L’éditorial de Fabrice Grosfilley : l’aéroport et la lasagne
Dans son édito du lundi 13 novembre, Fabrice Grosfilley revient sur le problème du survol de Bruxelles.
C’est un problème en apparence insoluble et une illustration des limites de notre lasagne institutionnelle. Comment peut-on diminuer le volume de nuisances sonores de l’aéroport, sans nuire à son développement économique ? Poser ainsi la question illustre bien les intérêts contradictoires en apparence inconciliable : la tranquillité des habitants d’un côté, incompatible avec les survols intempestif des avions, et de l’autre, le souhait d’accueillir toujours plus de compagnies aériennes, d’ouvrir de nouvelles liaisons, de développer l’activité cargo, ce qui veut dire toujours plus d’avions, de jour comme de nuit.
Ce dimanche, 600 personnes ont donc participé à une marche sur l’aéroport pour réclamer des décideurs une plus grande attention à la qualité de vie. 600 personnes ce n’est pas un succès considérable, mais ce qui est important dans cette manifestation, c’est son organisation par des organisations environnementales flamandes, à laquelle se sont ralliés des associations bruxelloises. Dans ce dossier où la gestion politique se fait surtout à coup de routes aériennes (une fois j’envoie les avions vers le nord, une autre fois, je les envoie vers le sud), c’était l’affirmation, plutôt rare, que les nuisances touchent toutes les populations, qu’elles habitent la Flandre, les communes à facilités, ou la Région Bruxelloise. Et que changer de route ne revient qu’à déplacer le problème.
Ce dimanche, les organisateurs de cette marche demandaient concrètement qu’on étende la réglementation de nuit de 22 à 7h (contre 23h-6h actuellement), ce qui assurerait une forme de nuit plus ou moins tranquille aux riverains, qu’on travaille sur la norme de bruit maximale des avions (le fameux “quota count”), et aussi qu’on plafonne le nombre de vols autorisés chaque année. Cette dernière revendication est probablement celle qui entre le plus en confrontation avec les ambitions de l’aéroport. Aujourd’hui le nombre de vols est fixé à 220 000 mouvements par an. Il est question de le porter à 400 000. C’est presque une multiplication par deux. Deux fois plus de mouvements, deux fois plus de nuisances, CQFD, alors que près d’un million de personnes subissent le bruit des avions.
Face aux associations et aux communes concernées, les actionnaires de l’aéroport défendent eux la piste du développement économique. C’est un fameux business un aéroport : en 2022 les vols au départ de Bruxelles ont transporté quasiment 19 millions de passagers. Ce nombre a doublé par rapport à 2021, mais reste inférieur de plus d’un quart au record de 2019 (avant la période covid). Au total, 776 000 tonnes de fret ont transité par le tarmac de Bruxelles. Tout cela a permis à Brussels Airport de réaliser un chiffre d’affaires de 549 millions d’euros, et un bénéfice de 16 millions. Bénéfice modeste (on doit se rappeler que le covid est passé par là), mais qui doit croître. Ces données économiques sont cruciales pour comprendre les modes de décisions : l’aéroport est géré par une société privée dont 75% des parts appartient à un consortium qui réunit fonds de pensions canadiens et capitaux australiens, les pouvoirs publics détenant les 25% restants. Supprimer les vols de nuit mettrait en danger 14 000 emplois estime la FGTB. Le chiffre vaut ce qu’il vaut (on dénombrait en 2019 24 000 salariés à l’aéroport avec 19 000 équivalents temps plein, en attribuer plus de la moitié aux activités nocturnes semble surestimé), mais on a compris qu’un avion qui vole c’est du travail pour les salariés et des revenus pour les actionnaires.
Pourquoi la fermeture pure et simple de l’aéroport la nuit, possible à Schiphol à Roissy, ne l’est-elle pas à Bruxelles ? Le rôle des pouvoirs publics est d’agir au nom de l’intérêt général et de faire la balance entre l’intérêt économique et la qualité de vie des citoyens. C’est là que notre lasagne institutionnelle se révèle plutôt gratinée. La qualité de vie des citoyens lorsque ces avions survolent Bruxelles est la compétence de la Région bruxelloise. Le permis d’environnement de l’aéroport situé à Zaventem relève de la compétence de la région flamande. Une compétence qu’elle garde jalousement : elle vient même d’introduire un recours au Conseil d’État contre les prétentions du fédéral de vouloir agir sur la question des nuisances sonores. Et tant que la Flandre bénéficiera des retombées économiques de l’aéroport, sans vraiment pâtir des nuisances, on a compris que ce dossier, était pas prêt d’être réglé.
Fabrice Grosfilley