L’éditorial de Fabrice Grosfilley : sources d’inquiétude
Est-ce le point final pour d’une semaine d’inquiétude liée aux Pfas ? On serait tenté de répondre oui, et de pousser un ouf de soulagement. Hier Alain Maron, ministre bruxellois de l’Environnement s’est montré catégorique et direct : à Bruxelles la future norme européenne de 100 nanogrammes par litre n’a jamais été dépassée (ni même atteinte). Fin du débat, fermeture du robinet à angoisse et polémique, on peut tous boire un verre d’eau et retrouver de la sérénité. Ces précision sont évidement importantes pour tous les bruxellois. Depuis les révélations du magazine investigations sur la RTBF beaucoup de question tournent légitimement autour de la qualité de notre eau du robinet et de son contrôle. Les révélations s’enchainent les unes après les autres, la gestion des autorités est mise en cause, les impacts sur la santé ne sont pas négligeables. La communication, pour la partie wallonne du pays, s’est avérée défaillante. Dans certaines communes wallonne les inquiétudes demeurent d’ailleurs sur le niveau de pollution actuelle. Pour les responsables de la SWDE (société wallonne des eaux) cette saga doit ressembler au supplice de la goutte d’eau, qui consiste à faire tomber régulièrement une goutte d’au sur le front du condamné après l’avoir immobilisé .
Tout cela concerne donc la Wallonie, et pas Bruxelles. Et c’est tant mieux pour les bruxellois, il est important de le faire savoir. Les relevés bruxellois attestent quand même d’une présence de Pfas dans l’eau de certains quartiers bruxellois, où l’on parle d’une vingtaine de nanogrammes par litre. Cela n’est pas rien, même si cela reste 5 fois en dessous de la future norme européenne. Un niveau qui nous pousserait donc à nous interroger sans nous alarmer. Il serait souhaitable que Vivaqua puisse faire baisser ce taux pour tendre vers zéro. Cela pose la question de la qualité des captages, notamment ceux de Ghlin et de Nimy, dans le Hainaut. La RTBF a révélé mercredi soir que Vivaqua avait d’ailleurs déposé une plainte auprès de la police de l’environnement de la Région Wallonne en constatant au printemps dernier que l’eau provenant de ces captages présentait un taux de Pfas anormalement élevé. Cela peut aussi poser la question du traitement de l’eau ensuite. Il est techniquement possible d’éliminer les Pfas nous expliquait le professeur Alfred Bernard dans un entretien il-y-a quelques jours. Mais cela demande des investissements conséquents… auxquels il faudra peut-être consentir dans le futur. Hier devant les parlementaires, Alain Maron s’est d’ailleurs dit favorable à des seuils de vigilance inférieurs à cette fameuse norme européenne. Des seuils d’alerte en quelque sorte , dont le premier pourrait être fixé à 20 nanogrammes par litre (et même 4 nanogrammes pour les Pfas les plus les plus dangereux). Vingt nanogramme par litre c’est le niveau précisément rencontré dans certains quartiers de Bruxelles. On ne doit donc pas hurler au loup, mais on ne peut pas se dire que tout va bien non plus.
De cet épisode on doit donc tirer quelques leçons. D’abord sur l’inquiétude qui a pu être la nôtre depuis quelques jours. S’il existe deux sociétés bien distinctes en matière de distribution d’eau, la SWDE pour la Wallonie, Vivaqua pour les Bruxellois, et que les problèmes que rencontre l’une ne concerne pas l’autre, il n’en va pas de même pour le débat public. Sur le terrain de l’information il n’ y a pas de paroi étanche entre Bruxelles et la Wallonie. Quand le thème de la pollution s’impose à ce point dans les médias il est normal que les Bruxellois s’inquiètent… il n’est pas si facile de faire la distinction entre ce qui concerne mon cousin wallon et ce qui me concerne moi. Il y a dans ce genre de moment de la confusion dans l’information, c’est un fait, même si on peut regretter que tout le monde n’ait pas le réflexe de s’abreuver à bonne source pour bénéficier d’informations spécifiques bruxelloises (BX1, Viva-Bruxelles ou la page bruxelloise d’un quotidien de votre choix). On notera au passage que profiter de cette confusion pour régler l’un ou l’autre compte politique est une tentation qui pourrait exister au sein du monde politique, et que sur les réseaux sociaux les utilisateurs les plus agressifs ne respectent pas non plus les frontières géographiques, quand ils ne franchissent pas ouvertement celles de la politesse ou de la véracité.
L’autre leçon concerne bien sûr la pollution en général. Nous sommes entourés de polluants et nos législations ne sont pas les plus protectrices, que ce soit au niveau européen ou au niveau national. On peut chercher toutes les alternatives qu’on veut, passer à l’eau en bouteille (si ce sont des bouteilles plastiques, ce ne sera pas sans risque non plus), mais si on souhaite prendre le problème à la source il faut réduire l’utilisation des produits chimiques (dont la Belgique est un grand producteur), dans l’industrie, dans l’agriculture et d’une manière générale, dans toutes les activités humaines. Cela ne se fera pas sans conséquences économiques. Ce débat sur les Pfas a déjà secoué la Flandre depuis plusieurs mois. Il arrive maintenant du coté francophone. Certains l’annoncent déjà comme l’équivalent du scandale de l’amiante. En ce qui nous concerne nous, Bruxellois, il nous incite à regarder plus loin que nos frontières. Parce que l’eau que l’on boit à Bruxelles, viendra toujours d’ailleurs.