« La transgression devient nécessaire pour préserver la santé mentale »
Respecter les règles de distances physiques devient de plus en plus difficile. Les rassemblements spontanés se multiplient. Au Bois de la Cambre, hier, l’après-midi ensoleillé a attiré les foules. Et la journée s’est terminée en une fête improvisée jusqu’à l’heure du couvre-feu. Quelque 200 jeunes ont festoyé, sans que les forces de l’ordre puissent intervenir. Pour la psychologue Isabelle Roskam, les transgressions deviennent difficilement évitables.
Ce matin, le bourgmestre de la Ville de Bruxelles, Philippe Close (PS) était sévère : « on ne peut plus tolérer cela », expliquait-il. Les chiffres remontent, « on comprend que les gens ont besoin d’une soupape, mais ce n’est pas le moment de relâcher. On va devoir resserrer la vis. »
► Reportage | Après la fête, le Bois de la Cambre s’est réveillé avec la gueule de bois
Mais pour beaucoup de familles la situation devient intenable. La psychologue et professeure à l’institut de recherche des sciences psychologiques de l’UCLouvain Isabelle Roskam dresse un constat inquiétant : « Les parents sont perdus face à des règles de plus en plus difficiles à faire respecter à leurs enfants ». Selon cette spécialiste de la parentalité, les mesures sont trop nombreuses et confuses. Elles sont difficiles à mettre en application, parce qu’elles sont mal comprises, ou considérées comme injustes, ce qui pousse à la transgression.
Cela questionne et met à mal le rapport à l’autorité, qui concerne bien évidemment les familles, mais aussi l’école et la société en général. Les parents se retrouvent bien souvent pris en étau entre d’une part des règles qu’ils ne comprennent plus eux-mêmes mais qu’ils doivent faire appliquer à leurs enfants, et leur préoccupation pour la santé mentale de leurs jeunes. « La transgression est parfois nécessaire pour préserver la santé mentale. », indique Isabelle Roskam. Des parents voient leurs enfants en grande souffrance, avec des troubles dépressifs majeurs, voire des risques de suicide : « Dans des cas pareils, ils n’ont d’autres choix que d’autoriser la transgression ! »
Cette crise n’a été envisagée que sous l’angle de la santé physique. En oubliant les aspects psycho-sociaux qu’elle impliquait. Les débordements d’hier au Bois de la Cambre en sont une illustration. Et il y en aura d’autres, c’est inévitable. La réponse ? Certainement pas la police, ni les amendes. Ces phénomènes sont la conséquence d’une mauvaise gestion des mesures anti-covid.
Revenir à des modèles plus simples
Car selon la chercheuse, le gouvernement porte une lourde responsabilité : « On n’a pas assez consulté les experts en sciences humaines pour travailler sur cette question de l’adhésion aux règles. » Il y a pourtant beaucoup de connaissances disponibles, ces sujets ont été beaucoup étudiés notamment en psychologie sociale. Il y a des principes connus, insiste-t-elle : ne pas multiplier les règles, bien expliquer leurs finalités, et veiller à leur applicabilité. « La classe politique a oublié qu’elle pouvait bénéficier de cette expertise pour amener les populations à l’adhésion. À cet égard, on a raté le coche. »
Peut-on redresser la bar ? Cela risque d’être difficile, parce que cela fait des mois que nous sommes soumis à ces principes, répond Isabelle Roskam mais il faut revenir à des modèles plus simples : « nettoyer les règles existantes, réduire leur nombre et garder celles qui sont applicables, compréhensibles. »
Et d’interroger : « Comment saisir des opportunités de développement pour tous ces enfants, ces jeunes, ces familles ? » Il y a des apprentissages à faire, assure-t-elle, sur ce rapport à la moralité, à la motivation au respect des règles et sur la manière d’amener les jeunes et les familles à adhérer à un système qui régule nos échanges et nos comportements vis-à-vis des autres. « Ces questions sont essentielles, il faut transformer cette souffrance en opportunité de développement. » Il faut responsabiliser les citoyens et tenir compte des réalités. Ainsi les modèles familiaux d’aujourd’hui sont bien plus complexes que par le passé, il est impératif d’en tenir compte, soutient-elle fermement. Il faut que chacun puisse définir son « cocon social» L’objectif c’est d’éviter les grands rassemblements. Pour cela, il faut que le quotidien de chacun soit supportable. « Quand les règles peuvent être comprises, quand on peut leur donner du sens, elles sont intégrées, et on n’a plus besoin de surveiller qu’elles sont respectées. »
Sabine Ringelheim – Photo : BX1