L’édito de Fabrice Grosfilley : le “récit” des attentats

Après les victimes, les accusés. Au procès des attentats du 22 mars, on entend désormais la version de ceux qui ont participé à ce double attentat qui a frappé Bruxelles, il y a déjà 7 ans. Le fait qu’ils prennent la parole, qu’ils acceptent (pour la plupart d’entre eux) de répondre aux questions de la présidente est capital pour la suite du procès, capital aussi pour notre compréhension de ce qui s’est passé. Avec les victimes, nous avons compris l’horreur, nous avons vu les dégâts causés par ces attentats. On ne dira jamais assez qu’un attentat n’est pas un acte abstrait. C’est un acte qui ôte la vie. Un acte qui bouleverse des vies. 32 morts et 340 blessés. Il était capital d’entendre ces victimes pour comprendre la matérialité, la réalité de la violence et des séquelles qu’ils ou elles portent toujours dans leur quotidien 7 ans après.

Plus qu’une différence de point de vue, c’est une différence de temporalité que nous offre le témoignage des auteurs. Le témoignage des victimes commence au moment de l’explosion. Celui des auteurs, remonte bien plus loin. Depuis deux jours, nous sommes donc en amont des attentats et plus en aval. Nous pouvons comprendre ou essayer de comprendre ce qui s’est passé avant. Comment les bombes ont été préparées, qui a pris la décision. Pourquoi ces auteurs ont décidé de rejoindre l’État Islamique puis de commettre des attentats en Europe, et en particulier à Bruxelles. Pas par voyeurisme ou par goût de la victimisation. Pas pour se faire mal, et on sait que pour certaines victimes revivre ces journées est un traumatisme éprouvant. Mais parce qu’entendre de la bouche des accusés leurs paroles, leurs explications, leurs récits, sera capital pour pouvoir faire justice.

J’emploie le mot récit volontairement. Pas parce que ce serait une belle histoire particulièrement agréable à entendre. Mais parce que ce que voudrons nous dire les accusés n’est que la version qu’ils veulent nous donner. Cela peut être très proche de la réalité, cela peut s’en éloigner un peu, cela sera sûrement présenté sous un jour plus ou moins favorable à la thèse que défendront pus tard leurs avocats. On en a eu déjà un avant goût avec les premières déclarations de Salah Abdeslam et Mohamed Abrini. Salah Abdeslam estime ainsi qu’ayant été arrêté 4 jours avant le 22 mars, il n’a rien à voir avec ce qui se passe ce jour-là.Mohammed Abrini, lui a dit qu’il n’a en réalité jamais eu l’intention de déclencher sa bombe. Qu’il l’avait fait croire à ses camarades du commando de l’aéroport, mais qu’au fond de lui, il savait qu’il ne se ferait pas exploser.

►Lire aussi : Procès des attentats de Bruxelles : Abrini affirme n’avoir jamais voulu se faire exploser à Zaventem

Ce sont donc leurs versions. On doit les prendre comme telles. Mais la manière dont il la livre, la sincérité qui perce ou ne perce pas dans les intonations de voix, dans les détails qui sont donnés, la logique des explications, les silences et les zones d’ombres qu’on refuse d’éclairer aide à mieux comprendre. Sur la responsabilité de chacun, sur l’organisation du commando terroriste, sur la radicalisation qui a précédé : ce dialogue, qui s’est installé depuis plusieurs jours est primordial. Et il faut saluer la capacité de la présidente de la cour à instaurer ce dialogue. Parce qu’il va permettre à la justice d’avancer en ayant entendu tout le monde, de ne pas rendre un verdict “à l’aveugle.” Et pour nous, qui ne sommes pas membres du jury,  d’avoir une vision aussi précise que possible, de ce qui nous est arrivé.

► Retrouvez L’Édito en replay et podcast (Apple Podcasts, Spotify, Deezer…) en cliquant ici

Fabrice Grosfilley