L’éditorial de Fabrice Grosfilley : des explications
Dans son edito du mercredi 18 octobre, Fabrice Grosfilley revient sur la radicalisation et l’attentat à Bruxelles
Des explications. C’est ce qu’on est en droit d’attendre de la part des autorités après la mort de deux supporters suédois lundi soir dans les rues de Bruxelles, comment expliquer qu’une personne radicalisée ait pu passer entre les mailles du filet des services de sécurité. Demande d’asile en 2019, avis négatif du commissariat général aux réfugiés en octobre 2020, il faudra plusieurs mois avant qu’un ordre de quitter le territoire soit émis. Un ordre qui n’arrivera jamais à l’intéressé, l’adresse n’était pas la bonne (plus précisément, une adresse administrative, une boîte aux lettres mais pas la résidence de l’intéressé), et qui n’a visiblement pas non plus été transmis à la commune de Schaerbeek. Ne jouons pas les vierges effarouchées. Cette situation est probablement celle que vivent des centaines (plus vraisemblablement des milliers ou dizaines de milliers) de sans-papiers en Région Bruxelloise : disparaître sans laisser de traces quand on est en séjour illégal. À moins de se lancer dans un gigantesque traque des étrangers, de vérifier tout le monde à tous les coins de rues, de vivre dans un état policier que nous ne souhaitons certainement pas, c’est un problème insoluble, une situation qui ne concerne pas que Bruxelles, mais toutes les grandes villes européennes, et il faut accepter de vivre avec. Et il faut avoir aussi l’honnêteté de reconnaître que cette situation arrange beaucoup de monde. Parce que les personnes sans-papiers ne sont pas que les petites mains des activités mafieuses, délinquance, trafic de drogue, prostitution organisée… On les retrouve aussi dans le bâtiment, l’horeca, les entreprises de nettoyage.. De l’économie grise, qui profite à beaucoup, et sur laquelle on ferme gentiment les yeux.
Pourtant, dans le cas d’Abdesalem Laoussed il ne s’agit pas que de séjour illégal. Le pedigree de l’intéressé aurait dû alerter. Arrivé en Europe par l’île de Lampedusa, il se rend en Suède. Première demande du statut de réfugié en 2011, premier refus, et premiers actes de délinquance. En 2012 il est arrêté pour trafic de drogue (on a retrouvé sur lui 100 gramme de cocaïne.) Il est condamné à 2 ans de prison et expulsé en 2014 vers l’Italie. Les autorités italiennes pointent alors son radicalisme, il est fiché à partir de 2016. La même année, il passe en Belgique. Les informations des Italiens sont bien communiquées aux services belges. Mais elles ne sont pas considérées comme suffisamment étayées expliquait hier le ministre de la justice (à l’époque les candidats au djihad qui souhaitent partir en Syrie se comptent par centaines). Pourtant des soupçons de participation à un réseau de traitres humains existent (on l’envisage comme membre d’un réseau qui fait passer des migrants vers le royaume-uni-. Il menace sur Facebook un résident d’un centre Fedasil. Il est chassé d’une mosquée de Schaerbeek pour y avoir tenu des propos radicaux. Connu de la Sureté de l’Etat (les services secrets) Laoussed n’aurait pourtant jamais été auditionné. L’OCAM (Organe Central d’Analyse de la Menace) ne l’avait pas mis dans sa base donnée… Où figurent pourtant 700 autres personnes.
Tout cela pose question. Et les ministres responsables vont devoir y répondre, notamment devant le Parlement où les députés de l’opposition risquent d’être fort insistants. Aux cotés des ministres actuels, leurs prédécesseurs au moment des faits ainsi que les responsables des services concernés. De même qu’il va falloir éclaircir comme ce ressortissant tunisien qui n’est pas un enfant de chœur, a pu entrer en possession d’une arme à feu qui n’est pas un jouet pour enfant ( fusil d’assaut de conception américaine). Qui lui a procuré cet arme, était-elle depuis longtemps en sa possession, ce sont aussi des questions qui se posent. Avant de conclure à l’acte d’un loup solitaire il convient de faire la lumière sur les connections dont pouvait bénéficier Abdesalem Laoussed, ses moyens d’existence (d’où tirait-il ses revenus ?), les personnes qu’il fréquentait, les forums internet qu’il consultait, etc. Cela nous replace quelques années en arrière, après les attentats de Paris et Bruxelles, quand on découvrait que grand-banditisme et radicalisation pouvaient être étroitement liés. Nous sommes quelques années plus tard. Et on serait assez horrifié de constater que toutes les bonnes résolutions prises après les attentats aient fini par s’estomper. En partie pour des raisons budgétaires, et en partie aussi, parce qu’on a manqué de vigilance.
Fabrice Grosfilley