Coronavirus : hydroxychloroquine, fin de l’histoire ?
Depuis plus de deux mois, l’hydroxychloroquine est au coeur de débats et polémiques sans fin. Traitement efficace contre le covid-19 ? Ou au contraire remède incertain et potentiellement toxique ? Les hôpitaux bruxellois, comme bien d’autres, y ont eu recours depuis le début de l’épidémie, mais aujourd’hui la plupart l’ont quasiment abandonné et Sciensano est sur le point de mettre à jour ses recommandations. Explications.
Dans un avis publié sur son site web ce 25 mai, l’Agence fédérale des médicaments et des produits de santé (AFMPS) rappelle “les risques liés à l’utilisation de la chloroquine et de l’hydroxichloroquine dans le traitement du covid-19” suite à la publication de The Lancet ce 22 mai. Dernière étude en date, il s’agit d’une analyse rétrospective d’un registre suivi de plus de 96.000 patients atteints du Covid dans 671 hôpitaux dans le monde. Elle conclut à l’inefficacité du médicament mais aussi à un risque accru de mortalité pour les patients l’ayant reçu. “Dans l’attente d’une analyse approfondie de ces données par des experts belges, l’AFMPS rappelle le risque de troubles du rythme cardiaque“, pour lequel l’AFMPS a déjà mis en garde à deux reprises au mois d’avril.
Sciensano n’a pas encore modifié ses recommandations en la matière. Mais l’Institut de santé publique “est en train de mettre à jour la procédure pour le traitement des patients hospitalisés, selon les décisions prises par la Task Force treatment.”, nous répond son porte-parole. Cela n’étonne pas le Professeur Stéphane De Wit, chef de service des maladies infectieuses au CHU Saint-Pierre. “Après la tempête médiatique et scientifique, une étude comme celle de The Lancet fait peur, tout comme la décision de l’OMS de suspendre les essais cliniques avec l’hydroxychloroquine.” L’étude de The Lancet a pourtant fait l’objet de nombreuses critiques, continue Stéphane De Wit. Le nombre de données récoltées en un temps aussi court, l’homogénéité des résultats, interrogent le monde scientifique : “Il y a quelque chose de trouble, il faut considérer cette étude avec prudence.” En attendant, en pratique, à Saint-Pierre, l’hydroxychloroquine n’est plus administrée aux patients atteints du covid, sauf cas exceptionnels. D’autres approches sont désormais privilégiées, et “on estime que la balance entre les bénéfices, l’absence claire de données sur l’efficacité du traitement et les risques de l’hydroxychloroquine ne justifie plus son usage. “, continue le Professeur De Wit. D’autant que le médicament ne présente une utilité qu’en tout début d’infection, pas quand la maladie atteint des stades plus graves. Un choix posé à Saint-Pierre, “mais qui a été spontanément fait dans les autres hôpitaux également.”
Attendre les résultats de toutes les études en cours
A Erasme, le Professeur Jean-Christophe Goffard, responsable des unités Covid-19 est lui aussi réservé sur l’étude de The Lancet, qui à ses yeux souffre de nombreux biais, même si elle présente l’avantage de récolter un grand nombre de données. Et en dépit de ses faiblesses, continue Jean-Christophe Goffard, l’étude, en concluant à l’inefficacité de la molécule, interroge les équipes soignantes. “Je pense que l’étude va trop loin en ce qui concerne la toxicité supposée du médicament mais il me semble préférable d’attendre de pouvoir rassembler l’ensemble des données de toutes les études en cours.” Dans l’unité Covid-19 qu’il dirige, l’hydroxychloroquine a été administrée aux patients au début de l’épidémie, sur base des résultats in vitro, et pour limiter la propagation du virus au personnel soignant et aux autres patients. “Sa toxicité est faible à court-terme, si l’on prend toutes les mesures de prudence. Mais on s’est rendu compte que non seulement son efficacité était discutable mais aussi qu’en terme de prévention de la contamination, ce n’était pas concluant.” Conséquence : depuis plusieurs semaines, l’hydroxychloroquine a été abandonnée pour traiter le covid-19, malgré les recommandations de Sciensano, alors encore en faveur de la molécule.
Situation similaire au Chirec où le recours à l’hydroxychloroquine a été fortement limité début mai, aux patients covid jeunes, avant d’être abandonnés, “en raison du manque de preuve de son efficacité, des risques potentiels et dernièrement, des déclarations de l’OMS.”, explique le Professeur Jean Gérain, le chef de service des maladies infectieuses au Chirec.
Un autre élément a lourdement pesé : la diminution importante du nombre de malades. La question du traitement s’appréhende différemment aujourd’hui car il n’y a plus beaucoup moins de patients et pratiquement plus de nouveaux cas – au CHU Saint-Pierre, seul un nouveau patient a été admis aux soins intensifs en 10 jours. “Cela permet de prendre du recul.”, observe le Professeur Stéphane De Wit. D’autant que d’autres molécules commencent à faire leurs preuves sur le terrain des antiviraux. “En cas de deuxième vague, le débat sur l’hydroxychloroquine passera au second plan, parce que nous disposons désormais d’alternatives.”, conclut-il, espérant d’ici là une approche fondée sur des données objectives.
Sabine Ringelheim (Photo : Belga)