L’édito de Fabrice Grosfilley : tombe la neige… et le blanc manteau
Comment parler d’autre chose que de la neige ? Des flocons, des bouchons, des voitures bloquées et des transports en commun à l’arrêt, les Hautes Fagnes qui se réjouissent de pouvoir ouvrir leurs pistes de ski. La neige à la radio, sur vos écrans de télévison, dans vos conversations. La neige jusqu’à l’overdose. Les éditions spéciales, les reporters en direct, les matchs de football reportés. Et comme si cela ne suffisait pas, quand vous rentrez chez vous le trottoir qu’il faut déblayer (c’est la responsabilité de chacun de le faire devant chez soi), les vêtements des enfants qu’il faut mettre à sécher, les anciens qu’il faut visiter, ou appeler, en s’assurant que tout va bien pour eux, qu’ils ne manquent de rien (en leur conseillant évidement d’attendre avant de s’aventurer de nouveau à l’extérieur).
Pouvons-nous parler d’autre chose que de la neige ? La question concerne notamment les journalistes. Nous avons quand même bien conscience que nos médias ne sont pas loin de la caricature tant la neige prend de la place dans nos bulletins d’informations. Comme si la terre s’était arrêtée de tourner, qu’il n y’ avait plus le moindre espace pour parler d’autre chose. Faire une édition spéciale avec présentateur sur le terrain au premier flocon est-ce raisonnable ? Oui, peut-être, si on veut marquer le coup. La neige est télégénique , c’est un paysage nouveau qui s’offre à nous et envahit nos écrans, de l’inhabituel qui nous fait écarquiller les yeux et booste l’audience. On sera plus dubitatif sur le vocabulaire lyrique des confrères… ah, ce “blanc manteau du général hiver” et autres envolées stylistique nous laissent parfois pantois. Ou sur la multiplication des reportages qui disent tous la même chose. La neige dans le Luxembourg. La neige en province de Namur. La neige dans le Hainaut. Le service d’épandage de Villers-le-Bouillet. L’impact de la neige sur le tourisme à Bastogne. La liste peut être très longue.
Soyons de bon compte, si les journalistes sont si enclins à vous parler de la neige, c’est quand même parce qu’elle ne tombe pas si souvent en Belgique, que sa présence modifie effectivement nos habitudes de vie. Hier soir dans Bruxelles, les temps de parcours des automobilistes étaient doublés, parfois triplés. On ne peut pas dire que “3 flocons ne changent pas la face du monde”, quand la neige tombe de manière ininterrompue de midi à 20 heures et met la circulation à l’arrêt. Et on connait plus d’un automobiliste qui pestait hier soir en accusant Bruxelles Mobilité ou les communes ne pas faire leur boulot correctement. “Si cela avait été moi aux commandes et non ces incompétents le camion de sel serait passé depuis longtemps.” Quand les Diables Rouges sont sur le terrain, il y a en Belgique 11 millions de sélectionneurs, quand la neige tombe, ce sont 11 millions de directeurs des services techniques qui émettent leurs recommandations. La nature est ainsi faite que la neige tombe parfois chez nous et que le belge ronchon va toujours chercher un bouc émissaire quand cela se produit.
Il y a pourtant une manière positive d’accueillir la neige. Celle d’ouvrir les yeux et d’en profiter. De se dire que Bruxelles est belle. Et qu’avec un revêtement blanc, notre ville est encore plus belle. Ce n’est pas seulement le changement de couleur qui nous émerveille, c’est aussi cette enveloppe qui arrondit tout, gomme les angles droits, donne de la rondeur et de l’épaisseur aux objets et aux batiments. La neige c’est aussi une ville plus silencieuse, des bruits atténués. Et la neige enfin c’est aussi la joie des enfants. La cour de récréation qui se transforme en bataille de boules de neige. Les bonhommes qui fleurissent çà et là. Les jeux de glissade, quand un bout de carton peut devenir la meilleure des luges.
Alors oui, on vous a beaucoup parlé de neige depuis hier. On vous avait prévenu qu’elle allait arriver. On vous a détaillé par le menu toutes les difficultés qu’elle allait entraîner. On vous a donné à voir les files de voitures, donné à entendre les automobilistes pris au piège. Il ne tient qu’à vous de changer de chaîne, ou de réseau social, ou même de fermer vos écrans. Et de savourer la neige. D’ouvrir des yeux d’enfants, de vivre l’instant. De le vivre d’autant plus intensément qu’on sait très bien qu’à Bruxelles, la neige, cela ne durera pas.