Des politiques locales à géométrie variable dans les budgets participatifs

La grande majorité des 19 majorités bruxelloises promettent d’aider financièrement leurs habitants dans la réalisation de projets citoyens et participatifs. Un concept à la mode que chaque commune accommode à sa sauce, ressort-il d’un tour d’horizon effectué par BX1.

Le budget participatif: voilà une nouvelle expression à la mode dans la vie politique locale de la capitale. Rares sont les communes à ne pas disposer d’un échevin compétent en matière de participation citoyenne. Schaerbeek représente ainsi une des exceptions en la matière, ce qui n’empêche pas la Cité des ânes de prévoir un budget participatif dans sa note de déclaration de politique générale. Comme quasiment toutes les localités bruxelloises. À l’exception de Saint-Josse et Koekelberg, toutes les majorités annoncent noir sur blanc la création ou le renforcement de budgets participatifs.

“Nous encouragerons des projets construits avec les habitants avec pour objectif la mise en place d’un budget participatif”, lit-on du côté de Berchem-Sainte-Agathe. Du côté de Saint-Gilles, il est question de “permettre régulièrement aux habitants de proposer des projets à réaliser en mettant à disposition un budget participatif”. À Forest, la majorité PS-Ecolo-Groen souhaite “développer la dynamique des budgets participatifs dès 2019 en réservant un budget significatif par an pour des projets proposés par des habitant”. Si une grande partie des communes doivent encore démarrer leurs projets, d’autres comme Watermael-Boitsfort, Etterbeek  et Bruxelles-Ville passent à la vitesse supérieure

Le cas Etterbeek

Etterbeek comme Watermael-Boitsfort ont lancé leur projet ce mois de novembre. Les exemples sont intéressants car ils sont radicalement différents. Le premier passe par des conseils de quartier, le second par un appel à projets.  L’échevin etterbeekois du Budget participatif Sheikh Hassan Karim (Ecolo) explique: “Deux projets vont voir le jour dès l’année prochain, l’un à la Chasse et l’autre à Jourdan. C’est un nouveau concept. On va recourir au tirage au sort parmi tous les habitants de la commune. On fera ça via le registre national. 16 personnes seront tirées au sort et on espère qu’elles accepteront. Il y aura ensuite 14 autres personnes sur base volontaire: 4 issues du tissu associatif, 3 commerçants et 7 autres citoyens”.

Chaque conseil de quartier se verra attribuer un budget de 40.000 euros. Libre à leurs membres de dépenser cet argent de la meilleure manière possible pour améliorer la vie quotidienne dans leur quartier. “On pourrait imaginer que ce soit un projet de verdurisation, l’installation de bancs ou de fontaines publics, des travaux de voiries. Mais cela peut être bien sûr beaucoup d’autres choses. Il y aura une évaluation annuelle sur base de ce qui a été fait et on verra comment on peut dupliquer ce concept”, complète l’édile écologiste.

Le cas Watermael-Boitsfort

Du côté de Watermael-Boitsfort, le conseil communal vient d’approuver le règlement d’un budget participatif pour 2020. Ici pas de conseils de quartiers, mais un budget non négligeable de 110.000 euros mis à disposition des citoyens dans le cadre d’un appel à projets. “On verra ensuite pour 2021 ce qu’on fera après évaluation. Les habitants peuvent rentrer leurs projets et le vote aura lieu en avril prochain. Le résultat du vote se fera en mai. L’idée est de choisir deux gros projets de 35.000 euros et une série de plus petits projets de 5.000 euros. Les deux gros seront mis en oeuvre par la commune, les plus petits par les habitants eux-mêmes”, explique l’échevine de la Participation citoyenne Cathy Clerbaux (Ecolo-Groen).

Le processus comporte plusieurs étapes durant lesquelles chaque Boitsfortois est invité à proposer ses idées et en débattre en réunion avec d’autres habitants et des représentants de la commune. Quatre rencontres sont prévues entre décembre et février. La première aura lieu le samedi 14 décembre à 15h aux Écuries de la Maison Haute. Les projets seront soumis au vote dans un deuxième temps. Ce sont les habitants qui votent, pas le collège. Un vote sera possible via le site Internet de la commune ou de manière physique grâce à l’urne déposée dans la maison communale.

Le cas Bruxelles-Ville

Après Etterbeek, la Ville de Bruxelles va devenir la deuxième commune bruxelloise à mettre en place des assemblées citoyennes locales. Le conseil communal de lundi prochain va en effet adopter le règlement d’ordre intérieur élaboré par l’échevin bruxellois de la Participation citoyenne Arnaud Pinxteren (Ecolo-Groen). Le projet ressemble fort à celui d’Etterbeek. Chaque Conseil de quartier sera composé de 11 habitants de plus de 16 ans désignés par tirage au sort et de 6 volontaires issus du monde associatif, économique, ou encore culturel. Des désignations qui respecteront le principe de la parité homme-femme. Les membres du Conseil de quartier sont désignés d’un an, renouvelable pour 1 an sur base volontaire.

Ces conseils de quartier se réuniront au minimum 10 fois par an et décident de leur propre ordre du jour. Un défraiement de 50 euros brut par séance est également prévu pour chaque personne présente (Etterbeek prévoit aussi un défraiement). Un des objectifs de ces conseils sera de “co-construire la Ville en orientant des investissements publics locaux au travers d’un budget participatif”. Il s’agira notamment d’organiser une consultation publique pour analyser les besoins du quartier, définir les priorités, lancer un appel à projets et analyser les dossiers rentrés. Le cabinet n’a pas souhaité communiqué à l’heure actuelle le montant du budget.

“Un travail a déjà été fait depuis le début de la législature en matière de participation citoyenne. Il y a déjà notamment eu, entre mars et juin 2019, des rencontres entre le collègue et les habitants dans neuf quartiers. Le but était de faire l’état des lieux des préoccupations des citoyens. Le résultat se retrouve dans une ‘Charte de la participation citoyenne’ qui sera signée officiellement le 13 décembre en présence de nombreux habitants”, explique le cabinet Pinxteren. “Il existait déjà un budget participatif en 2018 et on s’est employé à utiliser le reste de l’argent non utilisé. On a par exemple consulté les habitants de Neder-Over-Heembeek  sur le tracé d’une nouvelle ligne de tram”.

Des communes se lanceront en 2020

Ixelles et Uccle font partie des communes qui réfléchissent encore aux modalités pratiques et aux montants accordés. En attendant, Uccle a lancé en octobre dernier un ballon d’essai avec le subside “Coup de pouce projet citoyen” dans le cadre d’un projet dans lequel ont été impliqués comités de quartier, associations locales, élus et administration. Des petits projets ont ainsi reçu un financement de 1.000 euros. “Nous avons reçu en l’espace d’un mois dix projets. C’est une vraie réussite et là aussi les retours sont extrêmement positifs. Des projets de développement de potagers, organisation de fêtes de quartiers ou de débats, renforcement de repair cafés, création de composts nous ont été proposés”, explique Perrine Ledan (Ecolo), échevine uccloise de la Participation Citoyenne.

“Ce subside nous a permis d’enclencher la dynamique participative en termes financiers, mais le processus qui nous permettra d’avoir un budget participatif plus conséquent sera lancé courant 2020. Nous sommes en train de finaliser un règlement et de réfléchir aux modalités les plus pertinentes et efficaces tout en répondant aux attentes légitimes des citoyens”, complète l’édile du sud de la capitale. Du côté d’Ixelles, on explique encore également réfléchir aux modalités pratiques. “On a déjà notamment fait de nombreuses rencontres avec les citoyens. La question du budget participatif est un autre dossier sur lequel on doit encore travailler”, explique le maïeur ixellois Christos Doulkeridis (Ecolo).

Un Conseil de la Jeunesse et une Maison de la Participation

Schaerbeek et Anderlecht prévoient des budgets plus ou moins participatifs, tous les deux dans des proportions modestes. Dans le premier cas, l’échevine schaerbeekoise de la Jeunesse Déborah Lorenzino (Défi) annonce la création d’un conseil de la jeunesse doté d’un budget. Dans le deuxième, Anderlecht accorde, depuis plusieurs années, 15.000 euros de subsides à des petits projets à travers sa Maison de la Participation. “Ce sont pas à proprement parlé des budgets participatifs, mais on s’en rapproche. La sélection finale se fait principalement par différents services de la commune sur base de la faisabilité et d’autres critères”, explique l’échevin anderlechtois de la Participation Jérémie Drouart (Ecolo).

Parmi les derniers projets lauréats, figurent propose la construction d’un hôtel à insectes de grande dimension en matériaux de récupération par le Comité de Quartier Carême à l’école P23, la création d’un espace potager collectif sur un terrain communal adjacent à la cité des Trèfles ou encore la création par des jeunes habitants de fresques murales sur la thématique de l’autre.

Des vrais budgets participatifs ou des gadgets?

Force est de constater que les promesses de budget participatif inscrites dans les notes de politiques générales des différentes majorités ne signifient pas nécessairement la mise en place d’un budget spécifique communal. Dans de nombreux cas, la réalisation d’un budget participatif s’avère simplement d’une obligation régionale. Toutes les communes  qui bénéficient d’un contrat de quartier (gros subside régional pour revaloriser un quartier) doivent prévoir un volet consultatif. “On a déjà clôturé cette année un budget participatif réalisé dans le cadre d’un contrat de quartier, celui du Biestebroeck en l’occurrence. Ça, c’était 25.000 euros. Il y en aura un autre l’année prochaine pour le contrat de quartier Peterbos”, explique Jérémie Drouart.

Du côté de Jette, aucun projet de budget participatif communal n’est pour l’instant prévu prévu. Le bourgmestre jettois Hervé Doyen (CDH) se dit prêt à y réfléchir et ne pas être hostile sur le principe. Mais pas à n’importe quel prix. “On n’a pas de budget participatif comme tel. On gère ça dans le cas de contrats de quartier. Dans ce cadre-là, il y a toujours un budget participatif”, explique-t-il. “Je ne suis pas hostile à cette idée-là, mais je n’ai pas d’argent pour payer 50.000 euros un fonctionnaire chargé d’en dépenser 40.000 euros. Parce que c’est très chronophage ce genre de truc”.

“Sur un budget avec de nombreux millions, donner 40.000 euros, c’est plutôt sympathique. Mais cela ne peut pas se faire au prix d’un mi-temps ou d’un temps-plein pour faire ça. C’est une interrogation qui reste intellectuellement ouverte. Comment tu encadres ça? Pour quoi faire? Dans quels quartiers? Qui est représentatif de quoi? J’ai pas mal de comités de quartier dans ma commune dont on peut parfois sérieusement se poser la question de leur représentativité”, complète le maïeur humaniste.

Bruxelles fait pâle figure à côté de Gand

En termes de budget participatif, la ville de Gand fait clairement office d’exemple intéressant en Belgique. La ville de 300.000 habitants vient ainsi récemment de mettre à disposition de ses habitants un budget…d’un million d’euros. Un processus aussi inédit que réussi, explique Annabelle Deleeuw, qui est étudiante en droit public à l’ULB. Celle-ci s’est penchée sur cet exercice démocratique dans le cadre de son travail de fin d’étude. “C’est un processustriplement participatif, parce que c’est le citoyen qui dépose son projet, qui vote celui-ci, mais aussi qui l’exécute. Or, c’est souvent ailleurs l’autorité communale qui reprend en charge le projet en main une fois celui-ci déposé”, explique-t-elle.

De ses observations, l’étudiante en master 2 tire plusieurs enseignements qui pourraient intéresser les communes bruxelloises.“Il faut de la transparence. C’est important qu’il y ait un règlement clair, que les participants soient bien au courant des critères de recevabilité. Il ne faut surtout pas qu’ils n’aient pas l’impression de participer à quelque chose soit-disant participatif, mais où ce sont en fait les élus politiques qui décident”, indique-t-elle. “À Gand, il y a eu 15.000 personnes qui ont participé pour cette première fois. “Plus les gens sont amenés à donner leur avis, plus ils seront habitués à le donner. Quand le citoyen se sent vraiment écouté, il a plus confiance dans le politique et se sent plus impliqué”.

Julien Thomas – Photo: BX1