Santé mentale en temps de COVID : les jeunes particulièrement fragiles
Difficile de dresser un tableau précis des effets du COVID sur la santé mentale des Bruxellois. Mais de nombreux indices inquiètent les professionnels. Et les demandes adressées aux centres de santé mentale sont en très nette augmentation. En cette période de fin d’année, l’incertitude qui pèse sur l’avenir compliquent encore la situation.
Au centre médico-psychologique du Service social juif, les psychiatres sont débordés. L’association qui propose des aides individuelles et collectives est particulièrement sollicitée en ce moment, explique la coordinatrice du centre, Chrystelle Ledecq. « Et nous avons le sentiment que les personnes qui viennent nous voir vont moins bien encore que lors de la première vague ». La crise vient ébranler des personnes déjà fragilisées psycho-socialement, poursuit-elle, en accentuant des difficultés déjà présentes à la base. Le contexte anxiogène est beaucoup plus difficile à vivre pour les personnes fragiles. D’autant que les ateliers, groupes de paroles, activités collectives organisés pour permettre aux gens d’être ensemble sont tous suspendus. Très lourd à vivre, pour certains.
Les jeunes particulièrement en souffrance
Service de première ligne, le centre reçoit notamment beaucoup de patients en situation de précarité et souffrant déjà de troubles psychiques. Les personnes fragilisées socialement sont plus à risque de développer des troubles psychiques, car la charge mentale augmente. Les familles monoparentales sont particulièrement concernées. L’inverse est vrai aussi : une santé mentale abimée peut entraîner l’isolement social et le décrochage. Mais il a vu aussi exploser les demandes émanant de jeunes : adolescents, jeunes adultes, étudiants en grandes difficultés. « Ils souffrent des conséquences du manque de contact, de l’interdiction de se rassembler, de la solitude, des difficultés à effectuer le travail scolaire, … » Troisième public particulièrement suivi par le centre : le personnel hospitalier. Un projet spécifique a été développé avec le CHU Saint-Pierre pour soutenir et apporter une psychologique à celles et ceux qui le souhaitent.
Un constat globalement partagé aux cliniques universitaires Saint-Luc. A l’unité de crise et d’urgences psychiatriques, la situation est dramatique certaines semaines, s’inquiète le Dr Gérald Deschietere, chef de service. « Les gens viennent pour des décompensations de type psychotique mais d’un genre particulier, qu’on n’a pas l’habitude de voir. On voit aussi beaucoup plus de jeunes : pour des problèmes de type anxieux, ou du stress, suite à des problèmes familiaux ou conjugaux, des adolescents pris dans des situations de conflit, des étudiants inquiets. » Enfin, cette crise malmène les soignants : « Beaucoup sont épuisés, et très marqués par le fait de voir la pérennisation d’un état de crise. »
Le service est aussi sollicité par un public qui n’était pas connu pour des problèmes psychiatriques ou de santé mentale mais qui a besoin d’aide aujourd’hui pour faire face à la crise. « Pour des pathologies probablement déjà présentes mais pas de manière consciente. »
« Mais on sent une angoisse latente chez tous les patients. Liée notamment à la période de fin d’année, l’inquiétude de ne pas pouvoir retrouver ses proches à un moment où c’est important. Il y a une fatigue morale, une lassitude, pour certains la limite du supportable est dépassée. Et pourtant ils continuent à prendre sur eux, à appliquer les règles de manière scrupuleuse. ». Pour les soulager, il serait bon de trouver un équilibre entre des mesures nécessaires dans la lutte contre le virus, mais qui soient applicables dans la durée. «Les gens ont besoin de perspectives. Ils ont peur de cette période de fin d’année, il y a moyen de donner de l’espoir en ouvrant un tout petit peu les mesures, sans augmenter les risques.», soutient le Dr Gérald Deschietere.
Effet retard
La situation de tous les Bruxellois est sans doute fortement sous pression. Dans quelle proportion ? Il est trop tôt pour le dire. Selon la dernière enquête de santé COVID 19, réalisée par Sciensano auprès de 30.000 participants entre le 24 septembre et le 2 octobre, donc avant le reconfinement, les troubles anxieux seraient en augmentation par rapport à cet été alors que les troubles dépressifs resteraient « dans la même lignée que les mois derniers (à 15%). » « On remarque que les chiffres concernant ces troubles ont augmenté entre juin et septembre parmi les personnes qui travaillent dans le secteur de la santé mais sont restés stables chez les travailleurs des autres secteurs », commente Rana Charafeddine, chercheuse chez Sciensano.
Des chiffres à prendre avec prudence, selon Robin Susswein chercheur au service d’étude de la Ligue francophone bruxelloise pour la santé mentale (LBSM). Selon lui, si plusieurs études ont été menées, les données fiables manquent encore pour dresser un tableau précis de la situation. « Nous ne disposons pas encore d’enquêtes rigoureuses pour avoir des données probantes. » Il est par exemple difficile d’évaluer les impacts de la crise sur la population en générale, sur l’ensemble des Belges.
Pour avoir une vue plus globale, il faut attendre. Les effets de la crise sanitaire risquent de se révéler dans la durée et de persister longtemps. L’expérience du précédent confinement est à cet égard éclairante : « C’est à partir du mois de septembre que les gens ont commencé à consulter pour des troubles liés au premier confinement », indique Yahyâ Hachem Samii, le directeur de la LBSM. « La difficulté avec cette crise c’est qu’elle est longue. » Et la période actuelle de fin d’année peut en outre se traduire pour certains par de nouvelles fragilités.
« Avec la santé mentale, il y a toujours un effet retard, des personnes qui attendent trop longtemps, et demandent de l’aide alors qu’ils sont déjà fortement détériorés. Notre crainte est de voir arriver non seulement beaucoup de monde, mais dans des situations psychiques dramatiques. », continue Yahyâ Hachem Samii. Les services de soins redoutent ainsi de voir se présenter chez eux d’ici quelques semaines des personnes en grande souffrances parce qu’elles n’auront été convenablement soignées.
Mais « S’il y a une chose positive dans la crise actuelle, c’est qu’au moins on parle de la santé mentale » et cela c’est une bonne nouvelle. C’est ainsi que Yahyâ Hachem Samii avait introduit son intervention devant les membres de la commission spéciale COVID du parlement bruxellois, le 12 novembre dernier. Les termes de « santé mentale » ont trop longtemps été associés à la folie et la maladie mentale, alors qu’il s’agit d’une branche de la santé au sens large, nous explique-t-il. La crise agit comme un révélateur en quelques sortes. Les pouvoirs publics y ont répondu, après avoir longtemps sous-financé ce secteur. Au niveau fédéral, un budget santé mentale figure dans le budget Soins de santé. Au niveau bruxellois, des engagements ont été pris également. Un premier pas, se réjouit la LBSM, même si elle le juge encore insuffisant.
S.R. – Photo : Belga/Eric Lalmand