrière, même dans les années 90, tous les murs du Mont des arts étaient systématiquement la cible de graffitis. Il y a eu ensuite un gros projet immobilier dans les années 2000 avec la construction du cube en verre. Le Mont des Arts a été, pour moitié, couvert de palissades en bois pendant plusieurs années, entre 2005 et 2011/2012. Et donc c’était une période où il y avait plus de graffitis et il y a eu une sorte de laisser faire. Et c’était devenu un point de rendez-vous du graffiti”.
Après les travaux du cube en verre, une politique d’embellissement a été instaurée. Il y avait alors systématiquement un nettoyage complet des murs qui entourent le jardin du Mont. Cependant, après le nettoyage des bâtiments, les graffitis revenaient dès le lendemain.
Le projet de l’Open Wall
Afin de maîtriser cet art urbain, l’association Dynamic’Art Collectif, présidée à l’époque par Pierre Frison, a lancé le projet “Open Wall”. L’objectif de ce mur en bois de 200 m² était de canaliser les graffitis au même endroit sans que cela abîme les bâtiments. “L’open wall est un projet qui a été étudié à partir de 2013-2014 et qui a été créé en 2015 et qui se voulait être le premier mur d’expression libre de Bruxelles”, explique l’ancien président. En effet, il y avait peu de zones d’expression à Bruxelles, à l’inverse des autres capitales européennes, en raison d’une brigade anti-tag au sein de la police bruxelloise. La particularité du Mont des Arts vient de sa localisation. En général, le Street art est présent dans des zones de friches, alors qu’ici, c’est au cœur de la ville que l’art s’exprime.
Pendant deux ans, le projet de l’Open Wall a eu l’effet escompté. Les graffitis se sont concentrés sur les panneaux en bois mis à disposition sous les arcades. Les dessins qui débordaient sur les murs étaient immédiatement nettoyés. Malheureusement,“le projet a tout de suite été victime de son succès, dans le sens où c’est très compliqué de maintenir le graffiti sur un mur”, d’après Pierre Frison. Malgré des demandes de l’association sur les réseaux sociaux à respecter les lieux, en précisant que le mur était là pour l’expression artistique et non pour de la dégradation, de nombreux débordements ont eu lieu. C’est une des principales raisons de l’arrêt du projet. En effet, à force de nettoyer les graffitis, les murs des bâtiments classés voyaient leur surface s’altérer.
Le Street art et les sanctions
Depuis la fin de l’Open Wall en 2018, les artistes n’ont plus de lieu autorisé au Mont des Arts pour s’exprimer librement. Si l’on souhaite réaliser de l’art urbain sur les murs de la Bibliothèque Royale, il faut, dorénavant faire une demande auprès de la Ville de Bruxelles. Plusieurs critères doivent être reconnus afin de s’exprimer légalement au Mont des Arts : être en possession d’un diplôme à vocation artistique et avoir reçu un avis positif du jury artistique. C’est pour cette raison que l’éléphant de l’artiste Bonom, qui tombait du mur de la bibliothèque a été autorisé (aujourd’hui, il n’est plus présent).
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Malgré, l’absence de l’Open Wall, l’activité des graffeurs continue. Selon le règlement général de la police, ces artistes sans autorisation encourent une amende administrative de maximum 350 euros. En cas de constatation d’une telle d’infraction, l’autorité communale compétente peut faire procéder d’office au nettoyage et à la remise en état du bien visé, aux frais du contrevenant. De plus, Bruxelles-ville incite sa population à signaler les tags et graffitis dans les rues.
Cependant, jusqu’à l’année dernière, quelques problèmes de logistiques étaient constatés. Sur le site Parcours Street Art de la Ville de Bruxelles qui répertorie toutes les œuvres de rues, malgré la suppression de l’Open Wall, ce spot de libre expression était toujours mentionné. Pierre Frison explique “qu’il est arrivé deux/trois fois que des artistes soient verbalisés par la police, en train de peindre. Parfois on a un artiste qui ne parle pas français, qui se fait attraper en train de peindre, qui montre le site de la Ville de Bruxelles qui dit que c’est un espace d’expression libre”. Actuellement, le Mont des Arts ne figure plus sur le site du Parcours.
Un nettoyage obligatoire des bâtiments, mais difficile
Si les graffitis ne sont plus autorisés au Mont des Arts, il faut les nettoyer selon le règlement de la police. Cependant, la grande question concernant ce lieu est de savoir qui doit nettoyer ? Les bâtiments comme la Bibliothèque ou le palais de la Dynastie n’appartiennent pas à la Ville, mais à la Région. Ainsi, c’est au fédéral, donc à la Régie des bâtiments de s’occuper des tags. Pour la partie jardin, c’est Bruxelles-Propreté qui se charge de l’entretien des plantes. Mais, de nombreuses plaintes concernant les tags arrivent à Ville de Bruxelles qui ne peut rien faire, car “ce n’est pas de (leur) ressort“. Ainsi, quelques tensions peuvent apparaître entre les services de propreté de la ville et du fédéral.
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Du côté de la Régie des bâtiments, le porte-parole, Johan Vanderborght, explique que “dans la mesure du possible nous essayons de faire un nettoyage annuel suivi d’une couche anti-graffiti“. Cette protection permet de protéger la surface des bâtiments tout en facilitant le futur nettoyage si des graffitis apparaissent de nouveau. Ce nettoyage “s’étend en cas de besoin jusqu’à la place du Musée, voire au musée des Instruments” et coûte environ 20.000 euros par an à la Région.
D’après le secrétaire d’État responsable de la Régie des Bâtiments, Mathieu Michel, la prochaine opération de détaguage devrait avoir lieu avant l’été.
Ca.Pa. / Images Facebook de l’association Dynamic’Art Collectif et BX1