Procès des attentats de Bruxelles : la survivante Janet Winston livre son témoignage tant attendu

La survivante Janet Winston, les parents du jeune Bart Migom livreront leur vécu mercredi

C’est un moment longuement attendu, quelques fois reporté, pour les victimes des attentats de Bruxelles. Mercredi, ce sera au tour de la survivante Janet Winston et des parents de Bart Migom qui, à 21 ans, comptait s’envoler vers les États-Unis, de témoigner sur l’avant et l’après 22 mars 2016.

Janet Winston, Bruxelloise d’origine américaine, a été blessée à l’aéroport de Zaventem ce jour-là, tout comme son mari Fred. Les kamikazes Ibrahim El Bakraoui et Najim Laachraoui avaient expressément choisi des vols à destination des États-Unis, d’Israël et de la Russie avant de se faire exploser aux comptoirs d’enregistrement. Danielle Iwens, qui travaillait à ces comptoirs au moment de la double explosion, viendra également s’exprimer à la barre dès l’après-midi. À sa demande, la présidente de la cour a en effet ajouté son témoignage à la liste des victimes entendues dans le cadre du procès. Près de la moitié des personnes au programme de mercredi ont déjà annoncé qu’elles ne viendraient pas.

La cour d’assises juge 10 hommes pour leur implication dans les attentats de Zaventem et Maelbeek. Oussama Atar, qui serait mort en Syrie, fait défaut. Huit autres – Mohamed Abrini, Osama Krayem, Salah Abdeslam, Sofien Ayari, Bilal El Makhoukhi, Hervé Bayingana Muhirwa, Ali El Haddad Asufi et Smail Farisi – sont accusés de participation aux activités d’un groupe terroriste, d’assassinats terroristes sur 32 personnes et de tentatives d’assassinat terroriste sur 695 personnes. Le neuvième, Ibrahim Farisi, ne doit répondre que de participation aux activités d’un groupe terroriste.

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Les parties civiles mettent les choses au point après l’incident impliquant Ibrahim Farisi

Me Olivia Venet, l’avocate de la victime ayant été emmenée à l’hôpital mardi après avoir été accidentellement bousculée par l’accusé Ibrahim Farisi, a pris la parole mercredi en début d’audience pour une mise au point concernant l’incident devant la cour d’assises chargée du procès des attentats du 22 mars 2016 à Bruxelles.

Mardi, lors d’un mouvement d’humeur dont il est coutumier, l’accusé Ibrahim Farisi, qui comparait libre, a renversé sa chaise avant de sortir de la salle d’audience en bousculant au passage l’une des victimes. La pompe à morphine de cette dernière a été désactivée lors du choc et elle a dû être emmenée en ambulance. “Ma cliente va bien, mais elle est toujours à l’hôpital, car elle souffre encore de douleurs au dos et dans les jambes”, a expliqué Me Venet. “C’est sûr que M. Ibrahim Farisi est sorti avec fracas et c’est sûr que son geste n’était pas intentionnel, mais c’est un incident qui représente énormément, qu’une victime soit de nouveau victime, ici, dans cette salle d’audience. C’est intolérable et insupportable, un rappel à l’ordre est nécessaire.”

La présidente de la cour d’assises, Laurence Massart, a alors annoncé qu’un procès-verbal avait été dressé par le parquet de Bruxelles. La parole a ensuite été donnée à Me Xavier Carrette, qui représente Ibrahim Farisi. Absent au moment de l’incident, le pénaliste s’est dit “rassuré d’apprendre que ce n’était pas intentionnel”. “Il vit très très mal ce procès. Il n’a pas demandé à être là, mais il essaye d’être présent tous les jours, ce qui n’est pas le cas de tout le monde. Il est à la dérive et on le sait, mais je vais essayer de calmer la situation”, a-t-il promis.

“Les victimes n’ont pas demandé non plus à être là et elles ont besoin d’avoir une place dans ce procès”, a rétorqué Me Venet. Laurence Massart a annoncé avoir demandé à ce que le couloir central de la salle d’audience ainsi que celui qui mène aux portes soient dégagés pour éviter d’éventuels futurs incidents lorsque “quelqu’un veut sortir avec fracas“. Elle a également affirmé qu’elle interpellerait Ibrahim Farisi au sujet de l’événement. Celui-ci n’était pas présent en début d’audience mercredi matin.


Janet Winston témoigne : “Cette hantise de savoir ce qui leur était arrivé, de savoir si elles étaient en vie”

Le 22 mars, Janet Winston et son mari Fred se trouvaient dans la file d’enregistrement pour la Delta Airlines lorsqu’une “boule de feu a déferlé” vers eux. Reprenant leurs esprits quelques minutes plus tard, tous deux ont accompagné comme ils le pouvaient d’autres victimes. “Les jours qui ont suivi ont été terribles. Cette hantise de savoir ce qui leur était arrivé, à toutes ces personnes, savoir si elles étaient en vie”, a témoigné mercredi Janet Winston devant la cour d’assises de Bruxelles.

“J’ai beaucoup hésité à témoigner, comme tout le monde ici j’imagine. Je me demandais quel en serait l’utilité”, a-t-elle déclaré face à la présidente de la cour, Laurence Massart. “Mais je me suis souvenue avoir un jour écrit dans mon journal : ‘Dans le monde animal, il ne se trouve pas de tribunal pour rechercher la vérité et rendre justice’. J’ai vu de mes propres yeux le mal qui a été déployé et les terribles souffrances qui en ont découlé. Non seulement pour moi-même, mon mari, mes enfants, mes parents, ma famille, mais aussi d’autres personnes que j’ai rencontrées ce jour-là, dans des circonstances terribles”.

Et c’est à ces personnes qu’a été consacrée la majeure partie de son très digne témoignage. À cette personne contre qui elle a été propulsée par la déflagration, à cet homme africain “tellement brûlé qu’il en était blanchâtre”, à cette jeune femme “à la hanche explosée”, les entrailles à l’air, à celle qu’on pensait décédée mais dont elle a vu les pupilles bouger, à ces victimes qu’elle a pris dans ses bras “pour qu’elles ne se sentent pas seules”. “Les jours qui ont suivi ont été terribles. Cette hantise de savoir ce qui leur était arrivé, à toutes ces personnes, savoir si elles étaient en vie”, a expliqué Janet Winston devant la cour.

“Les jours, les semaines, les mois, même les années sont passés”, a-t-elle poursuivi. “Mon mari a subi cinq opérations, nous avons des problèmes d’ouïe, surtout moi, qui rendent notre vie vraiment compliquée au quotidien”. “Dans la vie de tous les jours, c’est vraiment difficile. Mais je suis reconnaissante pour la famille que j’ai, pour les enfants qui se sont occupés de nous – les rôles ont été renversés. Je suis reconnaissante pour toutes les autres victimes que nous avons appris à connaître (…), pour toutes les personnes que nous avons rencontrées dans l’administration, il y a aussi là-bas des personnes remarquables”, a-t-elle dit, évoquant notamment une policière qui était allée chercher son sac à main parmi les corps ou encore un membre de l’administration qui les a régulièrement aidés pour “la paperasse”.

“L’association Life4Brussels nous a aussi énormément entourés.” “Je peux dire qu’on a pu avancer, c’est comme traverser une porte-fenêtre, ça laisse des cicatrices, mais je vais de l’avant et je suis reconnaissante, surtout que je sais aujourd’hui que, même dans notre monde cassé, la lumière existe”, a-t-elle conclu.


Devant la cour, la douleur et la colère des parents de Sascha et Alexander Pinczowski

Lorsque sa fille Sascha lui a adressé un dernier signe de la main depuis le train qui l’emmenait à Zaventem, Edmond Pinczowski n’aurait jamais pu se douter que serait le dernier. Comme Marjan Fasbender n’aurait jamais pu imaginer qu’elle ne recevrait plus jamais de câlins de son fils Alexander. Les époux sont venus confier mercredi, devant la cour d’assises de Bruxelles, la douleur et la colère provoquées par l’assassinat de leurs deux seuls enfants le 22 mars 2016 à l’aéroport de Zaventem.

J’ai appelé Alexander à propos d’une facture à son nom. Notre conversation a été courte, à 07h58, sa voix a disparu“, a raconté Edmond Pinczowski. “Ce n’est que le vendredi qu’on nous a officiellement annoncé que nos enfants n’avaient pas survécu. Les jours suivant (l’attaque), nous avons écumé les hôpitaux qui accueillaient des victimes des attentats avec des photos d’Alexander et Sascha pour faciliter les recherches. Ce n’est que plus tard que nous avons réalisé l’état de choc dans lequel nous étions.

Durant l’été 2016, quelques mois après le meurtre de nos enfants, nous avons pu voir leurs derniers instants de vie sur la vidéosurveillance de l’aéroport. C’est une proposition que beaucoup de parents n’accepteraient pas, mais pour nous c’était important. Nous étions désespérés”, a expliqué Marjan Fasbender. “Nous espérions voir des visages enjoués, savoir qu’ils étaient morts avec le sourire, instantanément, sans se rendre compte de ce qu’il se passait.

Et la témoin de poursuivre : “Nous avons vu un des terroristes marcher vers eux, un jeune homme qui aurait pu être un de leurs amis. Je n’ai pu m’empêcher de penser ‘s’il vous plait partez de l’autre côté’. Ils n’ont eu aucune chance, ils étaient pratiquement face à face avec leur assassin, qui a enclenché sa bombe, les tuant sur le coup. Ils ne sauront jamais qu’ils ont servi de bouclier pour une famille qui se trouvait derrière eux, lui sauvant probablement la vie. Savoir cela les aurait rendus fiers.

Quand mon épouse et moi avons vu les images de surveillance du hall, avec les trois hommes qui ont mis fin à la vie de nos enfants, on a pas pu s’empêcher de spéculer sur ce qu’il se serait passé si ces hommes avaient été leurs amis et pas leurs ennemis autoproclamés“, a ajouté Edmond Pinczowski. “On n’aurait alors pas dû recevoir quelques mois plus tard leurs bagages partiellement brûlés ou retourner à New-York pour récupérer des possessions de Sascha. Vous décrire ce que ces expériences font à une personne m’est impossible.

Le monde s’est arrêté“, a poursuivi la mère des deux victimes. “Nous ne sommes plus les fiers parents d’enfants fantastiques, nous devons faire un effort pour nous lever le matin et vivre notre vie. Nous avons des mauvais jours et quelques bons, mais nos journées ne seront plus jamais incroyables“, a-t-elle dit avant d’exprimer sa colère : “Si je pouvais en décider, les accusés seraient condamnés à la perpétuité en enfer. À cause de leurs actes, je suis devenue une pire version de moi-même. Plus aucun événement ne vaudra la peine d’être fêté. La seule joie que je pourrais avoir, c’est de savoir qu’eux seront derrière les barreaux.

Je ne pense pas comprendre un jour ce qu’il s’est passé et se passe toujours dans l’esprit de ces gens. Un crime d’une telle ampleur et tellement dénué de sens est lié à un état d’esprit qu’il m’est impossible de comprendre“, a affirmé Edmond Pinczowsky. “J’ai des origines juives, mes parents étaient les seuls survivants de l’holocauste de leurs familles respectives. Je n’ai connu ni grand-parent, ni cousin, ni oncle, ni tante et maintenant je n’ai plus d’enfant.

Le couple a ensuite évoqué la mémoire de ses enfants, présentant Alexander comme un jeune homme de 29 ans très intelligent, curieux et avec plein de projets. “Un géant gentil, humble et toujours prêt à rendre service“, alors que sa petite sœur, Sascha, 26 ans, “illuminait chaque pièce dans laquelle elle entrait avec son sourire et son rire“. Ses parents l’ont décrite comme une jeune fille intelligente, belle, charismatique, passionnée et “faite pour les voyages“. Tous deux ont été dépeints comme très ouverts d’esprit et notamment à propos de l’islam.

Le témoignage s’est terminé par la lecture de deux longs textes dans lesquels Cameron Cain, l’ex-femme d’Alexander Pinczowsky, revenait sur sa relation pleine d’un amour intense avec le jeune homme et sur ses contacts privilégiés avec la sœur et les parents de ce dernier.

Belga – Photo : Belga