L’édito de Fabrice Grosfilley : poids des mots et choc des photos
Chaque matin, dans Bonjour Bruxelles, Fabrice Grosfilley vous donne son opinion à propos d’un sujet d’actualité. Retrouvez son édito de ce jeudi 18 mai.
Cela devait être difficile, ça l’est dans certains quartiers. La réforme du calendrier des sacs-poubelles est un moment délicat à passer. Il était prévisible que les citoyens ne sauraient pas toujours quel jour sortir leurs sacs. Qu’ils n’aient pas tous reçu l’information en temps et heure est regrettable. Que cela se traduise par des sacs en rue est une réalité. Est-ce que ce moment de flottement autorise toutes les outrances ? La réponse est évidement non. On voudrait donc rappeler au monde politique bruxellois qu’il est nécessaire de garder le sens de la mesure, de ne pas se ridiculiser en se laissant aller à des excès de langage et de pas transformer un problème sérieux en argument électoral de bas étage. La propreté en ville nous concerne tous, et c’est très irritant quand c’est notre domicile, notre rue, notre quartier, l’endroit où nous vivons, qui se transforme en dépotoir. Mais la problématique ne se résoudra pas à coup de petites phrases. Il ne faudrait pas que les sacs-poubelles qui sont sortis lorsqu’ils ne devraient pas soient masqués par la sortie des “il n’y a qu’à” et “il faut qu’on”.
Dans cette avalanche de réactions politiques qui encombrent les trottoirs du débat public depuis trois jours, il y a une sortie en particulier que l’on se doit d’épingler ce matin : celle des jeunes MR bruxellois qui sont allés déposer ce mercredi matin des sacs-poubelles devant le cabinet d’Alain Maron, ministre de tutelle de Bruxelles-Propreté. Des sacs qui n’avaient pas été ramassés par les éboueurs, affirment ces militants politiques qui y sont donc allés de leur bonne action en les ramenant devant les bureaux de celui qu’ils considèrent comme responsable de la situation. Petit mouvement symbolique comme on en voit souvent, pas de quoi fouetter un chat a priori. Sauf que, sur les photos, ces militants libéraux posent fièrement avec des pancartes de leur fabrication, l’instant a été immortalisé et les clichés repris sur le site de la DH.
Que disent-elles, ces pancartes ? Que Bruxelles doit être propre, OK. Stop à la pollution, on est tous d’accord. Mais aussi un slogan très politique (“Ecolo dehors”), et surtout, au centre de l’image : “Maron = déchet”. Une attaque très personnelle, d’une grande violence, qui ne fait pas que s’en prendre à un ministre, mais qui lui retire son humanité pour le ravaler au rang de détritus. Une exagération verbale qui n’est pas acceptable en démocratie. Elle l’est d’autant moins que les militants en question ne sont qu’une poignée, mais qu’ils sont clairement identifiables, et qu’ils sont déjà bien connus, puisque occupant des responsabilités partisanes aujourd’hui, que certains n’en sont pas à leur premier dérapage, et qu’ils seront demain, peut-être, appelés à prendre des responsabilités politiques au nom de la collectivité.
“Maron = déchet”, c’est une rhétorique digne de l’extrême-droite. Le genre de slogan employé dans des pays à des époques où le débat politique a dégénéré en affrontement physique, parfois même en persécution ou en génocide. Il y a ici une sérieuse dérive, un manque de respect de l’adversaire qu’on ne peut pas tolérer. Le Mouvement Réformateur est le premier à dénoncer Ecolo J (les jeunesses politiques d’Ecolo) quand cette organisation caricature Théo Francken en nazi… il serait donc cohérent que le MR ne permette pas à sa propre jeunesse politique de sombrer dans des excès comparables. Quand on utilise les codes et le langage de l’extrême-droite, on finit par ne plus en être très différent.
On pointera aussi une forme d’hypocrisie. La réforme des collectes a été élaborée en concertation avec la conférence des bourgmestres (dont on soulignera encore une fois qu’elle est un des principaux lieux de pouvoir en Région Bruxelloise). Évidemment, les 19 bourgmestres ne doivent pas tous être d’accord avec la réforme ou avec l’ensemble de ses modalités, cela relève de la responsabilité ministérielle, et ils ont tout à fait le droit de l’exprimer. Mais cela peut se faire sans recourir à l’insulte (c’est d’ailleurs le cas, les bourgmestres ne sont pas permis d’attaque personnelle). Parce qu’employer l’insulte et la violence, même symbolique, c’est prendre le risque de se rendre infréquentable. À 13 mois des élections (nous voterons le 9 juin 2024), les militants de tous les partis devraient réfléchir à ce qu’ils font, rester maîtres d’eux-mêmes (c’est utile lorsqu’on brigue un mandat) et se demander si assimiler un partenaire potentiel à un déchet est une bonne idée. Parce qu’on soulignera quand même que malgré la pancarte “Ecolo dehors”, le premier des libéraux bruxellois, David Leisterh, président de la régionale du Mouvement Réformateur, est membre d’une coalition communale à Watermael-Boitsfort avec un certain Olivier Deleuze. Stigmatiser violemment un parti ou ses élus avec qui on pourrait faire alliance demain n’est pas une manière très digne (et pas très neuve) de faire de la politique.
Fabrice Grosfilley
UPDATE (publié le 21/05) : depuis la parution de cet édito plusieurs internautes m’ont fait part sur les réseaux sociaux de leurs doutes sur mon interprétation de la photographie et les participants à ce rassemblement m’ont également contacté pour me dire que mon interprétation de leur pancarte était erronée. Ma première lecture, en toute bonne foi, est bien celle que j’ai indiquée dans cet éditorial. Et je pense que c’est celle qu’auront eu de nombreux lecteurs en ne passant qu’une fraction de seconde sur cette photo. En retournant voir les photos et en zoomant on peut effectivement avoir plusieurs lectures de cette pancarte.
Factuellement l’inscription est celle-ci : “Maron = +/t deche” . Les auteurs m’affirment avoir voulu écrire “Maron = + de déchets”. Dans ce cas il manque 4 lettres (le “de” et le “ts”). Je pense plus plausible qu’ils aient bien voulu écrire “Maron = déchet”, et que n’ayant pas eu la place de placer le T il l’ont remonté sur la ligne d’au dessus. Je reconnais donc que la pancarte est ambigüe. Ce qui est problématique, car dans une communication visuelle, en particulier en matière de politique, on adresse un message clair qui ne doit pas permettre l’interprétation. Dans la première hypothèse nous avons affaire à un auteur qui oublie 4 lettres (30% du message) et nous offre une maîtrise très approximative de la langue française, mais dont l’intention n’aurait pas été aussi négative que celle que je lui prête. Dans la seconde option, l’auteur n’est pas un habitué de la fabrication des pancartes et se révèle piètre graphiste mais son intention est bien celle que j’ai décodé au premier regard (impression renforcée par le slogan voisin “écolo dehors” qui créée un contexte de forte hostilité). Dans les deux cas de figure l’auteur de cette pancarte a fauté par un réel amateurisme.