L’édito de Fabrice Grosfilley : renseigner pour prévenir
À quoi sert un service de renseignement ? Investir dans le renseignement nous permet-il de prévenir les attaques extérieures et notamment les attentats terroristes, qu’ils soient téléguidés de l’étranger ou fomentés depuis l’intérieur du pays, et parfois un peu des deux ? Ce sont les questions qu’on se posera sans doute en fin de journée après avoir entendu le témoignage des différents services de renseignements au procès des attentats du 22 mars.
Ces services de renseignements, il en existe trois en Belgique : les renseignements civils (la Sureté de l’État), les renseignements militaires (le SGRS), et l’OCAM, l’Organe Central d’Analyse de la Menace, qui reçoit les informations des deux premiers et analyse l’ensemble des données à sa disposition pour transmettre des recommandations aux autorités politiques et aux services de police (il est notamment responsable de l’indice de la menace, aujourd’hui fixé à 2 sur 4). Au Justitia, ce lundi, il devrait donc être question de conversations interceptées en prison par nos services de renseignement, en particulier à la prison de Bruges entre Mohamed Abrini et Mehdi Nemmouche, l’auteur de l’attentat de 2014 au Musée juif qui a recommandé à Abrini de se taire et de ne pas collaborer avec les enquêteurs. Ou encore des conversations entre Mohamed Abrini et Bilal El Makhoukhi sur le transfert de la cache d’armes du groupe terroriste. Ces conversations en prison ont évidement aiguillé les enquêteurs et permis d’avancer vers la vérité. Mais on parlera aussi, sans doute, des informations qu’avaient ou n’avaient pas les services de renseignements avant ces attentats. Où se trouvaient Salah Adbselam et Oussama Atar, avant les attentats de Bruxelles et de Paris, comment ont-ils pu passer entre les mailles du filet de surveillance et traverser l’Europe, qui était parti en Syrie, qui en était revenu, dans quel état d’esprit, qui était le chef de qui ? Toutes ces questions sur lesquelles les services de renseignement ainsi que la division antiterrorisme de la police judiciaire étaient censés recueillir des informations… qu’ils avaient donc parfois, mais pas toujours.
► Notre dossier sur le procès des attentats du 22 mars 2016
Cette journée va donc mettre un peu de lumière sur un élément capital dans la lutte contre le terrorisme : la qualité de l’information. L’information à l’extérieur de nos frontières, avec ce qui se passait en Syrie. Mais aussi sur ce qui se passe chez nous : ce qui se dit dans les prisons, dans les cafés, dans les réseaux de recrutement pour le djihad. Le boulot n’est pas simple. On a souvent l’image de l’espion à la James Bond lorsqu’on parle de renseignement. La réalité est sensiblement différente. Le renseignement, c’est avant tout un fastidieux travail d’écoute, de décryptage, de traduction… Un puzzle où on essaye de mettre ensemble des éléments qui, séparément, semblent anodins. Et évidement, dans ce dossier, les services belges ne travaillent pas seuls. Face à un terrorisme qui s’internationalise, les échanges entre services de renseignement sont évidement capitaux.
Ce matin, si on attire votre attention sur le travail des services de renseignement, c’est aussi pour indiquer que le terrorisme islamiste est loin d’être leur seule préoccupation. On l’a vu avec l’affaire Jürgen Conings que le terrorisme d’extrême-droite pouvait aussi être une menace en Belgique, avec des individus prêts à passer à l’action. On ajoutera les menaces de déstabilisation étrangère dans un climat géopolitique en pleine ébullition et la collecte d’informations au profit de puissances étrangères (on pense notamment à la Russie, avec la menace des hackers et des cyberattaques, sur nos hôpitaux ou d’autres cibles encore plus sensibles). Et on ne peut pas refermer cette chronique sans parler des narcotrafiquants présents à Anvers, mais aussi à Bruxelles, qui manipulent des sommes colossales, et dont les activités criminelles menacent de déstabiliser notre système judiciaire. On dit souvent que Bruxelles est un nid d’espions. Il y a espion et espion. Mais on a dans le passé, été surement un peu naïf, sur ce terrain, avec des services moins développés, moins financés, moins professionnels, que ceux de nos voisins. Que la Belgique soit à l’avenir mieux armée et plus autonome sur le terrain de l’espionnage et du contre-espionnage, c’est, en matière de sécurité, une obligation.
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Fabrice Grosfilley