Molenbeek : après un an, quel bilan pour la coalition PS-MR de Catherine Moureaux ?
BX1 revient cette semaine sur les réalisations des trois majorités communales dont la composition a le plus changé en octobre 2018: Koekelberg, Ixelles et Molenbeek, mais aussi sur le premier bilan de l’arrivée d’Ecolo dans les collèges de Saint-Gilles, Uccle et Bruxelles-Ville. Place, ce vendredi, à un point sur la situation à Molenbeek.
Rétroacte
Le match à Molenbeek entre Catherine Moureaux (PS) et Françoise Schepmans (MR) a fait partie des duels les plus attendus lors du scrutin local de 2018. Trois ans plus tôt, la socialiste a quitté Schaerbeek pour la célèbre entité du Nord-Ouest. Avec un seul objectif : tenter de récupérer le maïorat perdu par le PS au profit de la libérale. Elle ne débarque pas en terrain inconnu. Elle y a vécu et son père, Philippe Moureaux (PS), y a été bourgmestre 20 ans jusqu’en 2012. Au soir des élections, sa liste PS-sp.a (37,8%; 17 sièges) devance largement celle de sa concurrente libérale (28,9%; 13). Suivent ensuite le PTB-PVDA (15,6%; 7), Ecolo (6,7%; 3), le cdH (6,7%; 3), DéFI (2,2%; 1) et la N-VA (2,2%; 1).
La socialiste affiche d’emblée sa préférence pour la majorité la plus “progressiste” possible. Les négociations avec Ecolo et le PTB échouent toutefois très vite. Pas indispensables mathématiquement, les Verts claquent la porte les premiers. Ils invoquent des garanties insuffisantes sur le plan de la bonne gouvernance. Le PTB fait de même un peu plus tard, se justifiant par l’absence de réponses à ses priorités. L’épisode laissera des traces. Pour Catherine Moureaux, le PTB a ainsi été “arrogant, grossier et violent”. Au final, le PS n’a plus le choix. Il se tourne vers le MR. L’accord de majorité est très vite signé. Françoise Schepmans, ex-bourgmestre, devient échevine de la Culture et du Tourisme.
L’enseignement
Gratuité, rénovation d’écoles et moyens humains : la nouvelle majorité a consenti d’importants investissements dans l’instruction publique.Elle a rapidement supprimé les frais de garderie de midi dans les écoles communales. La mesure avait été supprimée sous la législature précédente sous la pression du plan d’assainissement. Le PS en avait fait une mesure phare dans son programme électoral. Son coût : 800.000 euros. Un vaste plan de rénovation des bâtiments scolaires voit aussi le jour. “Ce sont près de 30 millions qui vont être investis sur trois ans pour des toits, des salles de gymnastique, des préaux, ou encore des vestiaires. On va chercher des subsides quand c’est possible, mais une grande partie sera sur fonds propres”, explique Catherine Moureaux, compétente pour l’Instruction publique.
Parmi les autres investissements dans l’enseignement, figurent l’achat de matériel didactique et la formation des professeurs pour utiliser celui-ci (110.000 euros) et de nouveaux moyens humains pour les écoles. “En plus du personnel pédagogique payé par la Fédération Wallonie-Bruxelles, Molenbeek a fait un effort supplémentaire pour que chacune des 16 écoles communales ait une personne en plus payée sur fonds propres. C’était le cas de certaines écoles, mais pas de toutes. Cela représente un million d’euros en plus sur trois ans en moyens humains. C’est énorme ! Cela peut par exemple être pour des logopèdes, des psychologues, ou des professeurs. C’est du cas par cas en fonction des besoins”, indique la socialiste.
Le personnel revalorisé
L’administration communale a bénéficié d’investissements massifs. Statutarisation des agents contractuels, promotion d’une partie du personnel, mise en place d’un 2ème pilier de pension pour les contractuels, prime de 235 € nets au bénéfice de directions d’écoles ou encore valorisation des agents à temps partiel : le panel de mesures ratisse large. Pour 2019, le plan a été budgétisé à hauteur de 1.383.000 €. Le montant est appelé à légèrement augmenter ces prochaines années. Catherine Moureaux explique :“Pour pouvoir mener à bien nos autres politiques, il fallait renforcer l’administration communale. On n’a pas engagé du personnel supplémentaire, sauf pour les services Propreté et Instruction publique, mais on a pris par contre des mesures fortes pour améliorer les conditions de travail du personnel”.
Parmi celles-ci, la nomination de 98 membres du personnel. “C’est énorme ! Il faut savoir qu’il n’y avait plus eu de nominations depuis plus de six ans. On a fait des promotions, les premières depuis huit ans. On a aussi travaillé avec les syndicats sur une formule qui améliore les aspect financiers pour l’ensemble du personnel de Move (NDLR :l’importante ASBL communale de Lutte contre l’Exclusion Sociale de 130 travailleurs) avec une prime de fin d’année ajoutée dans leur traitement. On a aussi lancé un travail de fond sur les descriptifs de fonction et la valorisation de travailleurs”, poursuit la bourgmestre. Enfin, un plan diversité a vu le jour au sein de l’administration pour favoriser l’arrivée de travailleurs porteurs de handicap et un équilibre des genres.
Propreté et voiries
La propreté représente aussi une des grandes priorités de la législature. La majorité a dégagé des moyens financiers, mais dans des proportions moindres que pour les deux dossiers mentionnés plus haut. Outre l’embauche de deux nouveaux agents, un budget de 30.000 € a été prévu pour permettre l’accompagnement d’un plan propreté par une équipe d’experts. “On a investi aussi pour du matériel neuf pour le nettoiement. On a lancé un plan propreté dont on verra les effets en 2020”, indique la socialiste. Du côté de l’opposition, notamment Ecolo, on ne cache pas ses doutes sur la pertinence de faire appel à une équipe d’experts.
La commune a mis en place un plan d’investissements pour différents aménagements, notamment la rénovation complète de la rue Vandenpeereboom. La décision peut éventuellement être classée dans le bilan propreté de la majorité. Cette très longue et étroite rue qui relie les stations de métro Osseghem et Gare de l’Ouest revient régulièrement dans l’actualité à cause des nombreux dépôts clandestins qui y voient le jour. Coût du chantier : près d’un million d’euros. “On a été cherché des subsides régionaux pour ça. Dans le même ordre d’idées, on a investi 700.000 euros pour augmenter la sécurité dans les rues, surtout pour placer des casses-vitesses”, indique la bourgmestre.
Chèques sport, image de la commune et Saint-Sylvestre
Le majorité MR-PS a aussi revu le montant des chèques sport à la hausse et cherché à mieux les faire connaître par la population. Leur valeur nominale est passée de 40 à 50 euros. Les critères d’attribution ont été modifié pour cibler prioritairement les familles. La formule remporte un important succès. “On a 1.800 dossiers ouverts pour l’octroi de ces chèques. C’est énorme !”, insiste Catherine Moureaux.
Celle-ci revient sur un autre chantier important : l’amélioration de l’image de la commune. Et de citer plusieurs initiatives : les 15.000 jeunes issus des 19 communes rassemblés sur les infrastructures sportives communales dans le cadre des Urban Youth Games, une grande fête du vélo dans le haut de la commune, ou encore la tenue le 6 mars de la nouvelle cérémonie des Molenbeekois de l’Année. Lancé en 2015 par la précédente majorité, le concept vise à valoriser le talent des habitants. L’événement porte cette fois le nom “Les Étoiles de Molenbeek” et la majorité promet une version mise à jour.
Enfin, sur le plan de la sécurité, la majorité avait connu une première nuit de la Saint-Sylvestre particulièrement mouvementée en 2018-2019. Avec comme bilan des voitures incendiées, des magasins pillés et des jets de pierres envers les forces de l’ordre. Le second Nouvel An, dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier, s’est beaucoup mieux passé. Pour la bourgmestre, il s’agit du résultat des efforts entrepris par la zone de police et en interne sur la commune. Trois mesures avaient été principalement prises côté prévention : une campagne de sensibilisation sur l’utilisation de feux d’artifice, le déplacement des objets pouvant être incendiés (comme les poubelles) et la présence renforcée de travailleurs sociaux et d’agents de quartier.
Schepmans à la Culture
Après avoir dirigé la commune entre 2012 et 2018, la libérale a rempilé au sein du collège, mais comme échevine cette fois. Elle y gère la Culture francophone, l’État civil, le Tourisme et les Relations internationales. Elle précise d’emblée que le bilan global de la majorité s’inscrit dans la continuité de ce qui avait été réalisé sous la législature précédente : “Il n’y a pas de grands changements, jusqu’à ce jour, dans les politiques menées par la commune. il y a évidemment des changements de personnes, et je dirais de personnalités aussi. C’est la continuité des projets”.
La libérale explique avoir enfin lancé le projet d’aménagement du Château du Karreveld : “Ce sera achevé sous cette législature. Le permis n’est toutefois pas encore attribué, car il faut attendre le feu vert des monuments et sites. Le bâtiment sera aménagé en deux grandes salles de 50m² avec un accès pour les PMR”. Elle s’apprête aussi à inaugurer la nouvelle bibliothèque communale de la rue des Béguines, dont le réaménagement a été lancé en 2016 sous son maïorat. “On assure sinon comme précédemment l’organisation des évènements au Château du Karreveld, au Centre Maritime et à la Maison des Cultures. Pour Halloween, l’opération Même pas peur ! a d’ailleurs attiré plus de 6.000 personnes au Château du Karreveld”, souligne-t-elle.
L’épineux dossier du stationnement place Communale
Voilà près de quatre mois que le stationnement place Communale figure à l’ordre du jour du collège. La raison : le point est chaque fois reporté. Le dossier est délicat. La place est officiellement un espace partagé interdit au stationnement, sauf pour les livraisons. Dans la réalité, de nombreux automobilistes s’y sont déjà garés ces dernières années au point de lui donner parfois des allures de parking. “C’est un dossier compliqué. Il y a parfois des intérêts et des objectifs différents. Pour les commerçants, c’est important d’avoir de l’espace pour se parquer. Il faut trouver un équilibre. Ma priorité en tout cas, c’est la sécurité. Certains automobilistes y roulent parfois à 50km/h”, explique Françoise Schepmans.
Pour Catherine Moureaux, si le dossier prend du temps, c’est parce que le collège planche sur un plan global pour le centre historique. “On y travaille depuis plusieurs mois. Ce sur quoi on souhaite aboutir, c’est un plan qui va permettre à la fois d’entendre les besoins de nos commerçants et de nos familles, en termes de stationnement et de mobilité”, assure la socialiste. “On a indiqué dans notre note de politique générale qu’on voulait une place communale sécurisée. On va y arriver. Un plan global, cela prend évidemment plus de temps, mais ça va beaucoup plus en profondeur”.
Le délicat mariage de raison PS-MR
Comment travaillent ensemble les partenaires libéraux et socialistes ? “Chacun au collège travaille dans le cadre de ses compétences. Je dirais que sous l’ancienne législature, il y avait plus de transversalité. Ça dépend aussi de la personnalité, je dirais, des échevins et bourgmestre”, explique Françoise Schepmans. Sondée sur les relations au sein de la majorité, elle évoque des relations de respect, non sans rappeler une deuxième fois que chacun travaille dans le cadre de ses compétences. De son côté, Catherine Moureaux affirme que l’ambiance est très bonne. Dans la pratique, les critiques sur d’éventuels problèmes de gouvernance ont placé le MR dans une position un peu inconfortable.
Les Bleus se sont généralement abstenus de commenter ces polémiques, mais n’en pensent pas moins. Interrogée, la cheffe de file libérale n’a pas souhaité répondre et renvoie à Catherine Moureaux. De manière générale, l’opposition assure constater au quotidien l’ascendant du PS sur son partenaire libéral. Karim Majoros trouve “le MR est assez transparent” et Michaël Vossaert (Défi) indique que “le PS a très clairement pris le dessus sur le MR”.
Selon les deux conseillers communaux, le manque de confiance pourrait peut-être expliquer la répartition de certaines compétences. Le Logement (MR) et les Propriétés communales (PS) sont ainsi scindées, tout comme la Prévention (PS) et l’ASBL Move (MR). De manière générale, cette première année, les décisions fortes et celles ayant valeurs de symbole ressortent pour l’instant de manière plus évidente du côté socialiste que du côté libéral.
La Capitale relatait par ailleurs un épisode insolite datant de lundi. Le conseil d’administration de l’ASBL Molenbeek Sport s’est réuni en l’absence de l’échevin des Sports Jamel Azaoum (PS), qui avait pourtant demandé cette réunion. Présidée par le MR, la réunion du CA, qui a abordé la problématique de harcèlement du personnel de l’ASBL, a bien eu lieu. Interrogé par nos confrères, le socialiste a toutefois assuré qu’il n’y a pas de tension avec le partenaire de majorité.
“Le retour du clientélisme socialiste”
L’opposition n’en démord pas : il y aurait de graves problèmes de gouvernance du côté socialiste. Voilà une de leurs principales critiques, tous partis confondus. “Niveau transparence, il n’y a pas de motivation pour un réel changement pour le dire gentiment”, lâche Dirk De Block (PTB). “Il y a des choses qu’on ne verrait même pas dans des républiques bananières”, assure Ahmed El Khannouss (CDH). “Sur la bonne gouvernance, le navire PS-MR chavire”, indique Michaël Vossaert (Défi). Quant à Karim Majoros (Ecolo), il affirme que “le clientélisme et la mauvaise gouvernance, ça dépasse ce qu’on craignait”.
L’opposition pointe plusieurs dossiers. D’abord l’affaire du tapis rouge qui concerne l’échevin Amet Gjanaj (PS). “Le 24 décembre, il lance en collège un marché public pour un tapis, mais en fait celui-ci est déjà placé en rue. Et on ne parle pas de petites sommes, mais de plusieurs dizaine de milliers d’euros”, indique Karim Majoros. Ensuite le cas de l’échevin Abdellah Achaoui (PS), qui percevait un revenu pour une activité soit disant bénévole à l’école de jeunes de l’Union Saint-Gilloise. Dirk De Block rappelle, pour sa part, les soupçons de favoritisme concernant l’attribution de terrains par l’échevin des Sports Jamel Azaoum (PS) à l’ASA Molenbeek, un club récemment fondé et proche du PS. Et enfin, l’opposition note que les échevins Amet Gjanaj et Abdellah Achaoui viennent d’être pointés du doigt par la Cour des comptes pour ne pas avoir rentré leur déclaration de patrimoine ou la liste de leurs mandats 2018.
Interrogée, Catherine Moureaux trouve les accusations ridicules. “J’ai du mal à réagir là-dessus, parce que j’ai l’impression qu’on essaie de faire de la bonne soupe dans une vieille casserole. Ce qu’on essaie au contraire de faire, c’est plus de procédures, plus de transparence. Tout ça est beaucoup plus professionnel, au contraire, de ce qu’il y a pu se passer avant”, assure la socialiste. Invitée de Fabrice Grosfilley ce jeudi sur BX1, elle est revenue sur Abdellah Achaoui, dont la situation a longuement été débattue mercredi au conseil communal. “J’ai tendance à le croire et à le suivre”, a-t-elle indiqué, tout en n’excluant pas revoir son jugement si des éléments nouveaux sont révélés dans le cadre de l’enquête que vient de lancer le Parquet.
Budget, logement et mépris: les autres critiques de l’opposition
Plus globalement, dans les rangs de l’opposition, on s’inquiète pour la pérennité des finances communales. Les économies réalisées par la majorité précédente avaient permis à la commune de se constituer un petit bas de laine. Défi et Ecolo trouvent positive dans l’absolu la revalorisation du personnel communal, mais s’interrogent sur la capacité de l’entité à assumer la dépense sur le long terme. “On risque de retourner dans le rouge”, indique Karim Majoros. “Il ne faudrait pas que la commune revive les problèmes financiers du passé”, pointe Michaël Vossaert. Pour Catherine Moureaux, chaque dépense est calculée et il n’y a pas lieu de s’inquiéter.
Ecolo évoque aussi pour sa part un manque de respect de la majorité pour l’opposition : “On se retrouve souvent sans réponse. Il y a beaucoup de mépris”. Son chef de file fustige aussi la politique du logement ou plutôt, “l’absence de politique de logement”. “Ils n’ont même pas fait de plan logement!”, insiste Karim Majoros, échevin compétent jusqu’en 2018. Du côté du PTB, Dirk De Block considère, pour sa part, que la commune est beaucoup trop favorable aux “promoteurs immobiliers et aux spéculateurs”. Quant à Ahmed El Khannouss, il fustige, dans un tout autre registre la décision de Molenbeek de financer l’organisation de cours de français pour les imams. “Ce n’est pas le rôle d’une commune !”, insiste l’élu humaniste.
Compétent pour le Logement, Olivier Mahy (MR) rejette les critiques de son prédécesseur Ecolo. “Un grand nombre de ses promesses chiffrées n’ont pas vu le jour. Je pourrais annoncer un plan logement, mais je ne suis pas dans l’effet d’annonce. Je préfère me donner des objectifs, notamment ceux de nouer de bonnes relations avec les acteurs régionaux. Il ne faut pas se leurrer, c’est d’eux dont viendra le financement ». De son côté, Catherine Moureaux assure que le logement figure en haut des priorités pour l’année 2020 : “C’est évidemment un sujet extrêmement important. Mohamed Daif (PS) préside depuis deux mois le Logement molenbeekois. Il a déjà fait beaucoup, mais ce n’est que le début”.
Perspectives à court terme
Sur le plan de l’enseignement, il s’agira de concrétiser plusieurs projets de création de places dans les écoles. La commune compte également annoncer une importante réforme pédagogique au niveau communal. “On y a beaucoup travaillé cette dernière année”, indique Catherine Moureaux (PS). Dossiers logement, Plan propreté ou encore stationnement sur la Place Communale : les dossiers chauds ne manqueront certainement pas cette année. Avec dans l’immédiat, cette soirée visant à booster l’image de la commune : Les Étoiles de Molenbeek.
Julien Thomas – Photo: Paul-Henri Verlooy/Belga