“Trois ans de guerre, ça transforme un pays et chaque personne qui y est liée de près ou de loin”
Il y a trois ans, le 24 février 2022, le président de la fédération de Russie Vladimir Poutine déclenchait une “opération militaire spéciale” afin de “démilitariser et de dénazifier” l’Ukraine. Trois ans plus tard, le pays n’entrevoit toujours pas l’issue du conflit. Une guerre aux portes de l’Europe relatée par de nombreux journalistes, envoyés sur place. C’est le cas d’Arnaud De Decker, un journaliste indépendant bruxellois, qui a passé du temps là-bas, sur la ligne de front, dans les villes ukrainiennes. Son objectif : raconter la guerre à travers le vécu des gens qu’il rencontre.
■ Reportage de Maël Arnoldussen, Marjorie Fellinger et Stéphanie Mira
Il y a trois ans, le président ukrainien Volodymyr Zelensky troque son costume d’homme d’État pour celui de chef de guerre. Très vite, le visage de la résistance nationale parvient à obtenir le soutien de l’Union européenne et des États-Unis, qui débloquent des milliards d’euros d’aide militaire. Les forces russes, qui combinent tous les moyens militaires possibles, progressent rapidement. Elles tentent de rejoindre la capitale Kiev (nord) et Kharkiv (nord-est), deuxième ville d’Ukraine. Les combats font rage, mais nombre d’habitants s’organisent pour défendre leur pays. À Boutcha, dans la banlieue de Kiev, l’armée russe commet une série de crimes de guerre. Des photos montrant les corps de civils dans les rues circulent sur les réseaux sociaux, suscitant un tollé international.
Début mars 2022, les Russes prennent Kherson (sud), maintiennent la pression sur Kiev et Kharkiv et s’emparent de la centrale de Zaporijjia (sud-est), la plus grande installation nucléaire d’Europe. Fin mai, l’armée russe confirme son avancée en se saisissant de la cité portuaire de Marioupol (sud-est). La ville, stratégique, est détruite à 90% et Kiev estime que quelque 20.000 personnes y ont été tuées.
Les troupes russes reculent
L’Ukraine, qui voit arriver un afflux d’aide militaire occidentale, lance à la fin de l’été 2022 deux contre-offensives dans les régions de Kherson et de Kharkiv. Celles-ci lui permettent de reprendre de grands pans de son territoire et de libérer, le 11 novembre, la ville de Kherson. Face à ces attaques ukrainiennes, le président russe Vladimir Poutine ordonne le 21 septembre une forte mobilisation militaire et, le 30 septembre, revendique l’annexion des régions de Lougansk, Donetsk, Kherson et Zaporijjia, sans toutefois les contrôler complètement. Kiev commence alors à attaquer des bases russes situées à des centaines de kilomètres de sa frontière dès le mois de décembre: une première depuis le début du conflit.
La bataille de Bakhmout
L’armée russe, renforcée par 300.000 réservistes et les paramilitaires de Wagner, reprend en début d’année 2023 sa campagne du Donbass. Après des mois de carnage, elle s’empare de la cité orientale de Bakhmout (est). Les combats sont intenses et les pertes très importantes dans les deux camps. Dans le même temps, Kiev obtient enfin de ses alliés des chars lourds modernes. En mai, Washington autorise la livraison d’avions de chasse F-16. Le 24 juin 2023, le groupe Wagner entre en rébellion contre le Kremlin et marche sur Moscou. Le président russe Vladimir Poutine dénonce une “trahison” de leur chef Evgueni Prigojine, qui meurt deux mois plus tard dans un mystérieux accident d’avion.
Contre-offensive ukrainienne difficile
Les Ukrainiens engagent une contre-offensive au début du mois de juin 2023 sur le sud et l’est du pays, mais se heurtent à une défense puissante. L’opération est un échec et la grande ville portuaire d’Odessa passe en mains russes. Mi-février 2024, l’armée ukrainienne se retire d’Avdiïvka (est), près de Donetsk, offrant à Moscou son premier gain territorial significatif depuis la prise de Bakhmout. Confrontée à un manque d’hommes et de munitions, Kiev est en difficulté. Mais après des mois de tractations, le Congrès américain adopte, le 23 avril 2024, une enveloppe cruciale de 61 milliards de dollars. Les forces russes lancent, le 10 mai, une offensive surprise sur la région de Kharkiv, prenant plusieurs localités.
Kiev tente de prendre du galon
À la mi-juin 2024, le G7 réuni en Italie s’accorde sur l’utilisation des actifs russes gelés pour aider Kiev, actant le principe d’un prêt de 50 milliards de dollars tandis qu’en Suisse, un sommet sur la paix, organisé sans Moscou, réaffirme le principe de l’indépendance et la souveraineté territoriale de l’Ukraine. Un mois plus tard, Volodymyr Zelensky ouvre pour la première fois la porte à des pourparlers avec la Russie. Alors que les premiers chasseurs américains F-16 commencent à être livrés en Ukraine, Kiev réalise à partir du 6 août 2024 une incursion inattendue dans la région russe de Koursk. Kiev affirme vouloir créer une “zone tampon” et forcer Moscou à des négociations “équitables”. Mais Moscou répond par une série de frappes meurtrières, tout en accentuant son avancée dans le Donbass.
Le 29 octobre, l’Ukraine annonce vouloir mobiliser 160.000 hommes supplémentaires face aux avancées russes et à des renforts nord-coréens. Selon le président ukrainien, 11.000 soldats nord-coréens sont déployés dans la région russe de Koursk. Au 1.000e jour de l’invasion, le 19 novembre, l’Ukraine lance pour la première fois des missiles à longue portée américains puis britanniques sur le territoire russe. La Russie riposte en frappant avec un missile balistique hypersonique “Orechnik” de nouvelle génération. Vladimir Poutine évoque un conflit “mondial” et assure que la Russie est “prête à tous” les scénarios.
L’arrivée de Donald Trump
Avant l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, l’administration Biden multiplie les annonces d’aides à Kiev tandis que Moscou accentue ses attaques contre les réseaux énergétiques ukrainiens et grignote le territoire de l’est de l’Ukraine. Peu après son entrée en fonction, Donald Trump crée la stupeur le 12 février en annonçant des négociations directes avec Vladimir Poutine, peu après un échange téléphonique avec ce dernier. Washington juge désormais irréaliste une adhésion de l’Ukraine à l’Otan et un retour aux frontières d’avant l’annexion de la Crimée par Moscou en 2014. Le 16 février, le président américain assure qu’une rencontre avec Vladimir Poutine en Arabie saoudite pourrait intervenir “très bientôt” et que ce dernier veut que les combats “cessent” en Ukraine.
Ces initiatives américaines inquiètent les Européens, qui craignent d’être exclus d’un processus sur un dossier les concernant au premier chef. Volodymyr Zelensky a exhorté ses alliés européens à éviter un accord forgé par les Américains “dans le dos” de Kiev et de l’Europe.