Logement : de nouveaux outils pour lutter contre les marchands de sommeil
Pour mieux lutter contre les marchands de sommeil, la commune lance la plateforme Dignity, qui coordonne plusieurs services communaux, sur le modèle d’un dispositif déjà opérationnel à Schaerbeek. Plus globalement, le phénomène reste une préoccupation à l’échelle de la région et peine à être combattu malgré la multiplication des outils.
Dignity est opérationnel depuis une semaine à Anderlecht. Il s’agit d’une plateforme transversale qui met en lien les services de l’urbanisme, population, le CPAS et la zone de police Midi. Au cœur du dispositif : un SPOC (Single Point Of Contact), dont le rôle est de centraliser l’ensemble des données recueillies, de donner l’alerte le cas échéant et de transmettre les informations aux différents services impliqués, avec une évaluation du degré d’importance. Au-delà des intervenants communaux, les informations sont partagées au moyen d’un outil informatique intelligent, avec la région et le parquet de Bruxelles. « Cela ne se faisait pas par le passé. », indique Alain Kestemont (DéFI), échevin de l’Urbanisme, à l’intiative du projet avec le bourgmestre Fabrice Cumps (PS). Avec l’augmentation de la population, le mal-logement s’est aggravé dans la commune, observe-t-il. L’objectif de Dignity est de repérer les habitations insalubres ou suroccupées, informer les locataires de leurs droits, et poursuivre les propriétaires considérés comme des marchands de sommeil. Le projet prévoit aussi un accompagnement social des locataires, pour les aider à se reloger, précise l’édile anderlechtois. Bilan au bout d’une semaine d’activité ? Une première opération est prévue dans la quinzaine, répond Alain Kestemont.
Visites de terrain
La plateforme Dignity s’inspire d’un dispositif similaire, l’ILHO, lancé en 2016 à Schaerbeek. La commune concentre l’un des plus grands nombres de plaintes pour insalubrité transmises à la Direction de l’inspection régionale du logement (DIRL) pour l’année 2020 (72), avec la Ville de Bruxelles (82), Molenbeek (50), Ixelles (41) et Anderlecht (36).
L’ILHO consiste en une coopération entre les services population, urbanisme et police. Au départ, un constat : « On s’est aperçu qu’entre les situations déclarées des immeubles et les situations de fait, il y avait parfois un fossé. », explique France-Laure Labeuw, conseillère au cabinet de la bourgmestre f.f. Cécile Jodogne (DéFI). Cela, grâce aux actions de terrain d’agents de quartier qui constataient que la réalité ne correspondait pas toujours aux déclarations faites au service population, la commune a alors monté des binômes, constitués d’un référent police et d’un référent urbanisme, avec pour mission de contrôler la qualité, la légalité des biens et les domiciliations, dans un périmètre défini. « Le terrain a permis d’aller beaucoup plus loin dans la détection de situations d’insalubrité, de traite des êtres humains, d’exploitation. »
Infraction pénale
Les visites de terrain sont un des axes de travail de l’ILHO, qui opère également sur base de données transmises par le service population à l’urbanisme et à la zone de police ; et sur base de dénonciation. En 2020, sur 1700 demandes d’enquête générées par le service population, 300 cas ont donné lieu à une enquête approfondie. Lorsque les indices sont suffisants, des opérations sont menées par les services de police et d’urbanisme, pour une constatation de flagrant délit.
« Il y en a entre 10 et 20 par an. Depuis le début de la cellule, il y en a eu autour de 70, et 60 PV ont été envoyés au parquet. » La notion de marchands de sommeil, est en effet strictement définie et relève du droit pénal. L’expression vise les propriétaires qui exploitent la détresse de personnes fragilisées en louant un bien incompatible avec la dignité humaine, en vue de réaliser un profit anormal. Reste que les procédures sont longues et le parquet, au vu de ses moyens, ne peut assurer les poursuites dans tous les dossiers dont il est saisi. Seule une minorité débouche sur une condamnation.
Quelle est l’ampleur du phénomène aujourd’hui ? Il reste difficile à estimer. La DIRL, qui réalise des enquêtes sur la qualité des logements et peut procéder à des interdictions de mises en location en cas d’infractions, ne dispose pas de statistiques concernant les marchands de sommeil, puisqu’il s’agit d’une infraction relevant du pénal, relève sa directrice f.f., Sophie Grégoire. Mais des expériences comme celle menée à Schaerbeek sont citées en exemple pour leur efficacité. Selon le Plan global de Sécurité et de Prévention 2021-2024, en 2019, 38 faits avaient été enregistrés à Bruxelles concernant les marchands de sommeil. Un chiffre qui avait plus que doublé par rapport aux cinq années précédentes.
Mais plus largement, la salubrité des logements a tendance à s’améliorer, selon le juriste et professeur de droit public à l’Université Saint-Louis, Nicolas Bernard : « Le bâti bruxellois est en bien meilleur état qu’avant la création de la DIRL. » Sophie Grégoire confirme que les progrès sont notables, par exemple sur les installations de gaz, bien plus sûres aujourd’hui. Il n’empêche que le mal-logement demeure une préoccupation forte, liée à la taille de plus en plus petite des habitations bruxelloises, et à la suroccupation qui en découle. « On constate beaucoup de logements trop petits, et la suroccupation est un indice de présence potentielle d’un marchand de sommeil, tout comme l’exploitation de sous-sols et de greniers. » Et de conclure : « Le problème, c’est la crise du logement. La demande est tellement grande que tout se loue. Alors des propriétaires peu scrupuleux en profitent pour éviter d’investir dans l’amélioration des biens qu’ils proposent puisqu’ils trouveront preneurs de toute façon. Mais on sait aussi que ce serait bien pire sans les outils existants aujourd’hui. »
S.R.