Procès des attentats de Bruxelles : la défense dénonce à nouveau l’attitude de la police, Smail Farisi s’excuse
Me Vincent Lurquin a une nouvelle fois dénoncé lundi matin des “erreurs de copié-collé” dans les justifications par la police des fouilles à nu imposées à son client, l’accusé Hervé Bayingana Muhirwa.
Fin décembre, le juge des référés a interdit les fouilles à nu systématiques et non motivées, au motif qu’elles violent la Convention européenne des Droits de l’Homme. Depuis lors, les avocats de la défense ne cessent de signaler des justifications boiteuses.
“Les motivations individuelles sont une nécessité. Pour mon client, on a considéré qu’il avait été condamné à Paris (dans de précédentes justifications, NDLR), puis reconnu que non. Mais, selon la police, il a toujours un casier judiciaire, alors que ce dernier est vierge“, a rappelé le pénaliste. “Enfin, ce sont des erreurs de copiés-collés“, a-t-il soupiré, insinuant que les motivations des fouilles ne sont pas écrites en fonction de la situation du jour.
Selon l’avocat, la police justifie la fouille à nu de son client par des informations provenant des services internes de police, des renseignements belges et étrangers et par le fait que son client serait “déprimé“.
“Cependant, la police indique ne pas disposer d’informations complémentaires à propos de mon client, tout comme les renseignements étrangers. Elle fait ensuite référence à l’analyse de risque de l’Organe de coordination pour l’analyse de la menace (Ocam).” De niveau 3 sur une échelle qui en compte 4, cette analyse mentionne qu’il faut “faire attention à la propagande des détenus“, a cité le pénaliste. Or, a-t-il poursuivi, Hervé Bayingana Muhirwa ne peut avoir de contacts en prison qu’avec ses co-accusés, rappelant que celui-ci est détenu dans une aile de haute sécurité de la prison de Haren.
Quant au fait que son client soit décrit comme “déprimé“, Me Lurquin s’en est étonné étant donné que M. Bayingana Muhirwa “n’a pas vu de psychologue” pour en attester. Les motivations sont “de plus en plus succinctes” et n’ont “pas de sens légal“.
La “méconnaissance profonde” du ministre
Me Delphine Paci, qui représente Salah Abdeslam, a ensuite pris la parole pour réagir aux propos du ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne tenus vendredi dans la presse. “Le ministre a prétendu que, pour qu’un procès se passe bien, il faut parler plus des victimes que des accusés. Cela démontre une méconnaissance profonde“, a-t-elle pointé. Ensuite, “l’audition du policier qui a frappé M. Abdeslam mercredi ne présente aucun élément qui permette d’expliquer comment mon client a été blessé au visage“. “Je le répète: c’est une audition faite pour les besoins de la cause. Quand il se passe un incident, la police rédige un PV de rébellion.”
La présidente de la cour, Laurence Massart, a pour sa part rappelé qu’elle n’était pas compétente pour les questions de transfert des accusés et que les avocats pouvaient saisir les instances compétentes.
Les accusés Mohamed Abrini, Osama Krayem et Salah Abdeslam ont préféré retourner en cellule. L’audience s’est donc poursuivie en présence d’Hervé Bayingana Muhirwa, Bilal El Makhoukhi, Ali El Haddad Asufi et Sofien Ayari. Les frères Smail et Ibrahim Farisi, les deux accusés qui comparaissent libres, étaient présents au début de l’audience mais se sont éclipsés en matinée.
Un islamologue de la police fédérale a repris son exposé, initié la semaine précédente, par la propagande de l’État islamique et la revendication des attentats du 22 mars 2016.
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12h52 – Le Conseil de surveillance pénitentiaire a effectué un contrôle
Le Conseil central de surveillance pénitentiaire (CCSP) a effectué un contrôle la semaine dernière à la prison de Haren à la demande de deux des accusés. Selon son président Marc Nève, les membres de l’organe qui surveille les prisons n’ont toutefois pas pu être présents lors des fouilles à nu avec génuflexion faisant polémique depuis le début des débats.
Le contrôle a eu lieu mercredi, en présence de deux membres du CCSP, le jour où Salah Abdeslam avait affirmé avoir été frappé au visage par un policier. L’accusé a porté plainte devant le parquet de Bruxelles mais une plainte a également été déposée à son encontre. Sans le nommer, le ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne a déclaré ce week-end, dans le journal Le Soir, qu’un accusé aurait agressé un policier.
Le CCSP n’a toutefois pas pu assister aux fouilles à nu et n’a donc pas de vue sur ce qu’il s’y est passé mercredi matin. Des discussions ont eu lieu avec la police afin de pouvoir en être tout de même témoin. “Puisqu’elles sont réalisées en prison, nous estimons que cela fait partie de nos compétences”, soutient Marc Nève, le président du Conseil.
Début décembre, et sans avoir alors fait de constatations sur place, le CCSP avait déjà qualifié le traitement des accusés détenus à ce procès de dégradant et de déraisonnable. Le juge des référés du tribunal de première instance de Bruxelles s’était, dans la foulée, exprimé contre ces fouilles à nu systématiques et avait ordonné qu’elles soient motivées de manière individuelle. La police affirme, de son côté, qu’elles sont nécessaires pour garantir la sécurité.
13h48 – L’État islamique a rapidement revendiqué les attentats à Bruxelles via différents canaux
Le but des différents articles et vidéos de propagande était non seulement de justifier et célébrer ces attaques mais aussi d’en faire la publicité pour montrer la puissance de l’organisation, comme l’a expliqué lundi matin Mohamed Fahmi, un islamologue travaillant pour la police fédérale, au procès devant la cour d’assises de Bruxelles.
La propagande de l’EI était très organisée à l’époque des attentats, a-t-il expliqué. Elle passait par différents canaux comme une agence de presse écrite, un journal hebdomadaire, un magazine mensuel anglophone, un autre francophone, une radio, des affiches ou des vidéos.
L’islamologue venu témoigner lundi a passé plusieurs de ces sources en revue, montrant dans le détail comment s’était organisée la revendication des attaques à Zaventem et dans la station de métro Maelbeek.
Celle-ci a débuté dès le 22 mars au soir par la mention, dans une revue hebdomadaire de l’EI, des attentats à Bruxelles. Le propos, propre à la propagande, exagère les faits, confondant des “centaines de morts” avec le nombre de blessés, et y mêle une partie de mensonges, comme lorsqu’il est fait mention de djihadistes ayant utilisé des armes automatiques pour semer la mort avant de se faire exploser. Ce qui n’était pas le cas puisque les terroristes ont en réalité déclenché des charges et n’ont abattu personne avant leur attentat-suicide.
Tout au long des articles et de cinq vidéos de revendication (dont quatre uniquement dédiées au 22 mars 2016) diffusées devant la cour d’assises, l’EI s’efforce de justifier les attaques. Le groupe affirme ainsi que la Belgique participe à “la guerre contre l’Islam” et à la “coalition des Croisés” contre l’organisation terroriste. Mais elle adhère aussi à l’Union européenne, dont elle “accueille le siège permanent“, souligne l’organisation terroriste, et elle est un membre fondateur de l’Otan.
L’EI y répète que les attentats ne sont qu’une vengeance face aux bombardements qu’opérait alors l’Occident par le biais d’une coalition internationale. “Paris était un avertissement, Bruxelles un rappel“, écrit-il. La souffrance des musulmans, que le groupe amalgame à sa propre organisation, dans les zones bombardées provoque celle des “mécréants“, résume et justifie l’organisation terroriste.
Les attaques du 22 mars sont présentées comme des opérations militaires, avec une exagération par rapport à la force de frappe de l’EI, typique de la propagande, comme l’a rappelé l’islamologue Mohamed Fahmi.
D’après lui, le but de tous ces documents est, outre la revendication, de célébrer les attentats (et ses “héros“, dont certains sont identifiés) et de montrer la puissance de l’EI, qui espère, de la sorte, inciter d’autres personnes à passer à l’action ou à le rejoindre. L’objectif est aussi d’envoyer le message suivant à l’Occident: “cessez votre guerre contre nous ou bien nous continuerons à perpétrer des attentats“.
15h21 – Smail Farisi s’excuse, Ibrahim Farisi quitte la salle
Smail Farisi a tenu à présenter ses “profondes et sincères excuses” devant la cour d’assises. À la reprise de l’audience après la pause déjeuner, cet accusé, qui comparait libre, a en effet souhaité revenir sur son comportement de jeudi dernier, lorsqu’il s’était emporté et avait perturbé l’audience.
L’intéressé avait voulu s’exprimer alors que les enquêteurs étaient en train d’évoquer les investigations concernant l’appartement qu’il louait à l’avenue des Casernes à Etterbeek, et qu’il avait prêté au kamikaze Ibrahim El Bakraoui. “Je suis homosexuel, moi, c’est pas possible tout ça !”, s’était emporté Smail Farisi, sous-entendant qu’il n’a pas pu avoir épousé les thèses islamistes radicales d’Ibrahim El Bakraoui et donc être complice des attaques que celui-ci a perpétrées. “Je vais crever là”, avait-il ajouté, exprimant un mal-être généré par le procès.
Il est revenu sur ce mal-être lundi, l’expliquant par “un état qui n’était pas très bon”. Parlant d’un acte “spontané”, il a ajouté que “la vérité n’est jamais préparée”. Interrogé par la présidente sur son alcoolisme, il a affirmé qu’il prenait des mesures pour y faire face. Il consulte ainsi un psychologue le week-end.
La présidente de la cour lui a rappelé qu’un procès en assises examinait l’ensemble des éléments à charge et à décharge des accusés. Elle lui a aussi fait remarquer qu’il n’était pas normal de devoir prendre deux bières pour venir à son procès, comme l’avait expliqué précédemment Smail Farisi, lorsqu’il avait indiqué être agoraphobe depuis environ un an. “Mon cerveau me joue des tours. Un cerveau, c’est ce qu’il y a de plus tyrannique”, a confié l’accusé, s’adressant à la cour. Il a affirmé avoir arrêté de boire – un épisode “violent” – entre février 2018, moment de sa sortie de prison, et mars 2019.
Il a ensuite encore essayé à deux reprises d’arrêter l’alcool, selon ses dires. “Mais je bois depuis toujours… Cela fait vingt ans que je suis sous l’emprise de l’alcool”, a-t-il ajouté. “Bien sûr que je bois ! J’aime l’ivresse. Il n’y a rien de plus bon”, a encore déclaré Smail Farisi, avant d’affirmer à la présidente qu’il allait arrêter.
Durant l’intervention de son frère Smail, Ibrahim Farisi, qui comparait également libre, a tenté à plusieurs reprises de l’interrompre, suscitant l’énervement de la présidente de la cour. “Laissez votre frère parler. Asseyez-vous !”, lui a intimé Laurence Massart. Ibrahim Farisi a finalement quitté la salle, comme il l’avait fait dans la matinée, non sans bousculer la table se trouvant devant lui. Il a ensuite opéré plusieurs allées et venues entre la salle d’audience et l’extérieur de la salle. Smail Farisi est, lui, resté à sa place après son intervention.
Belga – Dessin de couverture : Belga/Jonathan De Cesare