La pédagogie de Céline Alvarez enseignée à l’école Saint-Antoine à Forest
Après le succès de son livre « Les lois naturelles de l’enfant » sorti en 2016, Céline Alvarez revient avec « Une année pour tout changer », basé cette fois sur son expérience avec 750 pédagogues de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Se plaçant dans la lignée de Montessori, l’auteure et linguistique française y enseigne les mécanismes naturels d’apprentissage de l’enfant. Mais comment cette philosophie est-elle mise en pratique sur le terrain ? Qui sont ses détracteurs ? C’est ce que nous allons voir à l’école Saint-Antoine à Forest qui l’applique dans une demie-dizaine de ses classes depuis moins d’un an.
A Bruxelles, différentes écoles proposent ce qu’on appelle aujourd’hui un enseignement à pédagogie active. Le succès de cet enseignement et des établissements scolaires qui l’appliquent est grandissant. Il s’agit de “proposer des activités d’apprentissage en classe qui soient à l’initiative, du moins en partie, des élèves”, explique Bernard Rey, professeur de sciences de l’éducation à l’Université Libre de Bruxelles.
Céline Alvarez a repris la philosophie Montessori et l’a davantage développée après avoir intégré l’école maternelle Jean-Lurçat de Gennevilliers en France. Une expérience dans l’Education nationale qu’elle qualifie “d’acte politique” dans le but d’infiltrer un système qu’elle veut changer. Sort alors son premier ouvrage « Les lois naturelles de l’enfant ». Vendu à 220 000 exemplaires, il est considéré comme un best-seller. Du côté du corps scientifique et académique, on se méfie pourtant. “Je ne peux pas dire grand chose dessus car je ne l’ai pas lu”, déclare Bernard Rey, avant de poursuivre “évidemment j’en ai beaucoup entendu parlé mais les universitaires se méfient toujours de ce genre d’épisode proprement médiatique, d’autant plus qu’ici, il s’agit d’un ouvrage apparu dans les médias par ses liens avec le pouvoir.” Quant à la méthode de Céline Alvarez, le professeur à l’ULB est très clair: “L’éthique du chercheur est de procéder lentement et de s’ouvrir à la contestation des collègues, ce qui ne semble pas d’être le cas ici.”
Du côté de l’école Saint-Antoine de Forest, on se dit rassuré et même conquis par la théorie. C’est une enseignante de 1e primaire, Marie Henry, qui découvre l’ouvrage de Céline Alvarez. Elle participe ensuite aux formations avec 750 autres enseignants de Bruxelles et de Wallonie données par l’auteure en Belgique. Elle prend d’abord seule cette initiative mais l’école la suit rapidement. Cette dernière accepte même que Céline Alvarez vienne filmer dans une des classes. Cinq autres professeurs de l’école ont décidé depuis de mettre en place cet enseignement (trois en maternelles et deux en 1e et 2e primaire).
Une classe totalement repensée
Et la première clef donnée par l’auteure française, c’est le rangement de la classe. Margaux, enseignante en 1e et 2e primaire à l’école Saint-Antoine témoigne : “Il a fallu faire un tri. Tout le superflus a disparu. Après, il a fallu changer les meubles par des meubles à hauteur des enfants. Et puis pendant les vacances de Noël de 2018, j’ai réorganisé toute la classe. Aujourd’hui, il y a moins de bancs que d’élèves tout simplement car j’ai aussi installé un coin géographie, une armoire autonome pour y mettre les jeux et un tapis de construction”. Exit donc chaque élève sur un banc à écouter et lire les consignes du professeur devant le tableau. “Les professeurs à Saint-Antoine n’ont plus une posture frontale. Les élèves ont dorénavant une grande liberté dans l’apprentissage”, estime Pierre Laurens, directeur de l’école.
Le principe de cette pédagogie est donc de mettre l’élève au centre de l’apprentissage. Ici par exemple, il n’y a pas d’exercices de mathématiques obligatoires à faire. En début de semaine, l’élève reçoit un nombre de tâches à réaliser. Il décide alors quand et la manière dont il les effectuera. L’enfant passera par exemple par du bricolage pour apprendre à calculer. “Avec cet enseignement individualisé, on arrive à ce que certains élèves de 2e primaire lisent jusqu’à un million, parce que c’était leur choix de développer cette compétence”, nous apprend Pierre Laurens.
Aujourd’hui ces professeurs ne sont plus des “maîtres” mais des référents ou des accompagnateurs. “Depuis un an, le changement est évident. Certains élèves ont retrouvé l’envie d’apprendre.” Et ce goût d’apprendre, le directeur l’explique par la très grande autonomie donnée aux élèves, mais aussi par le travail en groupe. En effet, cette philosophie retire l’enseignant comme seul détenteur de savoirs et de connaissances. L’élève aussi devient tuteur et enseigne à son camarade.
Des réactions mitigées chez certains parents
Pierre Laurens l’avoue, certains parents restent toutefois dubitatifs. “Le changement fait peur surtout pour ceux qui ont été dans des écoles plus traditionnelles. C’était le cas, cette semaine lors de la réunion parentale. Une maman ne comprenait pas pourquoi on ne punissait pas son enfant pour lequel on avait constaté qu’il ne se mettait plus de défis et qu’il se contenait de faire le minimum depuis quelques semaines.”
Si ce style d’apprentissage fait l’objet de nombreuses critiques, c’est parce que le curseur de l’efficacité a bougé.
“Si l’on vise la plus grande efficacité par la rapidité d’apprentissage, alors pas sûr que ces pédagogies dites actives soient les meilleures … Avec l’enseignement d’une règle suivi d’exercices, le résultat sera beaucoup plus rapide. Par contre, si l’on vise la créativité, l’initiative et le sens critique, alors on peut dire qu’elles sont efficaces”, explique Bernard Rey, professeur à l’ULB. Tout dépend donc de qu’on veut pour l’enfant.
Une analyse également partagée par Margaux. Lors de la dernière rentrée scolaire, elle a d’abord travaillé sur les fonctions exécutives. Il s’agit des bases du futur apprentissage scolaire comme par exemple: remettre les choses à sa place, se déplacer calmement, réaliser une activité jusqu’au bout, etc. Un procédé qui prend du temps à mettre en place mais qui porte ses fruits selon elle. “Un des enfants a, un jour, sorti un puzzle. Il n’avait aucune stratégie de construction, il a donc abandonné. Pendant plusieurs mois, je l’ai accompagné. J’étais à ses côtés pour le rassurer. Aujourd’hui, il arrive à réaliser des puzzles de 200 à 300 pièces tout seul car il a compris comment mettre en place des stratégies.”
Deux nouveaux établissements, qui prônent tous les deux la pédagogie Montessori, ont ouvert en septembre dernier. L’école Marie Popelin sur l’avenue Ciceron à Evere, et l’école Neuve sur l’avenue Ernest Cambier à Schaerbeek. Au niveau du secondaire, c’est l’Athénée Royal Victor Hugo, une école à pédagogie active, qui s’est installée à Haren.
Aurélie Vanwelde