L’édito de Fabrice Grosfilley : pour encadrer l’intelligence artificielle, il y a urgence
L’intelligence artificielle, c’est un peu comme la politique : si vous ne vous occupez pas d’elle, elle s’occupera de vous. En d’autres termes, il devient urgent de se pencher sur les effets que cette intelligence artificielle va produire dans nos vies quotidiennes. Son impact sur notre travail, sur notre accès à la connaissance, sur l’économie, sur la culture, sur la recherche scientifique, sur la programmation informatique, sur la production de l’information ou la circulation des savoirs. Ces effets sont si multiples qu’on ne les mesure pas encore très bien et ils peuvent nous donner le vertige.
Hier, le premier ministre britannique Rishi Sunak a annoncé que le Royaume-Uni organisera d’ici à la fin de l’année un sommet mondial sur la question. Objectif : réunir des chefs d’État et de gouvernement pour que les grands États se coordonnent et tentent d’aboutir à des projets de régulation. On parle même déjà d’y créer une agence mondiale de régulation de l’intelligence artificielle. Du côté européen, on est déjà en train de plancher sur la question. Des projets de règlements sont en cours d’élaboration au Parlement Européen. L’avancée la plus concrète serait d’obliger les entreprises à préciser quand l’IA a été utilisée, pour que vous sachiez demain si une image, une vidéo, un texte, a été produit par une machine ou par un être humain.
Cette mobilisation politique encore timide est indispensable. Nous allons effectivement avoir besoin de règles et de cadre. Et on mesure bien que plus le niveau sera élevé, plus le cadre aura une (petite) chance d’être respecté. Il serait illusoire de penser qu’on peut réguler l’usage de l’Intelligence Artificielle au niveau d’un État. Même le niveau européen nous semble faible : il suffit de voir ce qui se passe avec les réseaux sociaux pour comprendre que la technologie joue à saute frontière et que c’est un défi pour toutes les autorités de régulation du monde que d’arriver à faire appliquer des règles avec un minimum d’efficacité.
Il va falloir faire vite. La révolution de l’intelligence artificielle est déjà en marche. Ce sont les étudiants qui demandent aux machines de faire un travail à leur place. Des programmateurs informatiques qui sous-traitent l’écriture de ligne de codes. Des graphistes qui demandent à un logiciel de créer des images. En Suisse, une chaine de télévision a déjà confié la rédaction et la présentation de ses bulletins météo à une intelligence artificielle. Les nouvelles suites bureautiques de Microsoft ou autre vous proposent désormais de créer un PowerPoint à votre de place, d’écrire le résumé d’une réunion zoom à laquelle vous n’avez pas pu assister, tout cela grâce à des applications bureautiques classiques dans lesquelles on injecte une dose d’IA (on en débattait ici). Une intelligence artificielle également capable de rédiger n’importe quel courrier à votre place, de monter un dossier pour demander une subvention, rédiger une plaidoirie pour vous défendre au tribunal, voire d’écrire un journal à la place des journalistes (tant qu’on parle de mise en forme et qu’on lui fournit l’info de base en tout cas, car aller chercher l’info et la recouper c’est encore une autre histoire). Et on ne parle pas des applications miliaires où une intelligence artificielle pourra très rapidement piloter un avion de chasse, identifier des cibles, ouvrir le feu, se défendre…
Il y a moins d’un mois, un millier de chercheurs ont appelé à faire une pause de six mois dans le développement des IA (parmi eux figuraient notamment Elon Musk). Argument principal : nous, humains, risquons de perdre le contrôle et d’être rapidement submergés. Même le patron d’Open IA, la maison mère de chat GPT, reconnait qu’il y a de quoi être effrayé. Imposer un moratoire de six mois sur les développements et les recherches en cours permettrait de faire le point et laisserait un peu de temps aux décideurs politiques pour établir un cadre réglementaire. Six mois, c’est très court. Et il est fort probable que ce soit au final les règles du marché qui s’imposent, et que la puissance publique, arrive sur ce terrain-là comme sur d’autres, avec beaucoup, beaucoup de retard.
■ Édito de Fabrice Grosfilley dans la matinale Bonjour Bruxelles.