Rue de la Loi : la victoire idéologique de l’extrême-droite flamande (J+12)
Faut-il avoir peur du Vlaams Belang et de sa percée électorale ? Politiquement, sans doute pas, le Vlaams Belang n’est pas aujourd’hui en mesure d’accéder au pouvoir. Culturellement et idéologiquement la réponse est oui. L’extrême droite ne sera pas dans les gouvernements, mais ses idées en train de percoler. Que ces idées là finissent par être banalisées et acceptées comme des opinions convenables n’est plus un danger hypothétique. Il est en train de se réaliser sous nos yeux.
Commençons par être rassurant. Au plan institutionnel le Vlaams Belang n’est pas une menace immédiate. Les deux informateurs l’ont indiqué : l’extrême-droite n’a pas été invitée aux discussions au niveau fédéral. La possibilité de voir ses élus participer au pouvoir fédéral est aujourd’hui égale à zéro. Même chose au niveau du gouvernement flamand. C’est vrai, Bart De Wever a reçu Tom Van Grieken. Mais on comprend bien qu’il s’agit d’envoyer un signal aux électeurs du parti d’extrême droite, pas de gouverner avec lui. Pour une raison très simple : N-VA et Vlaams Belang ne forment pas une majorité et aucun autre partenaire n’acceptera de monter dans une telle coalition.
Le danger n’est pas écarté pour autant. Les résultats du 26 mai ont remis le Vlaams Belang au centre du jeu. D’un point de vue organisationnel d’abord. La dotation publique versée au parti d’extrême droite va passer de moins de 3 à presque 8 millions. Sa présence à la chambre (où il passe de 3 à 18 députés) va être démultipliée. On passe d’une situation où le Belang avait presque disparu du parlement fédéral, il ne formait même pas un groupe parlementaire, à une position de 3ieme parti de Belgique. Cela veut dire qu’il sera présent dans toutes les commissions parlementaires, et qu’il obtiendra la présidence de l’une d’entre elles.
Par extension la progression du Vlaams Belang aura d’énormes répercussions dans les équilibres de nombreux organismes publics ou para-publics. On a parlé de la VRT où N-VA et Vlaams Belang vont avoir ensemble une majorité de blocage au sein du conseil d’administration, mais on peut penser aux théâtres, à la société de transport de Lijn et à toutes les intercommunales. Il faudra attendre le renouvellement progressif des conseils d’administration pour en saisir la portée réelle. Ouvrons une parenthèse : ceux qui voudraient mettre sur un pied d’égalité l’extrême-droite et extrême -gauche commettent une erreur majeure, celle de vouloir comparer uniquement la tentation autoritaire des deux mouvements, alors que l’extrême-droite porte en elle une dimension xénophobe qui lui est parfaitement spécifique et absolument inconciliable avec notre idéal des lumières.
Le plus grave dans notre situation est l’acceptation des idées d’extrême-droite par une grande partie de l’électorat et des leaders d’opinion. Même le président du SPA, le parti socialiste flamand, finit par intégrer cette dynamique à son propre discours. Avec une incompréhension totale entre francophones et néerlandophones sur la notion de cordon sanitaire. Pour nous, francophones, le cordon sanitaire, s’applique déjà au niveau de l’expression de l’idéologie. Cela veut dire qu’on ne débat pas avec l’extrême-droite et qu’on ne lui permet pas d’avoir accès aux médias pour que sa propagande ne puisse pas se répandre. Pour les néerlandophones la notion de cordon sanitaire ne concerne que le pouvoir exécutif. L’extrême droite est donc fréquentable, même le président du PTB débat avec elle sans rechigner, et on a même vu ses représentants participer à des émissions de télévision destinées aux enfants.
Nous retiendrons de la soirée du 26 mai que la NVA ne s’estime même plus liée par cette notion déjà réduite de cordon sanitaire. Gouverner avec l’extrême droite n’est plus un tabou pour elle. On mesure dès aujourd’hui les effets très concrets de cette légitimation accordée au Vlaams Belang. C’est ce courrier anonyme adressé aux étrangers à Alost, leur signifiant qu’ils ne sont plus les bienvenus vu les résultats de l’élection dans leur commune. C’est ce professeur d’université, qui ferme un site internet hostile à l’extrême droite parce qu’il est menacé de mort. Ce sont les insultes répétées à longueur de journée, sur les forums internet, ou aux comptoirs des cafés. Les idées d’extrême-droite percolent, ceux qui les combattent sont pris à parti sans ménagement, et le recours à la violence quasiment légitimé.
En faisant de l’identité et de l’immigration son thème de campagne la NVA aurait ainsi ouvert la boite de Pandore, et l’électeur préférant l’original à la copie lui aurait donc (en partie) préféré celui qui tient le discours le plus radical. Très bien, revenons à des questions socio-économiques, et le problème sera réglé, pourrait espérer un esprit raisonnable. Sauf que là où la N-VA résiste le mieux c’est quand elle tient elle-même un discours populiste, par exemple dans le fief de Theo Francken, en Brabant Flamand. Rien n’indique donc que la N-VA changera à court terme de stratégie. Le danger principal est là : dans la libération d’une parole raciste, une priorité à accorder aux siens pour mieux rejeter les autres, qu’ils soient noirs, musulmans, francophones, homosexuels, etc.
La banalisation est tellement forte que ce sont ceux qui la combattent qui finissent par se sentir stigmatisés. On ne convoquera pas la référence aux années 1930 dont on sait qu’elle est parfaitement inefficace. Mais on rappellera que ces paroles-là, anodines, elles ne le sont point. Ne pas le faire c’est perdre bien plus que des élections.