L’édito de Fabrice Grosfilley : pas de compromis sur la LEZ ?

La prochaine phase de la zone de basse émission sera-t-elle reportée ? La réponse ne fait pas beaucoup de doute, ce sera oui. Mais sera-t-elle reportée pour tout le monde ou seulement pour les ménages les moins favorisés ? S’agira-t-il d’un report pur et simple, ou seulement d’une application douce et théorique, comprenez sans verbalisation ? Et ce report sera-t-il valable pour un an, pour deux ans ou pour dix ans ? Voici l‘éventail des possibilités dont débattront les députés bruxellois membres de la commission environnement aujourd’hui.

La dernière pièce au dossier est à mettre à l’actif du CD&V. Le parti social-chrétien néerlandophone, par la voix de Benjamin Dalle, a annoncé hier soir deux amendements. L’un pour un report d’une année seulement, et non pas de deux ans comme il en était question jusqu’ici. Le deuxième amendement porte sur une action de sensibilisation pour les propriétaires des véhicules concernés afin de s’assurer qu’ils aient bien conscience de la nécessité de changer de véhicule. Alors bien sûr, le CD&V, qui n’a qu’un seul député au parlement bruxellois, ne pèse pas lourd en théorie. Mais la proposition de Benjamin Dalle est intéressante parce qu’elle se présente comme une proposition de compromis. Entre les partis francophones, qui se sont mis d’accord pour un report, et Groen, qui considère que c’est un passage en force et ne veut pas en entendre parler, voici donc une voix médiane. On se rappellera par ailleurs que le CD&V a longtemps été courtisé comme un parti qui pourrait débloquer la négociation pour former un prochain gouvernement s’il acceptait de soutenir une majorité dans le collège néerlandophone. Ce n’est plus d’actualité aujourd’hui, mais cela pourrait à nouveau l’être dans quelques semaines. Ne pas balayer sa proposition de compromis d’un simple revers de la main serait lui envoyer un signal positif.

Autre ouverture relative, celle faite par Elke Van Den Brandt hier matin sur notre antenne. Elle se disait prête à soutenir une autre proposition médiane qui consisterait à accorder un report à seulement ceux qui sont dans l’incapacité financière de s’offrir un nouveau véhicule. La cheffe de file de Groen se rapproche en fait de la position de Vooruit, les coalisés néerlandophones, Ans Persoons et Pascal Smet, par exemple. Ceux-ci vont également déposer un amendement qui propose un report de deux ans, mais uniquement pour les bénéficiaires de l’intervention majorée, le statut BIM, qui permettrait de distinguer les ménages à faible revenu des autres. C’est là aussi une proposition de compromis qui est moins tranchée que la position MR-PS-Engagés. Une proposition de compromis qui peut malgré tout être discutable : est-ce que le statut BIM est le bon critère quand on parle de l’achat d’un véhicule, qui se chiffre en milliers d’euros pour une voiture d’occasion ou en dizaines de milliers d’euros pour un véhicule neuf, en particulier une voiture électrique ? Cela peut se débattre. Et pour une autre question, très juridique : peut-on introduire une réglementation à deux vitesses en fonction des revenus des citoyens, ou est-ce s’exposer à des recours ? La question n’est peut-être pas si simple.

On ajoutera à cet éventail des possibles la proposition du PTB, qui propose carrément un moratoire sur la zone de basse émission pour une période de dix ans. Moratoire qui aurait donc pour effet de laisser des véhicules très polluants dans les rues de Bruxelles dix ans de plus. À l’évidence, cette proposition ne recueillera pas la majorité.

La proposition des partis francophones engagés dans la négociation du futur gouvernement bruxellois, MR, PS, Engagés, a donc, elle, l’apparence de la simplicité et de l’efficacité. On reporte de deux ans, point. C’est probablement celle qui a le plus de chance d’être adoptée, car elle bénéficie à ce stade d’une large majorité. Même si là aussi, un changement de législation si près de la date d’application pourrait ouvrir la voie à des recours. Si on n’était pas pris par le temps, les parlementaires auraient d’ailleurs tout intérêt à consulter le Conseil d’État pour s’assurer de la solidité juridique des différentes propositions sur la table. Ce n’est sans doute pas ce qui se passera, puisque l’annonce de ce report a d’ores et déjà des allures de promesse, et qu’il serait délicat, très délicat de se déjuger à moins de trois semaines des élections communales. Il n’empêche que les propositions de compromis ont le mérite d’exister. Les étudier sérieusement serait un signal de décrispation, qui permettrait de ne pas s’enfermer dans un bras de fer francophone-néerlandophone. Cela montrerait aussi que les députés prennent le temps de légiférer, que ce temps-là a sa propre horloge, qui n’avance peut-être pas tout à fait au même tempo que celui des débats électoraux.

Fabrice Grosfilley