Procès des attentats de Bruxelles : “Nous agissions comme des agents du FBI”, souligne Salah Abdeslam

L’audience de jeudi au procès des attentats à Bruxelles du 22 mars 2016 est la dernière avant une pause de dix jours. Les débats seront en effet suspendus la semaine prochaine à l’occasion des vacances scolaires de printemps en Belgique francophone. Des témoins des préparatifs des attaques, dont des amis d’enfance des terroristes, ont été entendus tout au long de la journée.

Depuis plusieurs jours, nombre de témoins dits “des faits” convoqués devant la cour d’assises ne se sont pas déplacés, parfois sans explication, parfois en invoquant des raisons médicales. La plupart du temps, les différentes parties renoncent à les faire venir physiquement jusqu’au procès et la cour lit dès lors, durant de longues heures, leurs auditions se trouvant dans le dossier. Une démarche justifiée par l’oralité des débats.

Mercredi, deux témoins n’ayant pas fait le déplacement ont toutefois fait l’objet d’un mandat d’amener décidé par la présidente de la cour. La police est donc allée les chercher et les a emmenés, détenus, jusqu’au Justitia.

Jeudi matin, quatre témoins sont attendus. Parmi eux figure Youssef El Ajmi, un ami d’enfance du logisticien et kamikaze Ibrahim El Bakraoui. L’homme a aidé à deux reprises ce dernier dans ses tentatives de se rendre en Syrie. Il avait bénéficié d’une suspension du prononcé lors du procès ‘Paris bis’ relatif au volet belge des attentats à Paris.

Un ancien co-détenu d’Ibrahim El Bakraoui, à qui le terroriste aurait demandé des armes à sa sortie de prison, est également convoqué, tout comme un homme ayant acheté 14 chargeurs de kalachnikovs pour son ami Khalid El Bakraoui durant l’été 2015 chez l’armurier Dekaise à Wavre. Ceux-ci auraient ensuite été utilisés le 13 novembre lors des attentats à Paris.

Jeudi après-midi, la cour devrait par ailleurs entendre la fin du retour du devoir d’enquête visant à localiser précisément sur les lieux des faits les 695 victimes non décédées lors des attaques et d’identifier les séquelles physiques et psychologiques qu’elles ont subies. La cheffe d’enquête Aline Delisée a déjà présenté, mercredi matin, une première moitié de la liste des personnes concernées par la double explosion à l’aéroport de Zaventem.

Cet exposé terminé, la cour suspendra les audiences pour dix jours en raison des vacances scolaires de printemps en Belgique francophone. Les débats reprendront le lundi 8 mai, toujours avec des témoins des préparatifs des attentats.

Rappel des faits, profils des inculpés, témoignages de victimes : notre dossier sur les attentats de Bruxelles


12h04 – Il était facile d’acheter des kalachnikovs pour moins de 1.500 euros, prétend un témoin

À l’époque des attentats à Paris et à Bruxelles, des kalachnikovs pouvaient être facilement achetées à Bruxelles au prix de 1.000-1.500 euros, a déclaré jeudi matin Léonardo P., âgé de 58 ans,  qui a été convoqué devant la cour d’assises.

L’homme, qui purge actuellement une peine de prison pour des faits d’armes, a témoigné détenu, entouré de deux policiers. Il a déclaré avoir côtoyé Ibrahim El Bakraoui – l’auteur de la première explosion à l’aéroport de Zaventem – à la prison d’Ittre, entre 2009 et 2014. “Il était très joyeux, il parlait tout le temps de football“, s’est-il souvenu. “Il ne m’a jamais parlé de quoi que ce soit (en rapport avec un projet d’attentat, NDLR)“, a-t-il affirmé.

Une fois remis en liberté, Leonardo P. a travaillé dans un café situé dans la même rue que le domicile parental des frères El Bakraoui. “Ibrahim est venu m’y trouver parce qu’il cherchait des kalachnikovs. Il avait entendu, en prison, que j’avais gardé chez moi, pour un ami, des armes de l’armée“. Très évasif sur les dates, il a dans un premier temps évoqué la période “2016-2017”. La présidente lui a alors fait remarquer que les attentats de Bruxelles avaient eu lieu le 22 mars 2016. Il a dès lors avancé que la requête remontait à “avant les attentats de Paris” (en novembre 2015, NDLR) parce que “après, c’était trop tard”. “Il ne m’a pas dit pourquoi” il souhaitait se procurer des armes, a souligné le prévenu, affirmant n’avoir “jamais fourni d’armes aux frères El Bakraoui“, ni “donner d’adresses” de lieux où ils pourraient en obtenir.

La présidente Laurence Massart a alors voulu savoir s’il était facile de se procurer des armes à cette époque à Bruxelles. “Oui, c’était facile, il suffisait de prendre contact avec des gens de l’Est, des Yougoslaves ou des Albanais, dans des cafés“. Pour ce faire, il fallait débourser “entre 1.000 et 1.500 euros“, a-t-il répondu à la question d’un juré suppléant. “D’occasion“, a-t-il précisé, ce à quoi la présidente de la cour a répondu qu’il était clair qu’elles ne provenaient pas directement de l’usine.


13h16 – Khalid El Bakraoui décrit comme un “gars bien” par un ami lui ayant fourni des chargeurs

La cour d’assises de Bruxelles chargée de juger les attentats de mars 2016 a entendu le témoignage d’un homme ayant acheté 14 chargeurs de kalachnikovs pour le compte des frères El Bakraoui en 2014 et 2015. Le témoin a décrit Khalid El Bakraoui comme “un ami d’enfance” tout en prenant ses distances avec les actes terroristes commis en mars 2016.

La présidente de la cour, Laurence Massart, a rappelé que le témoin avait été condamné à 40 mois de prison avec sursis pour l’achat de ces chargeurs. “Ce n’est pas moi personnellement qui les ai achetés, j’ai envoyé quelqu’un“, a-t-il insisté en préambule. Il a ensuite précisé qu’il avait fourni ces chargeurs à Khalid El Bakraoui, décrit comme un “ami d’enfance” et “un gars bien” avec qui il “rigolait bien”. Questionné sur la personnalité du kamikaze du métro, il s’est toutefois braqué. “Je ne sais pas ce que je fais ici. Ils ont choisi leur chemin, ils sont morts, tant pis pour eux. Je ne sais pas ce que je fous ici, ça ne m’intéresse pas de témoigner.”  “Il n’avait pas de personnalité alors, c’était quelqu’un de neutre“, l’a alors questionné Laurence Massart. “Oui”, a répondu laconiquement le témoin.

Face à son mutisme, la présidente lui a demandé s’il souhaitait continuer à témoigner ou s’il préférait qu’elle procède à la lecture de ses différentes auditions, tout en précisant que cette deuxième méthode est bien plus longue et fastidieuse. Le témoin a finalement préféré garder le silence.

La lecture de ses auditions est revenue sur le déplacement effectué avec un autre homme, un “ami” avec qui il entretenait des contacts réguliers, à Wavre afin d’y acheter des chargeurs de kalachnikovs dans une armurerie. Dix chargeurs auraient été achetés une première fois, puis quatre à une autre occasion. Les achats ont été effectués en novembre 2014 et à l’été 2015.

Le témoin avait précisé lors de ses auditions qu’il ne se souvenait pas de ce que ces chargeurs étaient devenus. Le témoin a ensuite refusé de répondre à toute question émanant aussi bien des jurés, des parties civiles, de la défense ou du parquet.

Maître Carette, avocat d’Ibrahim Farisi, a toutefois voulu l’interroger sur ses conditions de détention à Forest, sans succès. “Il n’est pas bien à cause de l’isolement qu’il a subi en prison”, s’est ensuite exclamé Ibrahim Farisi.  Le témoin a ensuite dit à plusieurs reprises qu’il souhaitait partir. “C’est un homme en colère, il est fermé“, a conclu la présidente de la cour d’assises.


15h43 – “Ibrahim El Bakraoui nous a manipulés”, affirme Youssef El Ajmi

Ibrahim El Bakraoui nous a manipulés. Il a profité de notre amitié et se servait de nous à ses fins personnelles, sans nous avoir jamais parlé de ses projets terroristes“, a affirmé Youssef El Ajmi, jeudi, devant la cour d’assises chargée de juger les attentats du 22 mars 2016 à Bruxelles. Lorsque des photos des frères El Bakraoui circulent dans la presse, quelques jours avant les attentats, l’ami d’enfance de l’accusé Ali El Haddad Asufi ne se rend pas à la police pour les dénoncer. “J’ai pris peur, j’ai commis une erreur“, a-t-il admis.

Youssef El Ajmi, âgé de 37 ans, a été inculpé dans le volet belge des attentats à Paris. Poursuivi pour participation aux activités d’un groupe terroriste, il a bénéficié d’un non-lieu pour avoir aidé à deux reprises Ibrahim El Bakraoui à partir en Syrie. Youssef El Ajmi s’est rendu à plusieurs reprises dans l’appartement de la rue des Casernes à Etterbeek, que louait Ibrahim El Bakraoui. Il y sera vu la dernière fois le 18 novembre 2015. Il a dès lors été mis hors de cause pour les attentats du 22 mars 2016, pour lesquels la période infractionnelle débute le 1er décembre 2015. Le trentenaire a donc comparu en tant que témoin jeudi matin.

Youssef El Ajmi lors d’une séance du tribunal correctionnel dans l’affaire “Paris bis”, le volet belge de l’enquête sur les attentats de Paris, le 25 avril 2022. Belga/Jonathan De Cesare

Youssef El Ajmi a déclaré qu’Ibrahim El Bakraoui, originaire du même quartier que lui, les avait manipulés et qu’il avait profité de son amitié et de celle de son ami d’enfance, Ali El Haddad Asufi, accusé au procès. “Il se servait de nous à ses fins personnelles, sans nous avoir jamais parlé de ses projets terroristes. Il s’est joué de nous deux. Je regrette qu’il ne soit plus là pour répondre de ses crimes“, a-t-il lancé.

Dans une réponse à la question d’un juré, le témoin a confirmé avoir vu les photos des frères El Bakraoui diffusées dans les médias après la fusillade de la rue du Dries à Forest. Il a concédé ne pas s’être rendu à la police. “J’ai pris peur, j’ai commis une erreur, j’aurais dû y aller’, s’est-il dédouané. “C’est quelqu’un que je pensais connaître. Il était recherché et ce n’était pas pour un vol cette fois. Je me posais beaucoup de questions. Le temps est très vite passé entre le moment où je le découvre et le moment où surviennent les attentats“.


16h33 – “Nous agissions comme des agents du FBI”, souligne Salah Abdeslam

Salah Abdeslam, présent dans le box des accusés, a réagi au témoignage de Youssef El Ajmi au cours duquel ce dernier insistait sur le fait qu’il n’avait pas perçu le moindre signe de radicalisation de la part de son ami d’alors, le kamikaze Ibrahim El Bakraoui. “Quand il dit qu’il n’a rien vu, je le comprends et je le crois, nous agissions comme des agents du FBI ou de la CIA“, a souligné Salah Abdeslam.

Salah Abdeslam a notamment rappelé qu’a l’époque où il avait fait office de chauffeur pour les auteurs des attentats du 13 novembre 2015 à Paris, il avait encore “une vie sociale et familiale” en parallèle. “Nous avions des instructions. Ça m’est arrivé de ne rien dire à un ami d’enfance. On faisait ça aussi dans le but de protéger nos proches”, a-t-il détaillé.

Belga/Jonathan De Cesare

Comparant les méthodes employées au sein des cellules terroristes à celles du “FBI”, il a en outre expliqué qu’il ne connaissait même pas l’identité exacte de certains membres, comme Sofien Ayari. Selon Abdeslam, les membres du groupe s’appelaient essentiellement par leurs “kounias” (nom de guerre, NDLR). “Même dans l’intimité, il y avait des précautions, je ne connaissais pas leur prénom.

Une déclaration étonnante quand on sait que Sofien Ayari avait été arrêté, aux côtés de Salah Abdeslam, le 18 mars 2016 à Molenbeek-Saint-Jean. Trois jours plus tôt, les deux accusés avaient fui de l’appartement de la rue du Dries à la suite d’une perquisition qui débouchera sur une fusillade entrainant la mort de Mohamed Belkaid.

Pour rappel, Salah Abdeslam a été condamné à la perpétuité lors du procès des attentats du 13 novembre 2015 à Paris mais il dément toute implication dans les attaques perpétrées le 22 mars 2016 à Bruxelles.

Belga – Photo : Belga/Laurie Dieffembacq