L’éditorial de Fabrice Grosfilley : Adil et le changement de paradigme

Les policiers impliqués dans la mort d’Adil seront-ils renvoyés devant la justice ? C’était l’enjeu des débats hier en chambre du conseil. D’un coté la famille d’Adil et ses avocats ainsi que la Ligue des droits humains. De l’autre, les policiers et leurs défenseurs. Pour rappel, Adil Charrot est ce jeune homme de 19 ans tué à l’issue d’une course-poursuite à Anderlecht en avril 2020. Pris en chasse alors qu’il circulait en scooter et que ses feux étaient éteints ont affirmé les policiers.

Deux voitures de police tentent d’intercepter le jeune homme. Il finira par heurter de plein fouet un troisième véhicule banalisé qui roulait en sens inverse le long du canal. Le décès du jeune Anderlechtois allait provoquer une nuit d’émeute.

Les policiers se sont-ils volontairement déportés pour bloquer le scooter, en prenant donc délibérément le risque de mettre en danger la sécurité du jeune homme pour le bloquer coûte que coûte ?  Ou s’agit ‘il d’un accident causé par un manque de visibilité puisqu’une camionnette circulait aussi le long du canal à ce moment-là ? C’est le débat qui oppose les deux parties. Dans le premier cas, les policiers auraient agi avec peu de discernement et de manière disproportionnée. Dans le second cas, c’est un simple accident de roulage.

Il est difficile de ne pas relier cette affaire à celle de Sabrina et Ouassim. Eux aussi, décédés à l’issue d’une course-poursuite avec la police. Eux aussi, pris en chasse par des policiers pour une infraction au code de la route. Et qui, eux aussi, ont perdu la vie en percutant un véhicule de police qui s’était mis en travers pour leur barrer le chemin. Il y a un mois, le 5 décembre les policiers incriminés ont été condamnés à des peines de prison, en partie avec sursis. Un choc dans les rangs de la police. La décision de justice a été fortement critiquée par certains syndicats de police et les agents concernés ont annoncé leur intention de faire appel. Cette condamnation a sonné comme un avertissement. Non, tout n’est pas permis parce qu’on porte un uniforme. Et oui la justice est indépendante, elle peut prononcer des condamnations qui vont à l’encontre de ce qu’espèrent les forces de l’ordre et même de ce que réclame le parquet. Pour rappel le parquet dans la justice, c’est celui qui mène les enquêtes et réclame des sanctions, mais celui qui décide en fin de procédure de la culpabilité et de la hauteur de la sanction après avoir entendu toutes les parties c’est le tribunal, pas le parquet.

Dans le cas de la mort d’Adil d’autres éléments sont venus s’ajouter ces derniers mois au dossier. Le premier rapport d’expertise a été mis en cause pour sa partialité comme l’a révélé une enquête du magazine investigation de la RTBF. Des images de vidéo-surveillance étaient manquantes, d’autres montraient un scooter au phare allumé.  Des accusations de racisme et de harcèlement ont également été émises à l’encontre de l’un des policiers incriminés par certains de ses collègues. Ce qui n’empêche pas évidement de respecter la présomption d’innocence. La vérité est que nous ne savons pas, nous, ce qui s’est réellement passé ce soir là. Ce que nous demandons à la justice c’est de nous le dire. De nous dire surtout s’il y a eu ou pas des actes répréhensibles posés par des membres des forces de l’ordre. Parmi ces actes répréhensibles, une possible disproportion des moyens engagés par rapport au fait reproché. Si les policiers savaient qui était sur le scooter, et si la raison de la poursuite est bien un phare non allumé, rien n’empêchait de lui adresser un PV.

Hier le procureur du Roi a demandé le non lieu pour les 4 policiers impliqués. Le parquet reste donc sur la position qu’il avait tenu dès le mois de novembre 2020, 4 mois après la mort d’Adil en estimant qu’il n’y avait pas d’infractions et recommandant le classement vertical. Les devoirs d’enquête réalisés depuis, la contre-expertise, les accusations de racisme ne l’ont pas fait changer d’avis. La décision que prendra finalement la chambre du conseil le 20 février est donc très attendue. Parce que ce que l’affaire Sabrina et Ouassim a finit par démontrer c’est qu’il ne peut pas y avoir d’impunité pour les policiers. Et que oui, finalement, les demandes du parquet ne sont pas toujours suivies. Et que l’idée que la justice protège les policiers, y-compris ceux d’entre eux qui se livrent à des actes de violence, cette idée délétère, qui fait tant de mal à la démocratie et aussi à l’image de la police et de la justice, cette idée peut être démentie.

La démonstration par des condamnations à l’appui que des policiers peuvent être sanctionnés quand c’est justifié ne fragilise pas la police ou son autorité. Elle fragilise ceux qui au sein de la police ont de mauvaises pratiques et la hiérarchie qui les couvre par complaisance ou méconnaissance. Dans une démocratie comme la notre, la police a le monopole de la force et de la contrainte. Elle doit les utiliser avec discernement. C’est ce que le juges ont rappelé lors de l’affaire Sabrina et Ouassim, permettant de retrouver un minimum de confiance dans un système vécu comme oppressant et injuste par tant de jeunes Bruxellois. C’est peut-être ce que la justice pourra rappeler encore, si elle estime que c’est nécessaire, dans l’affaire Adil.