Enseignement fondamental : les directions d’école s’épuisent, et n’ont toujours pas de solution en vue
Multiplication des charges administratives, gestion des absences d’élèves et d’enseignants, mais aussi mise en œuvre des plans de pilotage prévus par le pacte d’excellence : les directions des écoles fondamentales s’épuisent sous le poids de l’accumulation des tâches. Et tirent la sonnette d’alarme.
Elle a l’impression de faire rentrer trois journées en une seule. Stéphanie Gob est directrice à Notre-Dame des Grâces, une école maternelle et primaire située à Woluwe-Saint-Pierre. Depuis la rentrée, ses journées commencent à 7h du matin et se terminent à 22h. « Le plus difficile pour l’instant, ce sont les circulaires liées au Covid. », explique-t-elle. « Il en arrive quasi tous les jours, parfois plusieurs centaines de pages. Nous n’avons même plus le temps de les lire. » Cette inflation de documents émanant de l’administration de l’enseignement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, ils et elles sont nombreux à s’en plaindre. Comme Mireille Piette, directrice dans une école communale de Schaerbeek : « Il faut tout lire, relire, tout vérifier, il y a constamment des correctifs et des changements. C’est une charge énorme. ».
Mais cette rentrée hors norme ne se limite pas au suivi des textes de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Car si en temps normal, la barque est déjà fort chargée, en temps de crise sanitaire, elle se trouve pour beaucoup sur le point de déborder. Il faut gérer “les situations covid“. Les quarantaines se multiplient. Il faut organiser les départs et retours des élèves, mais aussi le remplacement des enseignants, une logistique d’une grande complexité. « Il manque des profs depuis le début de la rentrée, on essaie de s’arranger au sein de l’équipe mais c’est une gestion très compliquée, qui prend énormément de temps et d’énergie. », poursuit Mireille Piette. Et puis il y a la lourdeur de la mise en application des mesures sanitaires et d’hygiène, alors que sans cela, le programme est déjà conséquent : « Nous sommes plombiers, électriciens, quand il le faut, nous sommes sollicités constamment pour tout ce qui concerne la gestion quotidienne. », expose Stéphanie Gob. « Je n’ai pas une minute pour faire du pédagogique, car je passe tout mon temps à gérer l’urgence. », déplore de son côté Mireille Piette. Les directions souffrent aussi d’un manque chronique de personnel d’encadrement, aussi bien sur le plan administratif qu’éducatif : l’équipe se limite bien souvent à une secrétaire, pas toujours à temps plein, pour accompagner la direction dans ses multiples tâches. Le covid agit comme un révélateur de problèmes chroniques et systémiques.
Des tâches sans fin
Alors certains sont au bord de l’épuisement. C’est que, à côté des particularités liées à la crise du covid, les missions générales allouées aux directions d’établissements demeurent, en ce qui concerne notamment le pacte d’excellence : la mise en œuvre des plans de pilotage, qui implique un surcroît de travail non négligeable, et « suppose en outre de pouvoir se réunir régulièrement ce qui s’avère difficilement faisable depuis le début de la crise»; l’organisation des FLA ( (Français langue d’apprentissage – dispositifs visant l’apprentissage de la langue de l’enseignement notamment dans les écoles accueillant des élèves primo-arrivants – NDLR) – “mais nous manquons d’enseignants pour les assurer“, s’alarme Mireille Piette -; ou encore l’application des référentiels de compétences portant sur le maternel, dans le cadre de la mise en place du tronc commun. « Ils doivent entrer en application maintenant, alors que de nombreux enseignants n’ont pas pu terminer leur formation en raison des mesures de confinement du printemps. », s’irrite Séphanie Gob, lassée du manque de prise en compte par le pouvoir régulateur du contexte sanitaire. Et de demander, compte tenu des conditions actuelles, un délai dans l’application des nouvelles mesures.
Reconnaissance et revalorisation
L’état de grande fatigue et de détresse des directeurs et directrices du fondamental est en effet liée au cumul de trois difficultés : une rentrée classique est déjà une épreuve car les directions se sentent très seules; la mise en place du pacte d’excellence qui représente une surcharge de travail; enfin le Covid, qui n’arrange rien, résume Godefroid Cartuyvels, le secrétaire général de l’Enseignement fondamental catholique (Segec). Le sujet était au coeur d’une rencontre organisée cette après-midi entre le Segec (et à la demande de celui-ci) et la ministre de l’Education de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Caroline Désir (PS). “Nous avons fait part de nos préoccupations et demandé une réflexion sur la temporalité de mise en oeuvre des plans de pilotage; ainsi que sur la situation des directions au niveau administratif.” rapporte Godefroid Cartuyvels, se réjouissant au passage d’avoir bénéficié d’une “excellente écoute” de la part de la ministre.
De son côté le CECP, fédération représentative des pouvoirs organisateurs de l’enseignement communal et provincial, met l’accent sur la nécessité d’octroyer aux directions une aide éducative et administrative; et sur l’importance d’une simplification administrative, pour soulager les équipes. Il en appelle à la “bienveillance”, pour ce qui est de l’évaluation des plans de pilotages. Enfin, son secrétaire général adjoint, Dominique Luperto insiste aussi sur l’indispensable revalorisation salariale des directeurs et directrices, “à la hauteur de leurs lourdes et larges missions.”
Les directions crient à l’aide. Seront-elles entendues ? Au cabinet de la ministre Cabinet Désir, on nous répond : « Nous sommes conscients des difficultés et des charges qui pèsent sur les directions, et cherchons des solutions. » Sans davantage de détails.
S.R. (Photo : BX1)