Le journal de bord de Sébastien du Samusocial (20 avril) : “La crise réveille différents types de générosité”
Sébastien est directeur du (nouveau) Samusocial. Il partage avec nous quelques extraits de son quotidien et de celui des équipes de terrain, ces travailleurs de l’ombre qui vivent en première ligne le défi actuel : rester présents pour aider les personnes sans abri alors que l’épidémie de Covid-19 a complètement bouleversé l’organisation des activités du dispositif d’aide.
La crise réveille différents types de générosité. Nous avons reçu une offre de véhicules Range Rover et Jaguar pour nous aider dans le renforcement de notre programme de maraude. Dans le contexte actuel, le besoin en termes de transport de personnes ou de biens est intense. Difficile de refuser une telle offre, nous avons donc accepté. Et pourtant, après avoir admiré les bolides parqués dans le garage du Samusocial, nous avons finalement renoncé à ce prêt gratuit. Considérant qu’il serait difficile d’expliquer au grand public et aux personnes sans-abri que nos maraudeurs vêtus d’une veste Samusocial circulent en Range Rover. On en arrive ainsi parfois à renoncer à un certain pragmatisme opérationnel par principe. Pour préserver une image, ou plutôt pour essayer de la reconstruire dans le cas d’une organisation encore traumatisée par le scandale de 2017.
Ce week-end, les premiers patients sont sortis du site de Tour & Taxis, cet espace géré par MSF avec le Samusocial et la Plateforme citoyenne qui accueille les personnes précarisées confirmées COVID+. Quatre adultes, tous testés négatifs, quittent les lieux pour aller vers le site d’Evere. Ils partageront une chambre pour éviter autant que possible d’être à nouveau contaminés par d’autres. Les premiers tests ont donc été effectués au sein du public sans abri. Ils se concentrent sur les personnes symptomatiques uniquement et doivent permettre de décharger les personnes négatives du site MSF. Cette première étape change beaucoup de choses. Elle permet aux patients suspects de ne plus être contaminés par des patients qui eux deviennent confirmés. À la différence de la logique mathématique, en période coronavirus, – plus + égalent souvent +.
À Boston, dans une structure pour sans-abris, 146 personnes sur 347 ont été testées COVID +. Au-delà de la proportion énorme de personnes sans-abri contaminées, ce qui frappe dans ce chiffre c’est qu’aucun des 146 personnes ne présentait de symptôme. Un jour, cela vaudra la peine de comprendre si ce phénomène est lié à la typologie de la population sans-abri, ou s’il est lié aux caractéristiques du COVID. À Bruxelles, si l’on ne connaît pas encore le taux de cas positifs parmi cette population, on note en tout cas qu’à ce jour le nombre de cas graves dans ce milieu est relativement limité. Le même constat vaut pour notre centre Fedasil. Pourvu que ça dure…
Nous avons maintenant quatre membres du personnel confirmés positifs. Tant que possible, nous suivons l’évolution de leur situation, notamment en gardant un contact téléphonique régulier. Tous nous expriment la même angoisse : leur famille. La peur de contaminer leurs proches directs. Ils craignent d’être responsables de transmettre le virus à leur enfant, leur épouse ou époux, ou toute autre personne qui partage le foyer. C’est pour cette raison que nous demandons de pouvoir tester le personnel et l’ensemble des personnes vivant sous le même toit en cas de contamination. Aujourd’hui, rien n’est encore systématisé. Pour la plupart des personnes, la crainte principale actuelle est de voir ses proches touchés, de réaliser que le foyer, avec tout ce qu’il comporte de sacré, a été infecté par cette menace. La réalité de nos bénéficiaires est autre ; dans de nombreux cas, la déconnexion familiale est présente depuis des jours, des mois, voire des années, la notion de foyer a été déchirée et rangée dans la catégorie des souvenirs ou de l’inaccessible. Nos équipes en sont conscientes, plus que jamais, leur engagement auprès de leur public force le respect. Car c’est bien leur public, au-delà des termes et des chiffres qui paraissent dans les médias et les rapports, les personnes accueillies dans nos centres sont les bénéficiaires de leur aide au quotidien, leurs protégés.
Les questions sont toujours plus présentes que les réponses. Régulièrement, nous nous demandons si nous devons limiter les sorties de nos résidents, en cohérence avec ce qui est préconisé par le gouvernement. Aujourd’hui, nous limitons très peu les mouvements en journée dans la plupart de nos centres, si ce n’est dans l’un de nos centres pour familles dans lequel les sorties sont conditionnées par un retour rapide.
Mais notre rôle n’est pas de forcer les personnes que nous aidons à rester entre nos murs. Nous n’avons pas de pouvoir de contrainte et ne souhaitons pas l’avoir. C’est le rapport de confiance qui doit nous relier au gens que nous aidons. Les inciter oui, tant que nous pouvons. Mais pas les forcer. Cela nous est d’ailleurs très régulièrement reproché, notamment par les riverains vivant autour de nos centres, qui s’inquiètent de voir des SDF sans contrôle dans la ville. Nous résistons, un enfermement contraint risque d’être contre-productif, les gens s’enfuiront et erreront dans les parcs, mais surtout un enfermement pourrait menacer l’équilibre des personnes que nous hébergeons, notamment les personnes souffrant d’assuétudes qui, à défaut de trouver une porte fermée, sortiront par la fenêtre. Une assistante sociale m’a d’ailleurs récemment confié s’inquiéter davantage des conséquences du confinement sur notre public que du COVID lui-même. Si une question de sécurité sanitaire se pose lorsque nos résidents sortent, ce sont les services d’ordre qui doivent intervenir.
Nos assistants sociaux ne sont pas des gardiens de prison. Et les sans-abris sont des êtres libres à l’intérieur de nos centres, au moins jusqu’à la porte de sortie. Laissons-leur cela.
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Photo : Roger Job/Samusocial