Accord européen sur une vaste réforme de la politique migratoire

Drapeaux Europe Union Européenne QG - Belga Nicolas Maeterlinck

Après des années de discussion et une nuit entière d’ultimes tractations, les eurodéputés et représentants des États membres ont trouvé mercredi matin un accord, dénoncé par les défenseurs des droits humains, sur l’épineuse réforme du système migratoire européen. “Un accord politique a été trouvé sur les cinq dossiers du nouveau Pacte sur la migration et l’asile”, a écrit la présidence espagnole du Conseil de l’Union européenne sur X (ex-Twitter). La commissaire européenne aux Affaires intérieures Ylva Johansson a salué un “moment historique”.

Le pacte asile et migration, présenté par la Commission européenne en septembre 2020, est une nouvelle tentative de refonte des règles européennes, après l’échec d’une précédente proposition en 2016 dans la foulée de la crise des réfugiés. Il prévoit notamment un contrôle renforcé des arrivées de migrants dans l’UE, des centres fermés près des frontières pour renvoyer plus rapidement ceux n’ayant pas droit à l’asile, et un mécanisme de solidarité obligatoire entre pays membres au profit des États sous pression migratoire. L’accord politique devra encore être formellement approuvé par le Conseil (États membres) et le Parlement européen. L’objectif est une adoption finale de l’ensemble des textes avant les élections européennes de juin 2024, alors que la question de l’immigration accapare le débat politique dans de nombreux pays européens, sur fond de montée des partis d’extrême droite et populistes.

 

“Filtrage” des migrants

La réforme discutée à Bruxelles conserve la règle actuellement en vigueur selon laquelle le premier pays d’entrée dans l’UE d’un demandeur d’asile est responsable de son dossier, avec quelques aménagements. Mais pour aider les pays méditerranéens, où arrivent de nombreux exilés, un système de solidarité obligatoire est organisé en cas de pression migratoire. Les autres États membres doivent contribuer en prenant en charge des demandeurs d’asile (relocalisations) ou en apportant un soutien financier.

La réforme prévoit aussi un “filtrage” des migrants à leur arrivée et une “procédure à la frontière” pour ceux qui sont statistiquement les moins susceptibles d’obtenir l’asile, qui seront retenus dans des centres pour pouvoir être renvoyés plus rapidement vers leur pays d’origine ou de transit. Cette procédure s’appliquera aux ressortissants de pays pour lequel le taux de reconnaissance du statut de réfugié, en moyenne dans l’UE, est inférieur à 20%.

Le Conseil (États membres) a insisté pour que même les familles avec enfants de moins de 12 ans soient concernées par une telle procédure, qui implique une forme de détention, dans des centres situés près des frontières ou des aéroports par exemple. Le Parlement européen a obtenu des garanties sur un mécanisme de surveillance des droits fondamentaux dans ces procédures à la frontière, sur les conditions d’accueil des familles avec jeunes enfants, sur l’accès à un conseil juridique gratuit pour les migrants, a indiqué à l’AFP l’eurodéputée française Fabienne Keller (Renew Europe), rapporteure de l’un des textes.

Un pacte “qui fait honte aux plus belles valeurs de l’Europe”

La réforme suscite toutefois les critiques des organisations de défense des droits humains. Une cinquantaine d’ONG, dont Amnesty International, Oxfam, Caritas et Save the Children avaient écrit lundi une lettre ouverte aux négociateurs pour les alerter sur le risque de voir ce pacte migratoire aboutir à “un système mal conçu, coûteux et cruel”. L’eurodéputé Damien Carême a dénoncé un pacte “qui fait honte aux plus belles valeurs de l’Europe”. “On ressort avec un texte qui est pire que la situation actuelle (…) On va financer des murs, des barbelés, des systèmes de protection partout en Europe”, a-t-il déclaré sur X (ex-Twitter).

 

Règlement sur les situations de crise

Autre texte agréé : un règlement sur les situations de crise et de force majeure, destiné à organiser une réponse en cas d’afflux massif de migrants dans un État de l’UE, comme au moment de la crise des réfugiés de 2015-2016. Il prévoit là encore une solidarité obligatoire entre les États membres et la mise en place d’un régime dérogatoire moins protecteur pour les demandeurs d’asile que les procédures habituelles, avec un allongement possible de la durée de détention aux frontières extérieures du bloc.

L’UE connaît actuellement une hausse des arrivées irrégulières, ainsi que des demandes d’asile. Sur les onze premiers mois de l’année 2023, l’agence Frontex a enregistré plus de 355.000 traversées des frontières extérieures de l’UE, soit une hausse de 17%. Les demandes d’asile quant à elles pourraient atteindre plus d’un million d’ici la fin 2023, selon l’Agence de l’UE pour l’asile (EUAA).

 

 

Europe forteresse pour Ecolo, absence de grand changement pour la N-VA

L’accord suscite des réactions diverses chez les eurodéputés belges. Cet accord “consolide l’Europe forteresse basée sur la détention aux frontières, l’externalisation de la politique migratoire vers des États tiers qui violent les droits des exilés. Il est conclu au mépris des droits humains et de la solidarité”, a ainsi dénoncé, dans un communiqué, l’eurodéputée Ecolo Saskia Bricmont. “En instaurant des procédures d’asile accélérées aux frontières ; en conservant le critère Dublin de pays de première entrée ; en autorisant la prise d’empreintes des enfants dès l’âge 6 ans ; en généralisant la détention, y compris des enfants, dans des camps aux frontières ; en permettant que la coopération avec les États tiers ou la construction de murs comptent comme solidarité entre États membres et en l’absence de mécanisme de contrôle du respect des droits fondamentaux aux frontières, ce Pacte crée les conditions de futures crises de l’accueil comme nous la connaissons en Belgique. Et il aggrave les violations des droits fondamentaux des personnes exilées”, a-t-elle détaillé. “Ce que d’aucuns célèbrent comme une victoire historique d’un deal longtemps bloqué, n’est que la triste confirmation de l’Europe forteresse. Ce n’est pas notre choix pour l’Europe”, a enfin résumé l’eurodéputée écologiste.

Du côté de la N-VA, l’eurodéputée Assita Kanko souligne, elle, les “améliorations” qu’apporte le texte par rapport à la situation actuelle tout en regrettant l’absence de “grand changement de paradigme dont l’Europe a besoin”. “Ce pacte renforce la politique migratoire actuelle, mais il est loin d’être suffisant pour faire face à la vague migratoire qui se dirige vers l’UE. Il faut aller plus loin, c’est-à-dire opérer un véritable changement de paradigme et externaliser la politique d’asile vers les pays tiers. Regardez ce que le Royaume-Uni a fait avec le Rwanda, regardez ce que la Première ministre italienne a négocié avec l’Albanie. Ces pays ont compris comment procéder. Pourquoi ne pourrait-on pas le faire au niveau européen ?”, s’est-elle interrogée.