Rue de la Loi : une note de centre-gauche ? C’est logique !
C’est la dernière ligne droite de cette gigantesque bataille de chiffonniers que fut cette interminable formation de gouvernement. Et sentant poindre la ligne d’arrivée, le peloton des rescapés redouble d’efforts pour imprimer son empreinte sur le maillot du gouvernement attendu. C’est l’habituel lutte des symboles, l’obtention des mesures emblématiques, celles qui permettent de dire que l’on va pouvoir réaliser une partie du programme sur lequel on a été élu. C’est de bonne guerre, et c’est finalement démocratiquement sain, que les citoyens puissent comparer les promesses de campagne et la réalité de l’accord final. Que l’on repère les victoires petites ou grandes de ceux pour qui on a voté permet de vérifier que le vote n’est pas un acte gratuit, que la démocratie proportionnelle se traduit dans un programme de gouvernement, que le sens du compromis n’empêche pas d’avoir l’une ou l’autre avancée à laquelle on était attaché, bref, c’est une excellente éducation à la citoyenneté.
Dans ce petit jeu des “plumes à mon chapeau” il y a évidement des gagnants qui sont plus gagnants que les autres. Et pour le grand public, tous ceux qui n’ont pas envie d’entrer dans une analyse fouillée et détaillée, les grands titres de la presse, l’analyse des éditorialistes, les formules lapidaires en interview permettront de faire le tri. Cela reste un exercice délicat : donner la tonalité d’ensemble de cette cacophonique symphonie, la résumer d’une formule, d’un pourcentage, d’un curseur que l’on va placer sur un axe gauche-droite de préférence, ou francophone-flamand, fédéral-régional, laïc-chrétien, productiviste-environnementaliste suivant votre affinité.
Suivant l’adage où l’on n’est jamais mieux servi que par soi-même, les présidents de parti ne sont pas les derniers à s’adonner à cet exercice. Ainsi dans la désormais si célèbre interview accordée à Humo Georges-Louis Bouchez avait claironné que l’accord de gouvernement de la coalition Avanti-Vivaldi serait beaucoup plus à droite que la note d’intention PS-NVA négociée par Paul Magnette et Bart De Wever… “la N-VA avait accepté tout le programme socio-économique du PS” avait-il glissé … L’affirmation péremptoire peut-elle être fact-checkée comme disent désormais mes jeunes collègues ? En partie oui, mais avec des limites. D’abord parce que Magnette et De Wever n’ont pas rendu publique de note écrite : on n’a pu reconstituer que des bribes de leurs projets. ensuite parce que les travaux de la Vivaldi-Avanti sont toujours en cours et que les présidents de parti auront beau jeu de répondre que nous ne connaissons pas les détails du texte, et que celui-ci peut d’ailleurs encore évoluer jusqu’au 1er octobre, et ce qui comptera vraiment sera dans la déclaration du futur premier ministre à la chambre. Soit. Pour écrire ce qui suit je me suis donc basé, comme beaucoup de journalistes politiques, sur un certain nombre de déclarations publiques et de confidences privées, ainsi que sur des documents de travail qui ont circulé ces dernières semaines. L’exercice sera donc forcément imparfait, mais il permet de se faire une petite idée.
Il y a quelques jours la note Lachaert-Rousseau se présentait sous la forme d’un document d’une petite centaine de pages et comportait 300 points, répertoriés comme autant de paragraphes numérotés. Le document (rédigé en néerlandais) n’avait que modérément plu au président du Mouvement Réformateur qui avait fait savoir qu’il ne marquait pas son accord juste avant d’aller s’épancher dans l’hebdomadaire flamand. La solution de compromis acceptée lundi est-elle très différente des conclusions d’avant ce weekend de crise et la démission (refusée) des deux préformateurs ? Seuls les négociateurs ont, pour l’instant, la réponse à cette question. En tant qu’observateur je me bornerai à constater que Georges-Louis Bouchez s’est retrouvé entre ces deux moments-clefs dans une posture où il n’était plus tout à fait en position de force.
Voici tel que vous avez aussi pu les parcourir dans la presse les principales grandes lignes de ce (potentiel) futur accord de majorité : une sortie du nucléaire maintenue à 2025, la nomination de deux ministres chargés de préparer les réformes institutionnelles, une autonomie accrue des régions en matière de soins de santé, le renvoi du dossier IVG au parlement avec de nouveaux travaux en commission dans un esprit de consensus, un refinancement de la sécurité sociale, des investissements confirmés en santé, le financement d’un plan de relance, des pensions à 1500 euros (sans qu’il soit encore clair de savoir si c’est net ou brut), le passage des voitures de société au zéro émission, une digitaxe sur les géants du web, une contribution spéciale sur les contribuables “aux épaules les plus larges” (concept à définir), pas de nouvelle taxe sauf si c’est nécessaire (sic) pour les autres, pas de changement à court terme sur l’âge de la pension ou les allocations de chômage, mais une réflexion sur le marché du travail… Chacun y trouvera les marqueurs de son choix, et évidemment la liste n’est pas exhaustive.
Peut-on dire que ce programme est à droite ? A l’évidence la réponse est non. Le PTB aura beau s’égosiller sur l’absence d’une taxe sur les millionnaires, le programme de gouvernement, tel qu’il est présenté aujourd’hui (et sous réserve d’un inventaire plus détaillé) semble plutôt pencher nettement plus à gauche que celui du gouvernement précédent. Est-il, comme l’affirmait Georges-Louis Bouchez, bien plus à droite que la note PS-NVA ? Il faudrait avoir plus de documentation pour répondre réellement, mais à première vue cela ne semble pas sauter aux yeux. La note Avanti parait surtout plus verte (sortie du nucléaire maintenue par exemple) et moins communautaire (moins de régionalisations) que la note Magnette-De Wever. Le curseur droite-gauche n’est donc peut-être pas le plus indiqué pour rendre compte des différences de projets. Pour les plus attachés à l’orthodoxie budgétaire on notera surtout que les négociateurs ont prévu une série de dépenses conséquentes… mais bien peu de nouvelles rentrées fiscales ou de mesures d’économies à mettre en regard. C’est donc un programme de relance, qui devra compter sur le soutien de l’Union Européenne et surtout sur une reprise de la croissance pour ne pas plomber douloureusement les comptes de la maison belge.
Si l’on doit se limiter à la terminologie gauche-droite habituelle on dira donc que ce projet est plutôt au centre, voire au centre-gauche. Et on comprend que cela puisse donner de l’urticaire au Mouvement Réformateur qui sort d’une législature avec un programme nettement plus à droite (et on ne vous parle pas des 7 ministres perdus et du 16 rue de la loi en prime). Le choc est donc rude à encaisser pour Georges-Louis Bouchez, ce qui explique une partie de son énervement des dernières semaines. Mais ce résultat, quoiqu’il en dise, est logique. Il suffit de reprendre la composition de la coalition pour comprendre. A droite le MR et l’Open VLD pèsent 26 députés (ajoutez le CD&V dans le même camp, ce qui est discutable, et vous arriveriez à 38). A gauche, les deux partis socialistes et la famille écologiste totalisent 42 sièges (43 si vous comptez Emir Kir). La coalition penche sur sa gauche, et il est donc légitime que cela se sente dans son programme, comme dans son casting. Si le Mouvement Réformateur avait voulu un programme moins centriste il avait la possibilité de s’allier avec la N-VA. Il ne l’a pas vraiment souhaité. Comme on dit vulgairement : on ne peut pas gagner sur tous les tableaux en même temps, ni avoir le beurre et l’argent du beurre.
S’ils veulent se donner une vraie chance de réussir, on ne saurait trop conseiller aux 7 présidents de parti de changer de logiciel et de renoncer à tous ces curseurs qui s’apparentent à un “qui perd, qui gagne”. Pour sortir de l’enlisement et tenter d’endiguer le tsunami populiste qui menace la Flandre il faudra trouver du souffle et surtout proposer une équipe soudée, unie vers un objectif commun et capable de mobiliser un minimum d’enthousiasme. Le Verhofstadt première période avait réussi quelque chose de cet ordre-là. Il nous semble que c’était il y a une éternité.