Quand débutera un vrai déconfinement ? Questions-réponses avec Yves Coppieters

Ce vendredi, le Comité de concertation n’a pas annoncé de réel assouplissement des mesures sanitaires. Au lendemain de ces annonces, nous avons interrogé Yves Coppieters, médecin épidémiologiste et professeur de santé publique à l’ULB.

Pas de réel assouplissement décidé lors du Comité de concertation de ce vendredi, sauf pour les auto-écoles. Est-ce que cette absence d’assouplissement se justifie du point de vue épidémiologique ?

Yves Coppieters : D’abord, on n’attendait pas d’assouplissement lors du Comité d’hier. On attendait deux choses : des perspectives pour les secteurs (une planification de réouverture des secteurs prioritaires dans l’ordre du déconfinement) et un calendrier vaccinal rapide et précis (à quel moment chaque groupe-cible sera vacciné). C’est clair que par rapport à la situation épidémiologique, on est encore loin du compte des cibles fixées par le gouvernement (35 admissions quotidiennes à l’hôpital, et 800 nouvelles transmissions quotidiennes) : on est au double actuellement pour ces deux indicateurs. C’est clair que face à cette situation épidémiologique, c’était un peu précoce d’envisager des réouvertures.

Et quid des auto-écoles, qui peuvent reprendre leurs activités ?

Yves Coppieters : Le paradoxe, c’est d’avoir relâché les auto-écoles. C’est tout à fait anecdotique, sauf qu’il n’y a pas de justification, de communication autour de cela. Et c’est vrai que, sans doute au cours du Comité de concertation d’hier, il a manqué de la communication, de pédagogie pour savoir quelles sont les perspectives et justifier le choix de l’ouverture de ce secteur par rapport à d’autres qui sont aussi prioritaires.

Les secteurs toujours fermés manquent-ils de perspectives ?

Yves Coppieters : La seule perspective qu’on a appris, c’est qu’il y aura un comité de concertation le 22 janvier prochain, lors duquel il y aurait de futures perspectives pour les métiers de contact, pour, j’imagine, suivant les listes des priorités, la culture, les sports en extérieur, etc. On espère que le 22 janvier prochain, on ait cette information, si ce n’est que c’est dans quinze jours, et que la situation épidémiologique peut aussi évoluer dans un sens favorable, on l’espère comme actuellement, ou dans un sens défavorable. Parce qu’il y a toute une série de facteurs environnementaux, comme le froid, la reprise des activités scolaires, sans doute moins de télétravail, et la crainte que les souches variantes au Royaume-Uni et dans d’autres pays puissent venir augmenter les contaminations dans notre population. Là, il y a toute une série d’inconnues, et c’est clair que dans quinze jours, malheureusement, peut-être que ces inconnues peuvent influencer le profil épidémiologique de l’épidémie en Belgique.

Durant les vacances, quelques milliers de Belges sont partis à l’étranger. S’il doit y avoir un impact, quand le ressentirons-nous ?

Yves Coppieters : Pour le 22 janvier prochain, on ressentira à la fois l’impact de la nouvelle année, puisqu’on n’arrive pas encore à la mesurer, c’est trop tôt, et l’impact des retours de vacances qui semble être géré potentiellement grâce à la stratégie de testing aux jours 1 et 7, et à la mise en quarantaine a priori des personnes revenant de zones rouges. Alors, il semble malheureusement que l’adhésion à ces mesures ne soit pas optimale, mais vu le nombre quantitatif de personnes qui ont voyagé proportionnellement à la population belge, à mon avis la situation doit être gérable.

Lors du prochain Comité de concertation, il se murmure que les coiffeurs seraient autorisés à rouvrir le 25 janvier. Cela vous semble un objectif réaliste ?

Yves Coppieters : Je pense qu’on a compris que l’épidémie serait encore forte au moins jusqu’à la fin de l’hiver. Et donc on est quand même dans une stratégie stop & go, c’est-à-dire que l’on relance des activités, et on les arrête en fonction de l’évolution de l’épidémie. Et c’est clair que comme les indicateurs au niveau national sont plutôt favorables même s’ils ne sont pas optimaux, et qu’on est toujours dans une phase descendante, on aurait pu imaginer un relâchement d’autres activités en plus des auto-écoles, en tout cas dans un délai beaucoup plus court. Avec toujours l’importance d’avoir des protocoles sanitaires très stricts pour ces secteurs qui rouvrent, et une information très claire en leur disant qu’il y a un risque de fermeture en fonction de l’évolution de l’épidémie. Si les secteurs sont prêts à jouer le jeu du stop & go, je pense que cela aurait pu être une solution envisageable. Pas, bien sûr, pour l’ensemble des secteurs, ni pour l’horeca malheureusement ou d’autres secteurs plus à risque, mais pour toute une série de secteurs prioritaires dans lesquels les risques sont faibles si les protocoles sont appliqués, et éventuellement contrôlés, on aurait pu l’envisager.

Dans l’horeca, quand doit-on prévoir un assouplissement ? Et devra-t-il être graduel en fonction du type d’établissement ?

Yves Coppieters : Dire à partir de quand, c’est compliqué. Car l’évolution de l’épidémie est quand même encore assez forte, et on sait que, malheureusement, ce sont encore des milieux plus à risque puisque, lorsqu’on mange ou boit un verre, on enlève le masque et il y a une promiscuité de personnes dans des établissements clos ou parfois mal ventilés. Là, c’est très compliqué à dire. Je pense qu’on pourrait imaginer une perspective pour ces secteurs à partir de début ou mi février, en tout cas on l’espère, et que les autres pays européens l’envisagent (pour ceux qui ont confiné ces secteurs). Et puis, bien sûr, cela doit être graduel : l’horeca est une diversité de services, et de lieux de consommation, et je pense qu’il y a vraiment de lieux beaucoup moins à risque. Et donc c’est en fonction de la surface, de la ventilation, du nombre de personnes que l’on peut accueillir en gardant les gestes barrières. C’est vrai, je pense, qu’il y a une graduation qui doit se faire en fonction du type de structure et ne pas envisager le secteur de façon globale. Et c’est la même chose pour la culture, pour le sport : tous ces secteurs peuvent avoir un protocole assez fiable, qui protège les clients, mais c’est fonction des ressources que chaque secteur ou chaque institution peut déployer.

Pour la culture, vous envisagez une réouverture rapide ? En même temps que l’horeca, avant ou après ?

Yves Coppieters : Ce n’est pas à moi de dire quels sont les secteurs les plus prioritaires, je pense qu’il n’y a pas à mettre en compétition l’horeca par rapport à la culture, les deux sont aussi prioritaires au même titre que les autres services. Maintenant, on a bien compris que le déconfinement devait se faire de façon graduelle, et on a bien vu qu’à la fin de la première vague, le succès de la diminution de la première vague chez nous c’est que le déconfinement s’est fait très tardivement, à la phase descendante de la première vague, et façon assez graduelle. Je pense qu’il faut garder cette temporalité, et faire une planification petit-à-petit dans un déconfinement en fonction de l’évolution des indicateurs épidémiologiques. Mais ce n’est pas à moi de dire lequel est prioritaire, ils sont tous a priori prioritaires, puisqu’ils sont tous dans des situations très compliquées sur un plan économique.

Le gouvernement a fixé un objectif de 800 contaminations quotidiennes, durant trois semaines, pour pouvoir amorcer un réel déconfinement. C’est réalisable ?

Yves Coppieters : Je pense que c’est un objectif théorique, qui a été fixé déjà il y a plusieurs semaines, et qui n’est peut-être plus très réaliste, vu la stagnation de l’épidémie chez nous et dans le reste de l’Europe. Donc je pense qu’il faudrait fixer des indicateurs intermédiaires, entre maintenant et ces 800 transmissions attendues sur une période de trois semaines, parce que, peut-être, qu’à 1.200 ou 1.000, on pourra envisager des reprises d’activité partielles. Je pense qu’il manque ces indicateurs intermédiaires : c’est ce fameux tableau de bord qui n’a jamais été mis en place fondamentalement. Et puis je pense aussi que nos autorités doivent se reposer la question : est-ce que ces cibles théoriques qu’ils ont fixées il y a déjà un certain temps sont encore réalistes vu l’évolution de l’épidémie et le fait qu’elle va persister dans le temps ? Peut-être que ces indicateurs pourraient être revus, ni à la hausse ni à la baisse, mais en tout cas requestionnés, voir s’ils restent pertinents, réalistes, tout en sachant qu’on vise tous, j’espère, une reprise de toute une série d’activités dans un court ou moyen terme.

 

■ Interview de Arnaud Bruckner