Procès des attentats : les dernières répliques, puis le jury partira en délibération
L’audience du jour sera la dernière avant la délibération du jury.
L’audience de jeudi sera la dernière avant que le jury ne parte en délibération pour déterminer la culpabilité des dix accusés, dont un fait défaut, au procès des attentats du 22 mars 2016 à Bruxelles. Le délibéré devrait prendre plusieurs jours voire semaines. Avant cela, la défense prononcera à son tour ses répliques puis les accusés auront le dernier mot pour clore les débats.
Après les procureurs fédéraux mardi après-midi puis les avocats des parties civiles mercredi, ce sont donc les avocats de la défense qui s’exprimeront jeudi. Ils répliqueront aux arguments développés les deux derniers jours par ces deux parties, qui ont toutes deux demandé la condamnation des sept accusés détenus pour assassinats ainsi que tentatives d’assassinat dans un contexte terroriste et à les reconnaître, au même titre que Smail Farisi, qui comparait libre, coupables de participation aux activités d’un groupe terroriste.
Après les répliques de la défense, la cour cédera la parole aux accusés, sans doute en fin de journée. La présidente donnera ensuite quelques mots d’explication au jury concernant la délibération, lira le projet de questions final et déclarera les débats clos.
► Lire aussi | Pas de téléphone, de wifi ni de visite : comment va se dérouler la délibération du jury au procès des attentats
Les jurés, la présidente de la cour et ses juges assesseurs partiront alors en délibération dans un hôtel de Bruxelles, d’où ils ne ressortiront pas avant d’être parvenus à un verdict. Une fois celui-ci déterminé, les trois magistrats professionnels aideront les jurés à rédiger la motivation de leur décision dans un arrêt qui sera prononcé en audience publique, dans la salle d’audience de la cour d’assises du Justitia à Haren.
Leur réflexion s’annonce longue, avec quelque 287 questions sur la culpabilité des accusés qui leur seront soumises. Ils ne devront cependant pas répondre à chacune d’entre elles. Cela prendra “plusieurs jours voire plusieurs semaines“, avait averti la semaine passée la présidente de la cour d’assises.
14h55 – La défense d’Abdeslam enfonce le clou : la fusillade de la rue du Dries est un dossier jugé
Me Michel Bouchat, l’un des conseils de Salah Abdeslam, a persisté à dire, jeudi matin, au procès des attentats du 22 mars 2016 devant la cour d’assises de Bruxelles, que son client a déjà été jugé pour la fusillade de la rue du Dries à Forest. Or, le parquet fédéral y a fait référence pour réclamer la culpabilité d’Abdeslam pour les attentats, sans que les jurés aient accès à ce dossier.
Les procureurs fédéraux avaient affirmé, mardi, qu’un procès-verbal de synthèse du dossier de la rue du Dries avait été versé à celui des attentats, réfutant donc tout manque de loyauté dont l’accusait la défense de Salah Abdeslam quant au fait d’utiliser des pièces de ce dossier. Jeudi, Me Bouchat a contesté cette explication. Pour lui, les procureurs ne peuvent se servir d’éléments de l’enquête relative à la fusillade de la rue du Dries du 15 mars 2016 dans la mesure où les jurés du présent procès n’auront pas accès à ce dossier. “Il vous est impossible de pouvoir vérifier des faits concernant la rue du Dries. Les pièces à conviction, elles ne vous sont pas données“, a-t-il martelé.
Par ailleurs, Me Bouchat avait soutenu, en plaidoirie, que l’appartement de la rue du Dries, où se cachait Abdeslam, n’était qu’une “planque” et non un “appartement conspiratif“, autrement dit un lieu où des décisions ont été prises. Il a estimé jeudi que le ministère public, en soutenant que des détonateurs avaient été trouvés dans ce logement de Forest, n’a pas rencontré son argument. “Les enquêteurs l’ont expliqué: il n’y a aucune similitude entre ces détonateurs et ceux qui ont servi à Zaventem et à Maelbeek“, a-t-il insisté. “Quant à l’ordinateur saisi rue du Dries, les enquêteurs ont également dit qu’il n’a pas servi à la préparation des attentats du 22 mars. L’appartement de la rue du Dries n’est donc pas conspiratif. Pourquoi cet acharnement du parquet fédéral? Pourquoi ne pas recevoir les explications des enquêteurs qui, de l’avis de tous, ont accompli un travail de grande qualité?“, s’est interrogé le pénaliste du barreau de Charleroi.
Me Bouchat a encore rappelé les propos de Mohamed Abrini au sujet de l’implication de Salah Abdeslam. ” ‘Salah était-il au courant du projet avant son arrestation?’ lui ont demandé les enquêteurs. ‘Je ne pense pas, car rien n’était mis en place à ce moment-là’ avait-il répondu. Je vous demande de retenir cette déclaration“, s’est adressé aux jurés l’avocat.
Enfin, le pénaliste a également reproché au ministère public de prendre en compte, pour requérir la culpabilité de Salah Abdeslam, le fait qu’il était allé chercher à l’aéroport, entre autres, Krayem, en octobre 2015. Pour les procureurs, sans cette aide, les attentats n’auraient peut-être pas eu lieu. “Comment, en posant ces actes à cette date-là, Salah Abdeslam a-t-il eu la volonté de participer aux attentats à Bruxelles des mois plus tard? Et cela alors que, de plus, il était prévu qu’il meure le 13 novembre à Paris“, a relevé Me Bouchat.
Résumant, le pénaliste a expliqué aux jurés que, pour pouvoir déclarer Salah Abdeslam coupable d’assassinats et de tentatives d’assassinat dans un contexte terroriste, ils devaient pouvoir répondre à cette question: quel est l’acte posé par Salah Abdeslam avant les attentats du 22 mars tel que sans cet acte les attentats n’auraient pu être commis? Pour le défenseur, aucun.
16h20 – “Une seule solution possible pour El Haddad : c’est l’acquittement”, conclut sa défense
Jonathan De Taye, conseil d’Ali El Haddad Asufi, a conclu sa réplique jeudi après-midi, au procès des attentats du 22 mars 2016 devant la cour d’assises de Bruxelles, en réaffirmant qu’il n’y avait qu’une option possible pour son client, et qu’il s’agissait de l’acquittement. Il a ironiquement remercié le procureur fédéral de lui avoir procuré “le carburant nécessaire”, soit “l’injustice permanente”, pour tenir jusqu’au bout de ce procès qui se tient depuis déjà 7 mois.
Jonathan De Taye a pointé “la faiblesse des répliques” mais surtout “l’absence de réponse” du parquet fédéral aux éléments soulevés dans sa plaidoirie. “La pierre angulaire de l’accusation, ce sont les armes”, a relevé le pénaliste. “Nous avons avancé des arguments assez solides, et on n’a pas eu de réponse.”
Si le parquet estime, sur base d’échanges entre l’accusé et son cousin, qu’il cherchait des armes aux Pays-Bas pour la cellule, la défense d’Ali El Haddad Asufi affirme qu’il cherchait des stupéfiants, qu’il revendait. “Vous avez un homme, qui objectivement achète des stupéfiants, se rend dans le pays où se vendent facilement ces stupéfiants, qui évoque un montant au kilo qui correspond au prix de vente des stupéfiants à l’époque…“, mais selon le parquet, il s’agit d’armes, “et on n’a pas la moindre explication” sur ce raisonnement, selon Jonathan De Taye. “C’est absurde, ça n’a aucun sens.“
Comme réponse, “on nous a dit qu’on était les maîtres des scénarios alternatifs“, a poursuivi son confrère Jean-Christophe De Block. “Mais on sait que l’enquête n’a pas permis d’identifier tout le monde“, donc d’autres hypothèses que celles du parquet sont possibles, d’autant plus que ces dernières ne sont nullement étayées, selon la défense d’Ali El Haddad Asufi. “En résumé, les éléments qui ne plaisent pas au parquet, c’est la faute des autres“, a-t-il dit. Un chef d’enquête qui a mal lu, des chiens détecteurs qui viennent trop tard, un jugement étranger qualifié de jugement politique… Ont listé les deux avocats.
Reprenant brièvement les éléments de la plaidoirie, notamment l’absence de motif, le profil de leur client non radicalisé, le fait qu’il était en capacité de faire entrer des armes lourdes à l’aéroport – puisqu’il y travaillait – ou encore l’absence d’achat pour la cellule, Me De Taye a déclaré aux 12 citoyens qui seront chargés de le juger : “il n’y a qu’une solution possible pour El Haddad, c’est l’acquittement“.
17h06 -La Belgique désengagée de la coalition internationale en juin 2015? Faux, selon l’avocat Nicolas Cohen
Nicolas Cohen, conseil de Bilal El Makhoukhi dans le procès des attentats du 22 mars 2016, a répliqué directement, jeudi devant la cour d’assises de Bruxelles, à l’un des arguments de la réplique du procureur Bernard Michel. Ce dernier avait avancé que le droit international humanitaire n’avait pas à s’appliquer dans le présent dossier compte tenu du fait que la Belgique s’était désengagée de la coalition internationale contre l’État Islamique en juin 2015. Pour le procureur, il n’est donc pas possible pour la défense d’El Makhoukhi d’affirmer qu’en mars 2016 la Belgique était impliquée dans un conflit armé.
Nicolas Cohen a réaffirmé sa position, consistant à demander aux jurés de reconnaître Bilal El Makhoukhi coupable de complicité de crime de guerre et non co-auteur d’attentats. Pour le pénaliste, les attaques terroristes à Bruxelles sont un crime de guerre, soit des assassinats commis à l’encontre de civils dans un contexte de conflit armé, la Belgique étant alors membre de la coalition internationale contre l’État Islamique en Irak puis en Syrie.
Le procureur Bernard Michel a contesté cet argument en réplique, brandissant un document du ministère de la Défense qui prouve, selon lui, que la Belgique s’était désengagée de la coalition dès juin 2015. “On ne parle ici que des F16“, a rétorqué Me Cohen jeudi, expliquant que les avions de chasse belges étaient revenus à la base, mais que cela ne signifiait pas que le pays s’était désengagé du conflit contre l’État Islamique. “Il y a bel et bien toujours une continuité de l’engagement de la Belgique dans la coalition.” À titre d’exemple, l’avocat a mentionné que, le 5 juin 2015, l’État belge était encore en train de “commander des kits de guidage” pour ses opérations militaires au sein de la coalition, et que le 8 juillet le conseil des ministres a “marqué son accord sur la prolongation du détachement belge” en Syrie.
Virginie Taelman, second conseil d’El Makhoukhi, s’est ensuite montrée très concise, concluant que le parquet fédéral n’a pas apporté la preuve d’une aide “indispensable” qui ferait de son client un co-auteur des attentats. “Le ministère public mentionne comme élément de preuve le fait que Bilal El Makhoukhi a mis en relation [la cellule] avec Hervé Bayingana Muhirwa pour l’hébergement. Est-ce parce qu’ils [Osama Krayem et Mohamed Abrini] ont logé chez Hervé [la nuit du 15 au 16 mars 2016] que les attentats ont pu être commis? Non ! C’est donc une aide, utile, mais pas indispensable“, a étayé l’avocate, qui considère que son client est donc un complice de crimes, mais pas un co-auteur.
Quant au fait qu’Hervé Bayingana Muhirwa, ami de Bilal El Makhoukhi, a également logé Krayem et Abrini le 22 mars, la pénaliste a estimé que cela ne pouvait pas non plus être considéré comme une aide essentielle à la commission des attentats, puisque ceux-ci ont alors déjà été commis. “Prévoir l’hébergement ultérieur de kamikazes c’est antinomique“, a-t-elle lâché. De la même manière, le fait qu’El Makhoukhi a exfiltré les armes entreposées dans l’une des caches de la cellule après les attentats ne peut être reconnu comme un acte indispensable qui a permis les crimes puisque postérieurs à ceux-ci, selon la pénaliste.
Belga – Photos : Belga