Les défis de Rudi Vervoort : “Smartmove avant 2024 ? Ce sera difficile…”
Pendant une semaine, BX1 vous propose une série d’entretiens avec le ministre-président de la Région bruxelloise et les présidents de partis francophones. Comment ont-ils vécu cet été marqué par le Covid 19, les inondations en Wallonie, le changement de régime en Afghanistan ? Comment appréhendent-ils la rentrée et ses grands enjeux politiques, sanitaires, institutionnels ? Premier rendez-vous avec le ministre-président de la Région bruxelloise, Rudi Vervoort (PS).
L’entretien a lieu le vendredi 20 août, quelques heures avant la tenue du comité de concertation. Nous sommes à son cabinet rue Ducale. Un mobilier contemporain répond au bâti ancien, type trois pièces en enfilade. Le ministre-président vient d’accorder une série d’interviews aux médias nationaux. Il est détendu et il assume : oui, sur la gestion du Covid 19, il y a des décisions difficiles à prendre et qui ne rendent pas populaire. C’est notamment le cas quand on décide que les élargissements attendus dans l’Horeca doivent être reportés d’un mois en Région bruxelloise.
« C’est mon rôle, ma responsabilité. On dit souvent ‘ils ne sont jamais là quand il faut’. A chaque fois qu’on a eu des mesures spécifiques à annoncer sur Bruxelles, c’est moi qui l’ai fait. Sur le couvre-feu avec des horaires différents ou sur d’autres règles plus strictes, à chaque fois que c’était nécessaire, on a pris des mesures spécifiques bruxelloises.”
Vous comprenez que l’Horeca bruxellois crie à l’injustice ?
“Bien sûr. On n’a pas exclu qu’une série d’aides soient maintenues. Mais il y a une série de cafés ou de restaurants qui ne verront pas la différence. Parce que c’est pas à 1 heure du matin qu’ils font leur chiffre d’affaire. Et 8 personnes, c’est déjà une belle tablée. Là où cela risque d’être pénalisant pour certains, c’est le respect d’1m50 entre deux tables. Mais là ou le virus circule, c’est dans les lieux fermés où l’on reste plus d’un quart d’heure. Ce n’est pas pour embêter l‘Horeca, mais il coche toutes les cases, et c’est là qu’il faut maintenir des règles. Avec le variant Delta, nous faisons juste de la gestion de risque.”
La gestion du coronavirus et l’amélioration du taux de vaccination sont donc la grande affaire du moment, le projet numéro 1. Le ministre-président, qui a pris quelques jours de repos en Italie, reconnait que cela l’a travaillé aussi pendant ses congés.
“C’est un été où j’ai ressenti moins de pression que l’an dernier, où il n’y avait pas une journée sans discussion sur le Covid19, mais je ne me faisais guère d’illusion sur le retour. Dès le début de l’été, on savait que les chiffres de la vaccination n’étaient pas bons, et qu’il faudrait réfléchir à de nouveaux moyens d’actions. Si je prends le passe sanitaire, ces congés m’ont encore plus convaincu de son utilité. J’étais en Italie et j’ai été surpris par le respect des règles des Italiens, je trouve que ça aide à se sentir en sécurité, même si elle n’est pas totale. Et une autre grande leçon, c’est la disparité des règles en Europe : c’est un échec européen.”
Bruxelles et le coronavirus : une ville à deux vitesses
“Cette pandémie révèle à certains (mais pas à moi) la dualisation croissante d’une ville-région comme Bruxelles. Avec des zones qui cumulent les handicaps : taux de chômage, précarité, mauvaise qualité du bâti… On peut observer cette fracture de manière très précise. Avec des populations avec des métiers en première ligne où on ne peut pas télétravailler, avec des logements mal aérés où on est plus nombreux, un moins bon suivi médical, une moins bonne alimentation, etc. Ce sont les quartiers où la mortalité liée au Covid a été la plus élevée. Et ce sont les mêmes où le taux de vaccination est aujourd’hui le plus faible. C’est la même chose dans une grande agglomération comme Paris, ce n’est pas une exception bruxelloise. Chez les jeunes, il faut en plus ajouter une opposition idéologique, y compris dans des quartiers plus aisés, de type antivax. On sous-estime la grande méfiance pour les autorités publiques et ce qu’ils appellent « le système ». On n’est pas très bon sur les 12-17, mais on n’est pas bon non plus sur les 18-35, et ça se marque plus à Bruxelles, qui a une population plus jeune que les deux autres régions.
Pour certains, expliquer les choses, c’est comme si on voulait les excuser. Il faut que ce soit blanc ou noir, surtout sur les réseaux sociaux. Mais il faut pouvoir comparer Bruxelles à Paris ou Berlin. A Berlin par exemple, ils ont pu installer un passe sanitaire. Ce sont des moyens d’amener les habitants à se faire vacciner. Car au-delà de ceux qui ne veulent pas se faire vacciner, il y en a un nombre important de personnes qui restent indifférentes à la vaccination, parce que cela ne change pas leur vie. Si le passe sanitaire peut les inciter à le faire, c’est intéressant, parce qu’améliorer le taux de vaccination reste l’objectif.”
Lutter contre le réchauffement climatique et n’oublier personne
On quitte le Covid pour évoquer les inondations en Wallonie et la lutte contre les dérèglements climatiques.
“On doit réfléchir à la place de la voiture dans la ville : annoncer la fin du thermique, on n’est pas les seuls, et la plupart des constructeurs l’annoncent aussi. Entre l’électrique, l’hydrogène, la voiture particulière, c’est le coût économique qui tranchera. Je crois que le thermique n’a pas dit son dernier mot. Mais il y a des priorités en terme de production de CO2. Et cela passe par les progrès technologiques et une adaptation de nos modes de vie. Mais cela doit passer par l’économie. Quand on vend un kilo de tomates qui vient de l’autre bout de la Terre moins cher que celui qui est produit à coté, il y a un souci. Et là aussi, il y a une fracture socio-économique : les populations les plus précaires sont celles qui souffrent le plus de la pollution et du réchauffement, mais ce sont celles qui ont le plus de mal à se tourner vers les nouvelles technologies. Pour moi, comme socialiste, je ne peux pas accepter l’idée qu’on laisse une partie de citoyens sur le bord de la route et qu’on trouve que rouler à l’électrique est très bien si certains ne peuvent pas se le payer.”
Smartmoove avant la fin de la législature : projet compromis ?
“On attend l’avis du conseil d’Etat qui tombera, je suppose, en septembre. On verra ce qu’il contient. Ca va devenir compliqué de le mettre en œuvre en 2022. Il faudra encore discuter avec les deux autres Régions, on ne peut pas faire le coup de force. Les Flamands ne sont pas complétement opposés à l’idée, le problème est du coté wallon, tous partis confondus, y compris chez Ecolo. Et le problème, c’est que 2023 est juste avant 2024…” (donc trop proche d’une échéance électorale si on a bien saisi le sous-entendu du ministre-président).
La Belgique à 4 et la fin de la Fédération Wallonie-Bruxelles ?
“La disparition de la Fédération Wallonie-Bruxelles est une chose… et puis il y a les conséquences. A Bruxelles, ça signifierait que la Cocof récupérerait ses compétences, mais je ne suis pas sûr que la Flandre soit prête à abandonner l’enseignement et la culture à la Région bruxelloise, abandonner les vitrines culturelles à Bruxelles ? J’ai quelques doutes. La Flandre, c’est d’abord une communauté avant d’être une région. La Wallonie a le point de vue inverse, il ne faut pas l’oublier.
On a déjà testé beaucoup de choses… Les doubles casquettes par exemple… La configuration actuelle me semble la bonne coté francophone avec un gouvernement de la Fédération resserré et une grosse compétence confiée à une Bruxelloise, ce qui permet d’équilibrer les rapports entre Wallons et Bruxellois.”
Le grand projet du canal
“La zone du canal reste mon grand projet, qui s’étale sur plusieurs législatures. Quand on voit tout ce qui se concrétise, sur toute la longueur de cet axe, c’est assez extraordinaire. Le musée Kanal, les équipements publics, le logement… On réhabilite une zone qui était à la ramasse, qui n’était pas considérée comme intéressante. Et donner l’idée que Bruxelles est aussi un peu une ville d’eau est un élément apaisant. Cela fera partie des “hot spots” qui sont des enjeux touristiques mais aussi des lieux de réconciliation urbaine. Même si tout n’est pas parfait et que certaines zones deviennent impayables. C’est ma satisfaction d’avoir redessiné certains contours de la ville, même si la concrétisation se fera sur le temps long. J’ai vraiment le sentiment que malgré des moments de tensions, tous les Bruxellois vivent de manière apaisée dans leurs quartiers. On parle parfois d’émeutes quand il y a des incidents, mais si on compare à d’autres grandes villes européennes… Ce modèle bruxellois, c’est ce qu’il y a de plus fragile mais de plus intéressant à construire. Et avec les bourgmestres, là-dessus, on a une unité de vue. D’ailleurs, dans la gestion de la crise Covid, les réunions du conseil régional de sécurité ont très bien fonctionné.”
Son avenir personnel ? Arrêtera-t-il en 2024 ?
On termine l’entretien en demandant à Rudi Vervoort s’il a l’intention de briguer un nouveau mandat en 2024. Le soupir est profond.
« Je ne sais pas. J’y pense beaucoup. Je suis coupé en deux. Une partie de moi ressent une certaine lassitude, j’éprouve moins de plaisir personnel et intellectuel qu’avant. Mais d’un autre côté, la politique est un virus qui vous quitte difficilement. Ma première élection, c’est 1982, mais ça reste une passion. Et je voudrais poursuivre des politiques qui me tiennent à cœur. Je ne fais pas cela en dilettante, ça occupe une grande partie de la pensée. La politique m’a apporté énormément, quel que soit le mandat exercé. Mais je ne voudrais pas partir avec un goût amer. On est poussé par quelque chose qui nous dépasse, mais on ne voudrait pas avoir fait un tour de trop. Donc c’est un peu les deux. Tout cela est très complexe. Mais la décision n’est pas prise. Vraiment pas.”
Fabrice Grosfilley