L’édito de Fabrice Grosfilley : un blocage bruxellois ?

La majorité bruxelloise est-elle introuvable ? Le gouvernement bruxellois, qui dans le passé était l’un des premiers à se mettre en place, sera-t-il le dernier à pouvoir être installé ? C’est la question qu’on peut se poser après la journée d’hier. À l’évidence, il y a un fort contraste entre ce qui s’est passé à Bruxelles et ce qui est en train de se mettre en place à d’autres niveaux de pouvoir.

Commençons par ce qui se passe ailleurs pour mieux comprendre. Le résultat des élections est net, tranché, sans appel. C’est une immense victoire du Mouvement Réformateur au sud, et une domination réaffirmée de la N-VA au nord. Les électeurs belges ont donc mis le cap à droite. Le CDH, transformé en Engagés, a réussi son opération métamorphose. Le PS wallon et la famille écologiste dans son ensemble sont sanctionnés. En Wallonie, les choses sont donc particulièrement claires : le Mouvement Réformateur et les Engagés ont une majorité à eux deux, et peuvent donc lancer sans attendre des négociations pour un gouvernement wallon qui effectuera un véritable virage avec une politique de rupture. En Flandre, on se dirige vers une alliance N-VA, CD&V, Vooruit. Et au niveau fédéral, la possibilité d’avoir un gouvernement miroir, avec les partis de la majorité wallonne et ceux de la majorité flamande, est mathématiquement possible. Cela ne devrait donc pas prendre trop de temps, car tout le monde y a intérêt. Bart De Wever pourrait affirmer son leadership et devenir Premier Ministre, tandis que Georges-Louis Bouchez pourrait transformer sa victoire en coalition concrète et marquer les esprits.

Du point de vue des programmes, ces gouvernements orientés à droite seraient cohérents. Plus de rigueur budgétaire, donc des économies, une baisse de la fiscalité, une limitation des allocations de chômage dans le temps, et le maintien à terme de l’énergie nucléaire : ces partis ont beaucoup de choses en commun. Il y a deux bémols importants : savoir ce qu’on va faire dans les soins de santé. MR et N-VA veulent faire baisser la facture, tandis que CD&V, Engagés et Vooruit s’opposent à des économies dans ce domaine. Deuxième difficulté : une réforme de l’État. C’est au programme de la N-VA, mais les Engagés seront moins demandeurs. Côté flamand, on veut plus de pouvoirs aux régions, tandis que côté francophone, on est plutôt partisans de renforcer le fédéral. L’équilibre sera donc plus délicat à trouver sur cette question-là. L’accord n’est pas impossible, mais le contrat de mariage n’est pas encore tout à fait rédigé, cela prendra quelques semaines, sans doute une partie de l’été. Il n’est pas du tout impossible que ces gouvernements soient installés avant les élections communales du mois d’octobre, ce qui serait même une manière d’aborder ces communales avec une nouvelle positive pour les partis concernés.

À Bruxelles, la situation est complètement différente. Pour la simple et bonne raison que Réformateurs et Engagés n’ont pas la majorité. Ils en sont même assez loin :  à eux deux, ils n’ont que 28 députés, il en faut au moins 37 pour avoir la majorité dans le collège francophone du parlement bruxellois. Ce qui rend le Parti Socialiste et ses 16 sièges de députés difficilement contournable pour ne pas dire incontournable. La seule manière de se passer du PS serait d’associer MR-Engagés-DéFI et Ecolo. Une majorité à quatre partis donc, pas très confortable, et qui s’appuierait sur deux partis clairement sanctionnés par les électeurs : DéFI a perdu 4 sièges et Ecolo 8. Gouverner sans le PS à Bruxelles sera donc compliqué. Ce qui permet au PS de faire monter les enchères et d’indiquer que si on veut l’avoir à bord, il faudra le respecter et lui laisser une place substantielle. C’est le sens des propos d’Ahmed Laaouej sur notre antenne hier matin :” le PS sort gagnant et ne danse pas quand certain le sifflent” , ajoutant que Georges-Louis Bouchez compliquait le travail de David Leisterh par ses déclarations et que le PS n’abandonnera pas ses priorités.

Est-ce un blocage comme le notent certains journaux ce matin ? Peut-être, en tout cas dans un premier temps. Il est illusoire de penser que le PS et le MR puissent rapprocher leurs programmes en quelques jours. Ce n’est pas parce qu’ils sont d’accord pour remettre en cause le plan Good Move qu’ils peuvent accoucher d’un programme de gouvernement sur tout le reste. Sur la neutralité de l’État, sur l’endettement, sur le logement, sur la nécessité de construire des logements sociaux notamment, sur l’aménagement du territoire, sur la lutte contre les discriminations, les rouges et les bleus ne sont à peu près d’accord sur rien. Le discours de Georges-Louis Bouchez qui est d’appliquer une politique clairement à droite le plus rapidement possible se heurte donc à une impossibilité en région bruxelloise. David Leisterh, très prudent dans ses déclarations depuis 24 heures, va donc devoir prendre ses distances et démontrer qu’il peut faire preuve de tact et de diplomatie s’il veut pouvoir aboutir à un grand accord bruxellois.

Est-ce que les choses sont définitivement bloquées ? Peut-être pas. Et ce ne serait évidemment pas dans l’intérêt des Bruxellois : il faut un gouvernement régional et le plus vite sera le mieux. Mais le commentateur avisé doit garder le calendrier en tête : si les communales peuvent servir d’accélérateur en Wallonie, elles sont plutôt un obstacle pour les négociations bruxelloises. Le PS a tout intérêt à incarner une position de gauche ferme jusqu’à cette échéance. Le MR ne peut pas non plus brader sa victoire et consentir trop de concessions douloureuses. Le PS conserve en outre un atout dans sa manche : l’idée qu’une majorité progressiste, avec Ecolo et le PTB, est mathématiquement possible à Bruxelles. Tenter de la mettre sur pied, pour obliger Ecolo et surtout le PTB à se mouiller dans une négociation bruxelloise est une carte qu’Ahmed Laaouej pourra toujours jouer en cas de blocage avéré. Pas dans l’immédiat, car cela serait perçu comme un camouflet à l’électeur (le gagnant c’est le MR, ne l’oublions pas), mais la perception pourrait bien être différente après l’été. Il va donc falloir intégrer des temporalités très différentes. En Wallonie, les négociations pourraient ressembler à un 100 mètres. Au fédéral, ce sera un 400 mètres haies. À Bruxelles, ça risque d’être plutôt un 5000 mètres, voire, un marathon. Pour gagner un marathon, il vaut mieux ne pas partir trop vite.

Fabrice Grosfilley