Le Conseil supérieur de la Santé préconise d’interdire les vols de nuit à Brussels Airport: “Il serait gravissime de ne rien faire”

Le Conseil supérieur de la Santé (CSS) préconise mardi une interdiction des vols de nuit entre 23h00 et 7h00 à Brussels Airport et une limitation des vols durant les heures de pointe. La pollution sonore due aux avions peut en effet entraîner des troubles du sommeil, des difficultés d’apprentissage, de l’hypertension et de la dépression, justifie-t-il. Les émissions dues au trafic aérien ont en outre globalement des effets négatifs sur la santé. ‘Il serait “gravissime” de ne rien faire, estime Woluwe-Saint-Pierre”

À la demande du ministre fédéral de la Santé publique Frank Vandenbroucke (Vooruit), le CSS a examiné dans quelle mesure l’aéroport de Bruxelles affecte la santé des riverains. Autour de Brussels Airport, quelque 160.000 personnes sont exposées à un risque accru du fait de leur exposition à un niveau de bruit excessif durant la nuit, répond le Conseil supérieur de la Santé.

Et, selon l’étude annuelle de l’aéroport sur les contours de bruit autour des pistes, la pollution sonore a de nouveau augmenté en 2023, conséquence de la poursuite de la reprise du trafic aérien après la crise du coronavirus. Elle reste toutefois encore en deçà des chiffres de 2019. Au total, 13.432 riverains ont ainsi été “potentiellement très gênés” l’année dernière par le décollage et l’atterrissage des avions.

■ Reportage Jean-Cristophe Pesesse, Yanick Vangansbeek

 

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Troubles du sommeil, maladies cardiovasculaires, dépression, retard d’apprentissage…

Pour le Conseil supérieur de la Santé, “chaque année, les preuves scientifiques des effets néfastes du bruit se multiplient”. La pollution sonore entraîne ainsi des sentiments d’irritation et des troubles du sommeil. Elle est également associée à un risque plus élevé de maladies cardiovasculaires, à un retard d’apprentissage chez les écoliers et à un impact négatif sur le bien-être mental, augmentant le risque de dépression, liste le CSS.

La pollution de l’air joue également un rôle. Selon plusieurs études, les émissions de particules ultrafines, caractéristiques des avions, entraînent principalement, et à court terme, une diminution de la fonction pulmonaire et des modifications du rythme cardiaque. À long terme, ajoute le Conseil, elles sont liées à davantage de maladies cardiovasculaires, mais aussi, par exemple, à des difficultés lors de la gestation, comme un poids inférieur. Pour lutter contre les troubles du sommeil et permettre un sommeil suffisant, le CSS recommande l’interdiction des vols de nuit entre 23h00 et 7h00.

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Des indicateurs supplémentaires

Cette instance suggère également de développer et d’utiliser des indicateurs de bruit supplémentaires qui se concentrent principalement sur la fréquence de survol des avions et leur niveau sonore à chaque survol plutôt que de s’intéresser aux niveaux de bruit moyens. Aux yeux des experts, il revient aux Régions de se mettre d’accord sur ce point. Les normes de bruit existantes devraient par ailleurs être abaissées pour répondre aux normes de l’Organisation mondiale de la Santé, préconise le CSS, car ces dernières constituent le seuil à partir duquel se produisent des dommages pour la santé.

Enfin, il convient de réduire la concentration des vols tôt le matin et le soir en raison de l’exposition trop élevée aux particules ultrafines qu’ils provoquent autour des pistes, en particulier au nord-est, plaide le Conseil, pour qui une augmentation générale du nombre de vols et de leur fréquence n’est pas souhaitable. Pour mieux identifier les effets sur la santé, des études spécifiques à la situation de Bruxelles et de sa périphérie sont nécessaires, estime encore le CSS. Celles-ci devraient mettre en relation les niveaux d’exposition au bruit et à la pollution atmosphérique avec les données médicales déjà disponibles. La pollution atmosphérique présente devrait, elle, être mieux surveillée en mesurant des paramètres supplémentaires et en étendant le réseau de mesure.

De nouvelles études caractérisant la pollution sonore à l’aide d’indicateurs plus sophistiqués devraient mettre davantage l’accent sur les groupes vulnérables tels que les enfants et les patients, développe le Conseil supérieur de la Santé. “Ces études complémentaires ne doivent pas servir d’excuse pour ne pas agir maintenant”, souligne enfin le CSS, qui soutient une communication “transparente et équitable” entre le gouvernement, l’aéroport et les riverains sur les impacts sanitaires par rapport à d’autres intérêts.

Pour rendre le secteur de l’aviation plus durable, les gens devront également changer leur comportement et ne prendre l’avion que lorsque c’est vraiment nécessaire, conclut le Conseil.

 

“Dommage que le permis a déjà été accordé entre-temps”

Cet avis du CSS – le premier du genre pour les activités de l’aéroport – intervient quelques semaines après que la ministre flamande de l’Environnement, Zuhal Demir (N-VA), a approuvé le nouveau permis d’environnement de l’exploitant de l’aéroport, Brussels Airport Company. A ses yeux, ce permis (à durée indéterminée, NDLR) établit un équilibre entre les intérêts économiques de l’aéroport et la viabilité aux alentours des pistes. Il ne prévoit pas d’interdiction totale des vols de nuit mais bien des nuits silencieuses le week-end à partir de 2026. Ce qui n’est donc pas suffisant aux yeux du Conseil supérieur de la Santé.

“Il est un peu dommage que le permis a déjà été accordé entre-temps”, a réagi mardi Greet Schoeters, toxicologue de l’environnement à l’UAntwerpen et coprésident du groupe de travail du CSS qui s’est penché sur ces nuisances sonores. “Nous avons travaillé sur ce dossier avec une équipe pluridisciplinaire et tenu plusieurs auditions avec des collègues étrangers : c’est ainsi que nous sommes parvenus à un rapport final”, a-t-il détaillé. L’expert espère que le rapport servira à quelque chose et que des mesures seront prises pour réduire les nuisances.

 

“On est en train de creuser notre tombe à coup de survol”

Il serait “gravissime” de maintenir en l’état la situation autour des vols de nuit à Brussels Airport, estime mardi Benoît Cerexhe (Les Engagés), le bourgmestre de Woluwe-Saint-Pierre. Le responsable fustige par ailleurs l’attitude du ministre fédéral de la Mobilité, Georges Gilkinet (Ecolo), dans ce dossier.

“Quand il faut délivrer un permis d’environnement, l’aéroport reçoit un chèque en blanc. Pour l’exploitant, il ne s’agit que de gênes, et pour un très petit nombre de personnes. Ce que je lis aujourd’hui dans le rapport, c’est qu’il est gravissime de maintenir la situation en l’état”, réagit Benoit Cerexhe.On a actuellement le Ministre fédéral de la mobilité le plus passif qu’on ait connu. La justice lui a dessiné un boulevard pour imposer des mesures à l’exploitant. Il n’a rien fait. Ni donné instructions à ses représentants à Brussels Airport, ni même tenté de modifier le schéma actuel, parfaitement insatisfaisant, comme le souligne le CSS. Il existe pourtant des pistes pour améliorer les choses, à commencer par suivre nos revendications qui font largement consensus : la fin des vols de nuit, le plafonnement des mouvements annuels à 220.000, et la modernisation de la flotte. On est ici gentiment en train de creuser notre tombe à coup de survol, ça n’a aucun sens”

 

“Bruxelles ne doit pas devenir la poubelle sonore de l’Europe”

Des avancées sont possibles dans le dossier des nuisances sonores dues aux avions autour de Brussels Airport et il faut les mettre en oeuvre au plus vite. C’est en ces termes qu’a réagi mardi le ministre fédéral de la Mobilité Georges Gilkinet (Ecolo) à la recommandation du Conseil supérieur de la Santé d’y interdire les vols de nuit entre 23h00 et 7h00. “Bruxelles ne doit pas devenir la poubelle sonore de l’Europe!”, a-t-il lancé.

“Les conclusions du Conseil ne laissent aucun doute : les nuisances sonores et la pollution de l’air des activités aériennes ont un impact plus que significatif sur la santé des personnes survolées, d’autant plus en fonction des heures de la journée”, relève Georges Gilkinet.

Selon lui, les recommandations émises mardi vont dans le sens des mesures qu’il a mises l’an dernier sur la table du gouvernement fédéral. Le ministre de la Mobilité avait alors proposé de revoir le système dit des “quota counts” (QC), soit le niveau de bruit maximum autorisé pour chaque avion à l’atterrissage ou au décollage. Des normes qui n’ont plus été révisées depuis 2009. Cette révision vise une réduction totale du niveau de bruit de 20%, en particulier aux heures les plus sensibles.

L’écologiste avait alors également soutenu une interdiction des vols de nuit, qui fait actuellement l’objet d’une étude socio-économique préalable, précise-t-il mardi.

“Des solutions concrètes sont à présent sur la table, conçues pour privilégier la qualité de vie et la santé des habitants, qu’ils soient flamands, wallons ou bruxellois, tout en permettant la durabilité des activités de l’aéroport”, estime le ministre. Il appelle chaque partie à ce dossier à maintenant suivre le plus rapidement la voie qu’il a proposée, “dans l’intérêt général des populations survolées et de la santé”.

 

Le ministre Maron abonde dans le sens du CSS

Le ministre bruxellois en charge de l’Environnement et de la Santé Alain Maron (Ecolo) a abondé mardi dans le sens des recommandations du Conseil supérieur de la Santé d’interdire les vols de nuit à Brussels Airport. A ses yeux, ce rapport “illustre une fois de plus combien il est important de trouver un meilleur équilibre entre d’une part l’environnement, la qualité de vie et la santé des Bruxellois et, d’autre part, les intérêts économiques de l’activité aérienne”.

Les conclusions sont “très claires”, rebondit Alain Maron. “L”activité aérienne a un impact négatif évident sur la santé d’un très grand nombre de personnes, victimes des pollutions qui en découlent.”

La position de recherche d’un meilleur équilibre est celle du ministre et de l’ensemble du gouvernement bruxellois depuis des années, souligne l’écologiste. “Il existe un “consensus bruxellois” autour de cette question, qui amène les communes comme la Région à demander au Fédéral et à la Région flamande d’agir, dans leurs compétences respectives, afin de diminuer rapidement les nuisances et les pollutions qui découlent de l’activité de l’aéroport.”

La Région bruxelloise continue, de son côté, à faire le maximum pour sanctionner le non-respect de ses propres normes de bruit, assure Alain Maron.

Avec Belga