Vaccination : les soignants souhaitent, eux aussi, être prioritaires

Le mouvement citoyen Take care of care a adressé, ce mardi, une lettre ouverte au ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke (sp.a). Ceux-ci demandent à être, eux aussi, prioritaires quant à la vaccination à grande échelle qui débute cette semaine.

Dans cette lettre ouverte, une quarantaine de spécialistes du milieu médical appellent le ministre de la Santé à revoir la stratégie de vaccination, et à inclure le personnel soignant parmi les personnes à vacciner au plus vite. Parmi les signataires, des noms connus de la crise sanitaire : l’infectiologue Leïla Belkhir (UCL), l’épidémiologiste Yves Coppieters (ULB), le responsable des unités COVID d’Erasme, Jean-Christophe Goffard, mais aussi des directeurs médicaux d’hôpitaux, comme Philippe El Haddad (CHIREC) et Jean-Michel Hougardy (Erasme).

La lettre ouverte adressée au ministre de la Santé

Mon sentiment de révolte a été déclenché au moment où on a appris qu’il y aurait une réduction de 50% des doses du vaccin de Pfizer : je me suis dit que cela allait retarder assez fort la vaccination des soignants. En clair, je crains que, si on ne change pas les choses, on reste 2-3 mois sans être vaccinés. Cela me paraît assez inacceptable, en particulier dans ce contexte de mutants du virus qui sont plus contagieux. Cela va entraîner des conséquences pour les soignants, et le système de santé tout entier, qui est déjà à flux tendu“, nous explique Elie Cogan, médecin au CHIREC, professeur émérite de médecine interne à l’ULB, et également le porte-parole du mouvement citoyen Take Care of Care, à l’origine de la lettre au ministre.

D’abord prioritaires… ensuite un peu moins

Et si le courroux de ces soignants est si important, c’est que le plan d’origine, proposé par le Conseil Supérieur de la Santé, prévoyait qu’ils soient vaccinés en même temps que les maisons de repos. “En juillet, le Conseil Supérieur de la Santé, avec une analyse qui était assez pertinente, avait conclu cet ordre de priorité : à savoir, les soignants d’abord. Mais ensuite, la task force vaccination a, le 2 décembre, changé l’ordre des priorités. Alors qu’entre-temps, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a pris une position bien documentée, en particulier dans un contexte de disponibilité moindre du vaccin, que les soignants devaient être prioritaires” relate le professeur, “On n’a donc pas très bien compris pourquoi la task force vaccination a pris cette option différente, avec un document où les choses ne sont pas si claires que ça : dans le texte, on dit que les soignants sont après, dans le tableau on dit que les soignants sont en même temps, et dans la figure on voit qu’on est un peu décalé. Et au final, on constate que ce sera clairement après“.

Le ministre Alain Maron répond aux signataires

Interrogé par Fabrice Grosfilley dans Toujours + d’Actu, le ministre bruxellois de la Santé, Alain Maron (Ecolo), a déclaré que “bien entendu, nous les entendons. Ils sont dans la phase 1A, c’est-à-dire la première des priorités. À l’intérieur de cette phase 1A, il a fallu mettre des priorités, vu le faible nombre de doses de vaccin disponibles par les firmes. On a donc décidé de commencer par les maisons de repos, mais dès que possible, dans la foulée, évidemment que le personnel de soins dans les hôpitaux sera vacciné, sans doute fin février-début mars, dépendant de la rapidité à laquelle les entreprises vont délivrer et nous fournir les vaccins“.

C’est qui est positif, c’est cet engouement pour le vaccin des personnes en maison de repos, et aussi du personnel de soins. Pour cette carte blanche, j’ai envie de retenir ceci : le personnel soignant croit en le vaccin, ils ont envie de se faire vacciner le plus rapidement possible. C’est un message important pour la population. Les experts que vous voyez à la télévision, mais aussi les soignants qui sont dans les hôpitaux (…) disent ‘nous voulons nous faire vacciner le plus rapidement possible’, cela veut dire qu’ils veulent aussi que la population soit vaccinée“, ajoute le ministre.

Des soignants non-vaccinés, un danger pour le fonctionnement du système de santé

L’une des raisons de cette lettre ouverte est aussi que, selon les signataires, attendre trop longtemps pour vacciner le personnel soignant peut avoir un risque. “L’impact d’une contamination de soignants, soit s’ils sont malades, soit s’ils sont mis en quarantaine, va faire en sorte (…) qu’on va se retrouver dans une situation de difficulté d’ouverture de lits. Dès maintenant, avec cette deuxième vague qui n’est pas encore tout à fait terminée, tous les lits de soins intensifs ne sont pas ouverts car il manque de personnel. Donc on risque d’aggraver cette situation qui est déjà à flux tendu actuellement. Il y a donc un impact direct entre la vaccination des soignants et le fonctionnement du système de santé“, explique le professeur Elie Cogan.

Et outre cet argument très rationnel, “il y a un argument éthique : dans quelle mesure, éthiquement, il n’est pas plus raisonnable de commencer par les soignants ? Il y a d’excellentes recommandations du Comité d’éthique luxembourgeois qui concluent dans ce sens, en ajoutant des éléments intéressants, des fondements utilitaristes qui peuvent être utilisés en terme d’éthique dans un contexte sanitaire“, ajoute Elie Cogan.

Revoir la stratégie de vaccination ?

Il faut revenir à ce qui aurait normalement dû être décidé : au moins en même temps. Il faut revoir la stratégie dans cette optique-là. Il me paraît difficile, au stade où on en est, avec la logistique qui a été mise en place, de faire table rase de tout et de changer l’ordre complet des priorités. Mais par contre, comme en France, de pouvoir simultanément, selon une stratégie à définir, vacciner les soignants sans délais“, conclut Elie Cogan.

■ Explications d’Arnaud Bruckner dans Toujours + d’Actu