Procès des attentats de Bruxelles : “Vous n’aurez pas ma haine, c’est la justice que je souhaite”

Procès attentats du 22 mars 2016 Bruxelles - Vue d'ensemble - Belga Jonathan De Cesare

La cour d’assises de Bruxelles entendra, jeudi, des victimes et des proches de victimes de l’attaque commise dans le métro bruxellois, lors des attentats du 22 mars 2016.

L’audience débutera par l’audition de proches de Aline Bastin, décédée dans le métro à Maelbeek. Seront ensuite entendus des proches de victimes blessées, une victime et des membres des familles de Mélanie Defize et Yves Cibuabua Ciyombo, qui ont également perdu la vie à Maelbeek.

VOIR AUSSI | Procès des attentats de Bruxelles : le conducteur du métro confie n’avoir plus aucun goût à la vie

Profil des accusés, rappel des faits, témoignages de victimes : notre dossier sur le procès des attentats de Bruxelles


11h14 – “Vous n’aurez pas ma haine, c’est la justice que je souhaite”, dit le papa d’Aline Bastin

Un nouveau message fort a été directement adressé aux accusés par une victime, jeudi matin, devant la cour d’assises de Bruxelles chargée du procès des attentats du 22 mars 2016. “Vous n’aurez pas ma haine, car la haine c’est vouloir la mort de l’autre, et je ne veux la mort de personne, c’est la justice que je souhaite”, a déclaré Pierre Bastin, le papa d’Aline Bastin, une jeune femme de 29 ans décédée dans l’explosion à Maelbeek.

“Vous n’aurez pas ma haine, car je vous plains sincèrement”, a poursuivi ce père, ajoutant que la vie de sa fille a été belle, tandis que les accusés sont dans “une bulle de haine et de mort”. Les personnes qui sont décédées “ne demandent pas qu’on les pleure, mais qu’on les continue”, a-t-il dit.

“Vous n’aurez pas ma haine, mais vous n’aurez pas non plus mon pardon. Je ne sais même pas si le pardon vous intéresse, car le pardon, c’est la rencontre de deux volontés”, a déclaré ce médecin de la région liégeoise. “Au terme de ce procès, et quelle qu’en soit l’issue, le fil qui nous relie sera rompu. Vous sortirez de notre vie à jamais”.

Le sexagénaire a terminé son témoignage en jetant une bouteille à la mer, selon ses mots. “Vous et moi partageons la même nature humaine, alors je vais vous souhaiter la meilleure chose qu’on puisse vous souhaitez dans ces circonstances, celle de prendre un jour conscience de ce que vous avez fait, de comprendre par quel mécanisme vous en êtes arrivés là”.

Avant ces derniers mots, Pierre Bastin a évoqué la personnalité de sa fille, une jeune femme simple, drôle, passionnée de voyages et de littérature. Elle vivait en colocation à Watermael-Boitsfort, où elle a vécu de beaux moments, selon son papa. Elle avait un travail qu’elle adorait – c’est là qu’elle se rendait le 22 mars 2016 au matin – et elle s’apprêtait à s’installer dans son propre appartement. La signature des actes de vente était prévue à midi le jour de l’attentat.

“Sa vocation initiale était le journalisme. Elle a fait un master en communication, puis un autre en Études européennes aux Facultés Saint-Louis à Bruxelles. Elle a ensuite travaillé au CER, la Communauté européenne du rail. Elle adorait Bruxelles pour son côté cosmopolite. Elle n’aurait jamais pensé que le danger viendrait de la ville qu’elle aimait tant. Elle a énormément voyagé en solo, en Inde, en Birmanie, au Japon, à Cuba, ou encore au Cambodge où j’ai pu l’accompagner”, a-t-il raconté. “Elle aimait le cinéma, la littérature, en particulier des auteurs comme Sylvain Tesson et Romain Gary. Aujourd’hui, quand je vais au cinéma, je regarde à côté de moi et Aline est là, attentive. En voyage, nous sommes ses yeux et ses oreilles”.

Pierre Bastin a remercié toutes les personnes qui ont embelli la vie de sa fille, notamment les collègues de la jeune femme, qui ont créé au CER un concours de photographies en sa mémoire.


12h56 “J’ai de la colère contre les politiciens qui ont permis le retour d’Atar en Belgique”

Le frère d’Aline Bastin, décédée dans l’attentat du métro à Maelbeek, s’est interrogé, au cours de son témoignage devant la cour d’assises de Bruxelles jeudi matin, au procès des attentats du 22 mars 2016, sur la responsabilité des représentants politiques. Il a vivement critiqué les compétences de l’autorité étatique tant concernant la sécurité des citoyens que concernant l’indemnisation des victimes.

Eric Bastin, âgé de 40 ans, a hésité à témoigner. Il s’est finalement avancé à la barre des témoins. Au-delà de la description de son chagrin et de sa peine, il a livré une profonde réflexion sur les causes des attentats, sur les éventuelles erreurs de la police et de la justice, et sur les difficultés que rencontrent les victimes pour être indemnisées.

“J’ai appris le décès de ma sœur le jour de l’anniversaire de ma femme. Le service d’aide aux victimes m’a appelé quand je servais le gâteau. Sa disparition a brisé ma famille, mes parents, ma grand-mère, qui est décédée peu de temps après”, a tout d’abord partagé le témoin.

Celui-ci a poursuivi en racontant qu’il était aujourd’hui partagé entre tristesse et colère. “J’ai de la colère contre les politiciens toujours en activité qui ont permis le retour d’Oussama Atar (considéré comme le cerveau des attentats, NDLR) en Belgique, alors qu’ils connaissaient sa dangerosité. Ces gens aussi ont du sang sur les mains. Je suis toujours gêné de lire des choses sur le gouvernement belge, sur les errements de la justice belge et des services de renseignements. J’ai honte de voir que mon pays ne peut pas protéger les gens contre le terrorisme, ni les victimes de terrorisme. J’ai parlé avec d’autres victimes et je suis triste de voir à quel point ces personnes sont abandonnées. Les assureurs ne font pas toujours leur boulot”, a-t-il exprimé.

“J’ai perdu foi en ce pays. Je vis à l’étranger, mais j’avais prévu de revenir en Belgique pour que mon fils connaisse un peu la culture belge et pour qu’il voie un peu plus ses grands-parents. Mais finalement, je ne pense pas que la Belgique soit le meilleur pays pour vivre en sécurité et je dis ça avec tristesse”, a encore dit le grand-frère d’Aline. “Je ne me sens pas écouté par les gens qui décident. Il faut mettre ces gens face à leurs erreurs pour que ces erreurs ne se répètent pas. Sans volonté politique, il n’y aura pas de changement. Et aujourd’hui, je n’ai pas l’impression que les choses ont évolué. J’espère au moins qu’on va accompagner ces gens (les victimes connaissant des difficultés à être indemnisées, NDLR) et que les choses vont changer”, a-t-il terminé.


13h01 – Avec la mort d’Yves Ciyombo, sa famille a perdu sa “locomotive”

C’est une famille visiblement ébranlée qui est venue jeudi évoquer devant la cour d’assises de Bruxelles chargée du procès des attentats du 22 mars 2016 la mémoire d’Yves Ciyombo, tué dans l’explosion à Maelbeek. “Avec la mort d’Yves, notre famille a perdu sa locomotive”, a notamment affirmé sa petite sœur, Ornella.

“C’était celui qui nous donnait des conseils quand on avait des problèmes, c’était l’exemple à suivre, il avait fait de grandes études et avait réussi à fonder une famille”, a raconté l’un de ses frères, Nathan. “Je ferai de mon mieux pour lui ressembler, c’est mon modèle.”

“Il jouait son rôle de grand frère”, a ajouté My’s, un autre frère d’Yves Ciyombo. “On vivait tous ensemble à Kinshasa puis Yves est parti pour étudier en Belgique. Quand j’ai suivi son exemple et que je suis arrivé en Belgique, c’est lui qui s’est occupé de toutes les démarches, il m’a pris sous son aile. (…) Je l’ai encore eu au téléphone quelques minutes avant l’attentat, il m’a dit qu’il était dans le train vers Schuman. Quand j’ai essayé de le rappeler un peu plus tard, il n’a pas répondu, j’ai senti qu’il se passait quelque chose.”

Et My’s Ciyombo Nzeba de poursuivre en expliquant que le 22 mars a été “la plus longue journée de ma vie”. Le jeune homme fait la tournée des hôpitaux à la recherche de son frère et essaye de trouver un moyen de prévenir ses parents, qui vivent alors toujours en République démocratique du Congo, autrement que par téléphone. “Ces personnes ont détruit ma famille”, a-t-il ajouté en parlant des accusés.

Ornella Ciyombo, la cadette de la fratrie a alors pris la parole pour raconter comment, du haut de ses 13 ans à l’époque, elle avait dû s’occuper de ses parents après l’annonce du décès d’Yves. “Mes parents ne mangeaient plus, ne buvaient plus pendant des jours, j’étais toute seule pour m’occuper d’eux, car mes frères vivaient à l’étranger. Ça a été très dur”, a-t-elle confié. “Je devais rester forte, je n’ai jamais pleuré devant mes parents avant aujourd’hui.”

“Avec la mort d’Yves, la famille a perdu sa locomotive. Mes parents ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes, ils ont perdu leur joie. Ils s’efforcent de paraitre joyeux pour les quatre enfants qu’il leur reste et pour leurs petits-enfants”, a-t-elle également raconté.

“Pourquoi m’ont-ils fait ça ? Je souffre toute ma vie depuis 2016”, s’est alors exclamée Laurence Mbuyi Disubi, la maman d’Yves. “Celle que vous voyez aujourd’hui, ce n’est pas moi, je souffre même avec les médicaments, je ne dors plus”, a-t-elle confié, effondrée.

Enfin, Jean-Pierre Tshiyombo Kabitantshi, le père du disparu, a expliqué comment il avait appris la nouvelle à Kinshasa et comment ils avaient, avec sa femme, décidé de prendre l’avion à destination de la Belgique, pour essayer de comprendre ce qu’il s’était passé. Une fois arrivé, le couple décide de rester pour vivre avec les enfants d’Yves, dont le décès a laissé sans père deux petites filles. Ce témoignage, laissant transparaitre une émotion indéniable, s’est clôturé avec la projection d’un montage vidéo reprenant des photos d’Yves Ciyombo qu’a commenté son frère My’s.


13h51 – “J’ai voulu sortir de l’enfer le plus vite possible”, raconte un rescapé de Maelbeek

Christian Manzanza-Mayikanzi a raconté, jeudi, devant la cour d’assises de Bruxelles chargée du procès des attentats du 22 mars 2016, avoir pu s’extirper de la deuxième voiture de la rame de métro à Maelbeek, totalement détruite par l’explosion. “J’ai l’impression de clôturer tout doucement un chapitre. Je me concentre sur l’essentiel”, a-t-il confié, précisant qu’il ne compte pas suivre la suite du procès.

“Le matin du 22 mars, je me suis réveillé avec la mauvaise nouvelle de l’attentat à Zaventem. Mais je me sentais distant de cela. Je n’ai pas changé ma routine. J’ai pris le métro à Thieffry comme d’habitude”, a raconté le comptable de 37 ans. Après l’explosion dans la deuxième voiture de la rame de métro, où il se trouvait, il a été projeté au sol, se souvient-il. “J’ai perdu connaissance. À mon réveil, la vue était horrible, mais mon esprit bloque certaines images. J’ai voulu sortir de l’enfer le plus vite possible. Dehors, j’ai vu mon visage et mes mains brûlés”, a-t-il décrit, dans un éclat de sanglots.

Christian a raconté ensuite être passé par différents stades : l’euphorie, animée par un sentiment de devoir profiter de la vie à tout prix, puis le désir de vengeance et celui d’en finir avec la vie. Aujourd’hui, cet ancien grand sportif a retrouvé un certain équilibre. “J’ai l’impression de clôturer tout doucement un chapitre. Je me concentre sur l’essentiel”, a-t-il dit, avant de déplorer tout même le manque d’aide des autorités publiques belges. “Nous avons été livrés à nous-mêmes et aux assureurs. J’attends une réelle assistance de la plus haute instance de ce pays”, a-t-il déclaré.

La cour a également entendu la sœur de Christian. “J’ai dû être forte pour soutenir mon frère. Je refuse que ma vie soit bloquée à cette date-là. Nous ne sommes plus les mêmes, mais on va mieux, on a la volonté d’avancer”, a-t-elle dit.


16h46 – “Pour moi la vie s’arrêtait avec elle”, confie la maman de Mélanie Defize

“Pour moi la vie s’arrêtait avec elle”, a confié jeudi, devant la cour d’assises chargée du procès des attentats à Bruxelles, la maman de Mélanie Defize, tuée dans l’explosion de la bombe de la station de métro Maelbeek. Plutôt que de relater l'”intolérable” journée du 22 mars 2016 et les “nuits cauchemardesques” qui ont suivi, les proches de la jeune femme ont préféré lui rendre hommage.

“Mélanie était brillante, sympathique, esthète, souriante et passionnée”, a décrit la témoin, très émue, avant d’évoquer avec mélancolie les souvenirs de sa fille alors qu’elle était encore une enfant, de leurs vacances en Provence et des premières notes de violon jouées par Mélanie. “Elle voulait rendre la vie plus belle, faire en sorte que les gens se sentent plus intelligents en partageant ses connaissances en toute humilité.”

“Lorsque nous avons appris sa mort, je n’avais qu’une seule envie : m’effondrer et laisser le désespoir m’envahir”, a-t-elle poursuivi. “Pour moi, la vie s’arrêtait avec elle, je suis passée par tous les stades du deuil : prostration, colère, tristesse abyssale, une envie de crier au monde que la vie ne peut pas continuer sans une aussi belle personne,… Mon mari et moi, nous survivons désormais, le temps s’est comme liquéfié. Deux mois et demi après l’attentat, mon fils Thomas a eu ses jumeaux. Ils sont notre nouveau bonheur. Tout cela reste déchirant pour nous tous, je porterai Mélanie en moi à jamais.”

“À ceux qui nous écoutent et surtout ceux qui veulent nous entendre : vous, qui agitez sans cesse vos droits, rappelez-vous que chacun a droit à la vie”, a également lancé la maman de la disparue, s’adressant visiblement aux accusés. “Aucun être sur terre ne mérite une telle cruauté. Que ferez-vous de cette souffrance quand nous repartirons d’ici ? Qu’en ferez-vous si seulement vous nous avez entendu ?”

“Je suis triste et en colère”, a ensuite affirmé Thomas, le frère de Mélanie. “Je suis triste qu’on nous ait arraché une sœur et une fille et je suis en colère contre les responsables directs, bien sûr, mais aussi contre les responsables indirects. Ce sont des politiques, ils savent très bien ce qu’ils ont fait avec Oussama Atar, j’espère qu’ils arrivent à dormir avec ça”, a ajouté le témoin rejoignant les propos tenus plus tôt dans la journée par Éric Bastin, le frère d’Aline Bastin, également décédée à Maelbeek.

Thomas Defize a ensuite usé de la même rhétorique que le père de ce dernier pour s’adresser aux accusés. “Vous n’aurez pas ma haine, même si c’est peut-être ce que vous espériez. Vous n’aurez pas mon pardon non plus, car ce n’est pas à moi de pardonner pour ma sœur et qu’il n’y a pas de pardon sans regrets.”


17h59 – Une rescapée de Maelbeek parle d’un silence de mort et d’une odeur irrespirable

Une femme de 34 ans a raconté, jeudi en fin d’après-midi, devant la cour d’assises de Bruxelles chargée du procès des attentats du 22 mars 2016, comment elle a vécu l’explosion dans la rame de métro à Maelbeek, alors qu’elle se trouvait au fond de la dernière voiture.

“L’explosion m’a propulsée sur la personne en face de moi”, a raconté Anne-Sophie. “C’était une déflagration effrayante et un flash de lumière apocalyptique. S’en est suivi un silence de désolation et de mort. J’ai cru que ce serait la dernière image que je verrais”, a relaté la jeune femme.

“L’odeur était irrespirable. Les résidus des explosifs rentrent dans les narines. On voit sa vie défiler sous ses yeux”, a-t-elle poursuivi. “J’ai ramassé tant bien que mal mon sac et mes affaires qui étaient par terre. Un homme m’a aidée à sortir par la petite fenêtre de la vitre du wagon et j’ai dû sauter d’une hauteur d’environ un mètre et demi. J’étais désorientée. Un homme m’a prise par le bras pour monter l’escalator. À l’extérieur, j’ai vu des personnes défigurées, certaines découvraient dans les vitres leur visage brûlé. Une femme qui avait perdu ses jambes délirait…”, a relaté la victime. “On se sent impuissant, on veut agir, mais on est limité. On a cherché de l’aide dans les bureaux avoisinants. On a demandé s’il y avait des médecins. L’attente des secours semblait interminable. Un troisième homme m’a emmenée à l’abri dans un parking souterrain, où j’ai vu mon visage noir de suie et mes cheveux en pétard.”

Aujourd’hui, Anne-Sophie garde des séquelles psychologiques de ce qu’elle a vécu. “De temps en temps, ça me reprend, je crois que ça va péter et je suis sur le qui-vive. J’observe si les gens ont un air suspect, et un banal trajet en métro est maintenant un parcours du combattant.”

La témoin a conclu en disant qu’elle continuait à avoir en foi en l’avenir, mais qu’elle ne serait plus jamais la même. Elle a confié avoir trouvé en l’association de victimes Life4brussels un véritable soutien. Grâce à celle-ci, elle a pu bénéficier d’une aide psychologique, d’une écoute par des personnes “au pouvoir d’empathie incroyable”, et de conseils sur ses droits en tant que victime.

Belga – Photo – Belga Image