Travaux du métro 3 : quand l’avenir de l’avenue de Stalingrad est menacé

Depuis près d’un an, la première phase pour la construction de la ligne de métro 3 est enclenchée. Cette nouvelle ligne de métro a pour objectif de relier la station Bordet (Evere) à la station Albert (Forest) en 20 minutes, en passant par le centre-ville. Ce nouvel axe s’étendra sur 10,3 km et sera jalonné de 18 stations.

Au cours de la première phase du projet, les stations de l’actuel pré-métro entre Nord et Albert seront transformées en stations de métro. Une exception, néanmoins : la station Lemonnier. Datant des années 1950, elle n’est pas conçue pour accueillir le métro. Il a donc été décidé de construire une nouvelle station à proximité, qui s’appellera “Toots Thielemans”. Des travaux qui impactent la vie des commerçants du quartier de Stalingrad depuis bientôt un an. Et ce n’est pas près de se terminer…

Des travaux de longue haleine

La station Toots Thielemans sera construite sous l’avenue de Stalingrad, entre le carrefour avec la petite ceinture et le Palais du Midi. La construction de cette station présente de nombreux défis. Il s’agit d’un des projets de construction les plus complexes à Bruxelles, à l’heure actuelle. En plus d’une nouvelle station, de nouvelles sections de tunnel de métro doivent être construites pour se connecter aux tunnels de pré-métro existants.

Afin de maintenir une voirie accessible en direction de la place Rouppe, la construction se déroule en deux phases. Dans la première phase, les fondations et les murs seront réalisés côté impair de l’avenue. Dans une deuxième phase, le chantier sera déplacé côté pair. Pour l’instant, une autre zone de chantier se trouve au milieu du carrefour de la petite ceinture. La circulation y est réorganisée grâce au grand giratoire, qui a été mis en place.

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Au total, les travaux doivent durer environ trois ans et les premiers coups de pelle pour la construction de cette nouvelle station “Toots Thielemans” ont été donnés en octobre 2020. Il reste donc encore deux ans de travaux en surface. Après quoi, les travaux en sous-terrain pourront commencer, pour une durée de 4 ans.

Et les commerçants dans tout ça ?

L’ampleur et l’impact des travaux sont considérables. À tel point que plusieurs commerçants ont été contraints de fermer boutique le temps des travaux. Véritable poumon économique pour la Ville de Bruxelles, ils comprennent mal qu’ils soient si peu associés aux réflexions sur le passage du métro. “Pour ce projet de métro, on n’a pas été consulté. On n’a pas été mis au courant. On nous a mis à chaque fois sur le côté. Personne ne prenait en compte notre avis, nos demandes. On nous mettait chaque fois devant le fait accompli, et point final” explique Brahim, patron d’un commerce dans le Palais du Midi et habitant du quartier depuis plus de 40 ans.

Pour essayer de remédier à ces problèmes, les partenaires du projet ont élaboré un ensemble de mesures d’accompagnement. Une convention a été signée par le gouvernement régional, la commune de Saint-Gilles, la Ville de Bruxelles, la Stib, Bruxelles Mobilité et hub.brussels.

Parmi ces mesures d’accompagnement, le recrutement d’un médiateur, d’un hyper-coordinateur et d’un facilitateur de chantier. Un panel a également été mis en place pour permettre à toutes les parties concernées de dialoguer en vue d’une bonne gestion du chantier. Ces réunions ont lieu environ une fois par mois.

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Pour Brahim et beaucoup d’autres commerçants, ces tentatives de conciliation sont un coup dans l’eau : “Nous, on est totalement impuissants. Tout ce qu’on peut faire, c’est assister aux réunions et donner notre avis, qui n’est jamais pris en compte. A chaque réunion, on répète la même chose. Par exemple, tous les gens qui sont dans le périmètre de chantier sont censés avoir une indemnité. Mais pour recevoir ces indemnités, il y a plein de conditions à remplir. Mais certains commerçants, qui sont également fort impactés, n’y ont pas droit. Pour avoir ce que l’on veut, c’est-à-dire, nos droits, c’est un vrai parcours du combattant.”

Une autre mesure qui a été prise concerne la construction d’un village éphémère en plein cœur de l’avenue Stalingrad : le “Stalingrad Village”. Il a été inauguré en septembre 2020, juste avant le commencement des gros travaux. Il s’agit d’un petit centre commercial de fortune. Il accueille sept commerçants qui ont dû quitter temporairement le Palais du Midi en raison des travaux. Mais là aussi, la situation est compliquée : “Personnellement, je fais partie des commerçants qui ont dû déménager dans les containers. Et c’était très frustrant parce que la communication était nulle. On n’était au courant de rien, jusqu’à ce qu’on nous mette devant le fait accompli” ajoute un commerçant.

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L’avenir de l’avenue Stalingrad menacée ?

Sans aides supplémentaires, les commerçants estiment à 80/100 le nombre de petits commerces qui succomberont d’ici la fin des travaux : “C’est certain, il y aura 70 à 80/100 des commerçants actuels qui ne vont pas tenir. 7 commerçants ont été déplacés dans les containers parce que l’accès chez eux était impossible durant les travaux. Mais bon, dans le quartier, il y a plus de 300 commerçants qui sont tous impactés d’une manière ou d’une autre par ces travaux. Mais ça, ils s’en fichent.” explique Brahim.

Par ailleurs, les commerçants sont nombreux à se demander pourquoi les pouvoirs publics souhaitent installer une nouvelle station de métro à cet endroit précis. Pour eux, le quartier est suffisamment desservi avec la gare du Midi et la station Anneessens, qui se trouvent à quelques minutes à pied l’une de l’autre. Et même si l’idée de la construction d’une nouvelle ligne de métro ne déplaît pas aux habitants du quartier, ils ne pensent pas qu’une station à cet endroit soit indispensable. “On se dit qu’en fait, on n’a pas besoin de station Avenue Stalingrad. On est desservi comme il faut, on a tout ce qu’il faut. On a le métro à 500 mètres Gare du Midi, à 100 mètres c’était Lemonnier et Anneessens est à plus ou moins à 500 mètres. Donc on se demande vraiment pourquoi ils veulent nous mettre une nouvelle station de métro, en plein cœur de Stalingrad, alors qu’on n’en a pas besoin.” explique Brahim.

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Des constats qui, couplés à la crise sanitaire, bouleversent totalement le mode de vie des habitants et commerçants du quartier. Pour Khadija Senhadji, socio-anthropologue, les travaux seraient une manière déguisée de modifier totalement l’aspect actuel de l’Avenue de Stalingrad: “Ce qu’on constate dans ce genre de cas de figure, c’est que finalement, il y a une vraie logique de dépossession de ce territoire, à l’égard des commerçants qui sont historiquement installés dans ces quartiers-là. C’est-à-dire que ce sont des projets qui font la part belle à des investisseurs privés et qui favorisent des infrastructures qui vont plutôt profiter à des touristes, à des consommateurs aisés. Alors que les commerçants locaux ont grandement contribué à faire du quartier Stalingrad ce qu’il est aujourd’hui.”

Les travaux en surface doivent normalement se terminer d’ici 2023, sauf s’ils prennent du retard. Entre-temps les commerçants locaux, pour la plupart d’origine étrangère, craignent pour la survie de leur commerce. Ils espèrent pouvoir tenir jusque-là. Mais sans aide supplémentaire et avec la crise sanitaire, environ 80/100 des commerces du quartier de Stalingrad risquent de fermer définitivement. Et leur disparition, par la même occasion, risque d’entraîner avec elle une partie de la diversité culturelle, propre à ce quartier.

“Phase 0” : un court-métrage sur cette thématique, à voir ce lundi sur BX1

Durant ces six derniers mois, à l’initiative des Ateliers Urbains et en collaboration avec le Centre Vidéo de Bruxelles, des habitants du quartier de Stalingrad se sont réunis pour réaliser un reportage sur la thématique. Le groupe filme les transformations de cette artère, située entre la Gare du Midi et la Place Rouppe, devenue véritable chantier. Le tout, alterné de rencontres et de témoignages avec des habitants et commerçants du quartier.

Le documentaire long métrage sur le sujet sortira en automne 2021. Mais en attendant, les réalisateurs-habitants diffuseront deux courts-métrages de 12 minutes, avec quelques éléments d’enquête. Le premier de ces deux courts-métrages, “Phase 0”, est à voir sur Bx1 ce lundi 24 mai, en boucle et en soirée dès 18h15, puis à 19h45. Vous pourrez également retrouver un article, accompagné de chaque épisode, dans les dossiers de la rédaction, sur le site Web de BX1.

 

Daphné Fanon – Photo : Belga (archives)