Les décisions prises hier se justifient-elles ? Questions-réponses avec Yves Coppieters

Ce vendredi, le Comité de concertation a annoncé la réouverture prochaine des coiffeurs et autres métiers de contact. Au lendemain de ces annonces, nous avons interrogé Yves Coppieters, médecin épidémiologiste et professeur de santé publique à l’ULB

 

L’une des principales décisions du Codeco, hier, est la réouverture le 13 février des salons de coiffure. C’est une sage décision, qui se justifie à ce stade-ci ?

Yves Coppieters : Je pense que c’est une décision raisonnable, tellement elle était attendue sur un plan social et économique. Le gouvernement avait quand même promis que les prochains secteurs à rouvrir seraient les métiers de contact. Alors, on voit qu’ils n’ont pas franchi le pas complet, puisqu’ils scindent les métiers de contact en deux catégories : les coiffeurs et puis les autres, potentiellement le 1er mars. Donc, oui, c’est une décision raisonnable, ils ont dit hier lors de la conférence de presse que leur stratégie était prudente. C’est le cas de le dire, puisque ce ne sera une réouverture que dans une semaine, et puis petit-à-petit les autres métiers. C’est tout à fait raisonnable, mais sur un plan social et économique on peut se demander si c’est suffisant.

 

Et justement, hors aspects social et économique, est-ce qu’on aurait pu encore attendre d’un point de vue épidémiologique ? Erika Vlieghe disait ce matin ‘craindre que cette nette augmentation des contacts soit aussi une nette augmentation du risque de propagation‘ : vous la rejoignez là-dessus ?

Yves Coppieters : Je la rejoins sur un plan théorique : fatalement, si on rouvre des activités, on risque plus de contaminations. Maintenant, je ne la rejoins pas sur un plan de santé publique : on se rend compte qu’il faut maintenant aborder la situation de façon globale. On est à plus d’un an d’épidémie, maintenant, et si on reste coincé dans cette vision sanitaire et la peur du lendemain, et de la réaugmentation des transmissions, on n’en sortira pas. Bien sûr, il ne faut pas être kamikaze, il ne faut pas baisser tête baissée, mais on se rend compte que notre stratégie de testing est beaucoup plus large, assez efficace, le suivi de contacts aussi, donc il faut aussi être raisonnable : si ces stratégies fonctionnent, et que les protocoles d’hygiène sont bien respectés dans les salons de coiffure et ailleurs, je pense que fondamentalement il faut oser y aller. Et je pense qu’il ne faut pas toujours mettre le plan sanitaire en priorité, en tout cas à ce moment-ci de l’épidémie.

 

Donc, dans cette vision plus globale que vous prônez, même si on voit aujourd’hui une hausse des contaminations et des admissions, cela ne devrait pas remettre en cause ces réouvertures programmées ?

Yves Coppieters : Cette hausse journalière n’est pas interprétable. Il faut vraiment regarder les tendances à 7-10 jours, et la vitesse d’augmentation : est-ce que ce sont des fluctuations d’un jour à l’autre, ou il y a une vraie vitesse exponentielle croissante des augmentations ? Et ça, on ne sait le regarder que sur 7 à 10 jours. Si je regarde les 7 à 10 derniers jours, on n’observe pas cette croissance exponentielle. Donc, peut-être que les augmentations d’aujourd’hui peuvent contribuer à quelque chose dans 10 ou 15 jours, on le verra, mais ce n’est pas parce qu’on a une crainte que cela réaugmente qu’on ne peut pas recommencer des activités. Je pense qu’il faut être très raisonnable, et relancer les activités, et puis on verra. Est-ce qu’on sera dans une stratégie stop and go, j’espère que non parce que ce qu’on réouvre actuellement, j’espère que cela restera ouvert à long terme voire définitivement, mais il y a toujours ce risque-là.

 

Les coiffeurs rouvriront avant les esthéticiens, les zoos rouvriront avant les parcs d’attraction. Vous comprenez, d’un point de vue épidémiologique, ces différences qui ont été faites entre des secteurs assez semblables ?

Yves Coppieters : En terme de risques de transmission, les coiffeurs VS. autres métiers de contact (qui sont d’ailleurs, à mon avis, plus protégés, puisque ce sont des soins individuels où il y a moins d’interactions), le niveau de risque est équivalent. Maintenant, c’est un choix politique de se dire qu’on lâche la moitié de ce secteur, et on attend encore quelques jours pour l’autre partie. C’est un choix politique, mais sur un plan de risque sanitaire, je pense qu’il n’y a pas de justification.

Quant aux parcs zoologiques, ce sont essentiellement des activités en extérieur, lors desquelles, a priori, on ne fait pas de files devant une attraction, où il n’y a pas de regroupement, si les restaurants et buvettes ne sont pas ouverts. Là, c’est plutôt une bulle d’oxygène potentiellement par rapport aux vacances de Carnaval, et une possibilité de faire plus d’activités à l’extérieur pour éviter qu’on se retrouve tous dans les centres commerciaux ou les artères commerçantes, ou qu’on se contamine chez soi car on est avec plus d’interactions sociales.

 

Pour les coiffeurs, on a parlé de protocoles assez strictes. Par contre, le masque FFP2 et le test hebdomadaire ont été abandonnés. Les protocles mis en place seront-ils suffisants ?

Yves Coppieters : Je pense qu’ils sont déjà assez strictes, mais maintenant ils doivent être évalués. Maintenant qu’on rouvre les coiffeurs, il faudrait qu’on mette en place de vraies études opérationnelles, de terrain, pour suivre ce qu’il se passe en matière de transmissions et d’application des protocoles. J’espère qu’on va vraiment documenter pour qu’il n’y ait plus de polémique par rapport à ça à l’avenir. Je pense quand même que les masques chirurgicaux, le fait qu’on aère bien la pièce entre les clients, un seul client, les rendez-vous, la désinfection des surfaces et du matériel, et le port du masque en continu, c’est un ensemble de mesures tout à fait efficace pour se protéger même si on est en contact avec une personne contaminante. Je pense qu’il ne fallait pas rajouter des stratégies en plus, c’est nettement suffisant dans un milieu pour lequel, si c’est appliqué, c’est assez sécurisant.

 

Hier, le Comité de concertation a peu ou pas abordé d’autres secteurs, comme l’Horeca ou la culture. C’était trop tôt, selon vous ?

Yves Coppieters : C’est pas qu’ils n’en ont pas parlé, ils ont parlé d’une feuille de route, d’un tableau de bord, dont ils parlent depuis des mois, qui sera proposée fin février, et dans laquelle il semble qu’il y aura de vraies échéances, de vraies perspectives, pour tous ces secteurs non-cités, et pourtant très essentiels. De nouveau, on retarde toujours ce tableau de bord, cette ligne de conduite en fonction d’indicateurs à atteindre, et ça c’est un peu triste car on perd un peu la confiance par rapport à cet outil qui est attendu depuis de longs mois, et qu’on aurait très bien pu réaliser antérieurement. On l’attend maintenant fin février, j’espère que ce seront de vraies perspectives, et qu’il y aura, au niveau politique, des dates proposées, même si on sait qu’elles pourront changer. Ca permettra aux secteurs de se préparer, et d’appliquer les protocoles à mettre en place.

 

Le prochain Comité de concertation aura justement lieu le 26 février. Ce matin, le ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke (sp.a) estimait impensable qu’on décide à ce moment-là une réouverture de l’horeca pour le 1er mars. Vous le rejoignez là-dessus ?

Yves Coppieters : Oui, car je pense qu’il y a d’autres secteurs à envisager pour rouvrir avant : je parle bien sûr du reste des métiers de contact, et de la culture. Tous les endroits culturels dans lesquels les protocoles sanitaires, comme ils ont déjà été appliqués, fonctionnent très bien. Et puis je parle du sport : on a très peu parlé des salles de sport, ou d’autres types de sports collectifs. Il y a sûrement plein d’autres secteurs que j’oublie, j’en suis désolé. Mais sans doute que ce seront des secteurs prioritaires, car les stratégies de protection seront plus faciles à mettre en place que dans l’horeca ou les bars. Je pense que l’horeca et les bars sont conditionnés par la chute plus importante des hospitalisations. Parce que ce ne sera que quand la tranche des personnes les plus fragiles, les plus de 65 ans, avec comorbidités, seront vaccinés qu’on va sentir un vrai effet sur les hospitalisations et l’occupation des lits de soins intensifs, et là ce sera le très bon signal du déconfinement, et on parlera alors de tous les secteurs.

 

■ Interview de Arnaud Bruckner

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06 février 2021 - 14h49
Modifié le 07 février 2021 - 10h44