Urbanisme : neuf projets doivent être modifiés en profondeur
Neuf grands projets immobiliers bruxellois ne pourront pas voir le jour à cause de l’annulation par la cour constitutionnelle d’un article du code de l’aménagement du territoire bruxellois. Cela veut dire des enquêtes supplémentaires et des retards de plus d’un an. Un séisme pour les groupes immobiliers.
C’est une petite bombe qu’a lâchée la cour constitutionnelle le 23 janvier dernier. Suite à un recours introduit par un citoyen sur certaines modifications inscrites dans le Cobat, le code bruxellois de l’aménagement du territoire, elle a annulé l’article 232 (4° et 5°) et l’article 233 (7° et 8°).
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Ces articles concernent les places de parkings dans les projets immobiliers. Dans le but d’accélérer la délivrance des permis d’urbanisme, le précédent gouvernement bruxellois avait modifié plusieurs dispositions du Cobat parmi lesquelles les seuils de places de parking qui nécessitaient la réalisation d’un rapport ou d’une étude d’incidences. Ainsi, dans l’ancienne mouture, si un projet avait entre 25 et 199 places, il devait effectuer un rapport d’incidence. S’il prévoyait au minimum 200 places, le promoteur devait fournir une étude d’incidence ce qui implique la tenue d’une enquête publique, d’une commission de concertation… Soit une procédure qui prend environ deux ans alors que le rapport d’incidence n’en prend qu’un.
Dans le nouveau Cobat, les seuils sont modifiés. Le rapport était nécessaire à partir de 50 places et jusqu’à 399 et l’étude à partir de 400 places. Et c’est cela qui a été annulé par la cour constitutionnelle. On revient donc à l’ancienne disposition pour les projets qui ont été déposés entre avril 2019 et janvier 2021. Cette décision qui date de 5 semaines n’est cependant toujours pas entrée en vigueur car l’arrêt n’a pas été publié officiellement.
9 projets dans la tourmente
Cela n’empêche pas les questions de fuser et les promoteurs immobiliers de revoir leurs projets. Interrogé lundi en commission développement territorial, le secrétaire d’Etat à l’Urbanisme, Pascal Smet (one.brussels), est revenu sur les conséquences de cette décision de justice. Concrètement, elle concerne 9 projets régionaux qui sont à l’enquête publique ou dont les dossiers sont en cours d’analyse.
Ceux en cours d’analyse sont un dossier concernant Mercedez-Benz, avenue du Péage à Woluwe-St-Lambert, Fédérale assurance au 609 de la chaussée de Waterloo à Ixelles, les abattoirs d’Anderlecht, le RSCA à Anderlecht et la construction de l’école européenne avenue du Bourget à Haren.
Les projets déjà à l’enquête publique ou en attente de la commission de concertation sont la construction de deux parkings souterrains, l’un à la place de la Vaillance à Anderlecht, l’autre avenue de l’Arbre ballon à Jette, le dossier pour bpost avenue de Schipol à Evere et le projet Lebeau au Sablon.
A cela s’ajoute d’autres projets de plus petites envergures dans les communes. Pascal Smet a demandé aux entités de dresser une liste mais 7 sur 19 ont répondu pour le moment. Auderghem, Etterbeek, Woluwe-Saint-Lambert et Saint-Gilles n’ont pas retrouvé de dossier communal ayant été impacté. Les communes d’Anderlecht et de Schaerbeek ont chacune fait part d’un dossier déjà octroyé et nécessitant un rapport d’incidences. Pour la Ville de Bruxelles, deux permis d’urbanisme ont été délivrés en application des seuils annulés et trois dossiers en cours sont impactés.
Des recours possibles
Car cette modification pourrait aussi avoir d’autres conséquences pour des projets dont le permis d’urbanisme a été octroyé voici moins de 60 jours ouvrables, délais durant lequel un recours peut être introduit. C’est le cas notamment du projet Key West à Anderlecht. Son permis a été délivré voici 40 jours. Du côté d’Inter-envrionnement Bruxelles, on songe sérieusement à l’attaquer puisque pour 383 places de parking, il a simplement dû faire un rapport d’incidence.
Le projet Brouck’R de la place De Brouckère qui a obtenu un feu vert de la commission de concertation mais sous condition, ne devrait pas tomber sous le coup de cette annulation. En effet, le projet compte un peu plus de 200 places mais une des conditions d’obtention du permis est de revoir le nombre d’emplacements et de facto, de passer sous la barre des 200 places.
“Pour le moment, nous tentons de voir quels sont les projets touchés par cette décision mais cela semble complexe d’avoir une liste précise, explique Claire Scohier d’Inter-environnement Bruxelles. Et puis, il faut voir si les dossiers qui ont leur permis depuis plus de 60 jours peuvent quand même être attaqués ou non.” Pour le moment, les juristes étudient toujours cette possibilité.
Un choc pour les promoteurs
Du côté des promoteurs immobiliers, forcément, la nouvelle ne plaît pas. “Nous étudions pour savoir si nous maintenons le nombre d’emplacements ou si nous le réduisons, précise Guillaume Gosse, responsable du projet Lebeau pour Immobel. Nous allons en profiter pour intégrer aussi les remarques formulées par les autorités et les riverains pour présenter un nouveau permis d’urbanisme avant l’été. Cependant, si nous décidions de conserver le nombre de places de parking, cela signifierait que nous devrions réaliser une étude d’incidence ce qui nous prendrait un an environ.”
Pour les professionnels, cela signifie des frais supplémentaires importants. “C’est un traumatisme pour la profession, commente Stéphan Sonneville, président de l’UPSI (l’Union professionnelle du secteur immobilier) pour Bruxelles et directeur d’Atenor. Pour une fois, nous ne pouvons pas accuser les politiques qui au contraire souhaitaient accélérer la délivrance des permis d’urbanisme. Je pense qu’ils sont aussi choqués et cherchent une solution pour que les dossiers en cours ne soient pas trop ralentis. Nous connaissons déjà beaucoup de retard dans la digitalisation des procédures ou la mise en place des plans d’aménagement directeurs (PAD). Nous avons besoin de construire rapidement des nouveaux logements ou des bureaux qui répondent aux demandes.”
Des modifications à effectuer dans le Cobat
Une réunion doit avoir lieu la semaine prochaine entre les promoteurs immobiliers et la Région. En attendant, au cabinet de Pascal Smet, on réfléchit à une solution pour sécuriser l’avenir. Le gouvernement doit prendre position et trois options s’offrent à lui. Premièrement, il maintient les seuils qu’il avait fixés dans la nouvelle mouture du Cobat mais justifie mieux son choix. Deuxièmement, il peut abaisser les seuils pour revenir à l’ancienne réglementation. Troisièmement, il peut fixer de nouveaux seuils qui seront les mêmes pour les permis d’urbanisme et d’environnement.
A l’heure actuelle, aucune tendance ne se dégage mais d’un point de vue juridique, la première option semble plus risquée. Ce qui est certain, c’est qu’une évaluation du Cobat doit être menée.
Vanessa Lhuillier – Photo: Immobel