L’édito de Fabrice Grosfilley : pas dans mon jardin

“Pas dans mon jardin.” C’est la traduction française du phénomène Nimby (not in my backyard, littéralement jamais dans mon arrière-cour). Comprenez “ok, mais pas chez moi”. Une expression pour dire l’opposition à un projet qu’on juge d’intérêt collectif, mais qu’on ne veut pas voir arriver près de chez soi. Des éoliennes, pas près de chez moi, ça gâcherait la vue, un IPPJ, centre fermé pour jeunes délinquants, pas près de chez moi. Ils me font peur et ça ferait baisser le prix de ma maison, un incinérateur de déchets, pas près de chez moi, pour des raisons de santé, un immeuble à appartement, une cité sociale, pas près de chez moi, cela changerait le caractère résidentiel de mon quartier.

Ce weekend, nous avons donc eu une nouvelle illustration du phénomène Nimby, avec le célèbre Chant des Cailles. Petit rappel pour ceux qui sont parti sur mars ou qui était dans la lune avec Thomas Pesquet, le Chant des Cailles est ce terrain de Watermael-Boitsfort promis depuis longtemps à du logement, mais sur lequel se sont installés des activités d’agriculture urbaine. Des potagers, un pâturage pour les moutons. Le terrain fait l’objet depuis de longs mois d’une vive controverse entre le Logis Floréal, propriétaire du site, allié aux pouvoirs publics régionaux, qui veulent y construire du logement social, et l’association qui a obtenu par le biais d’une occupation temporaire le droit d’y mener des activités maraichères, et qui aimerait que le temporaire devienne définitif. Le débat de la friche Josaphat en format Watermael-Boitsfort. Des logements d’un côté parce qu’on en a besoin, le maintien des espaces verts de l’autre, parce que cela doit être une priorité environnementale et climatique, deux logiques qui s’affrontent et qui semblent difficilement conciliables, en tout cas tant qu’on exige qu’un terrain soit réservé à 100% pour l’une des deux activités.

Au Chant des Cailles, un troisième paramètre est venu court-circuiter ce débat qui était déjà bien électrique. La nécessité de loger les réfugiés ukrainiens. Le terrain est l’un de ceux retenus par la région pour installer des villages temporaires destinés à accueillir les familles ukrainiennes qui ont décidé de rester chez nous le temps que la guerre durera chez elles. À partir de demain, 15 préfabriqués seront donc installés sur le site.

Ce week-end, un collectif des amis du Chant des Cailles – ce n’est donc pas l’ASBL gestionnaire du projet en tant que telle, mais ceux qui la soutienne – s’est donc fendu d’un communiqué qui est une illustration parfaite du phénomène Nimby : “l’accueil des réfugiés ukrainiens est devenu un prétexte à la poursuite de projets immobiliers sur plusieurs sites naturels ou agricoles en Région bruxelloise. Un passage en force pour gagner coûte que coûte sur ce dossier symbolique, à des fins électoralistes. Et le collectif d’évoquer encore une manœuvre écœurante,” avec un chantier qui va “saccager” le terrain.

Réponse du camp d’en face : la décision d’installer ces logements modulaires a été prise par le gouvernement régional, avec Rudi Vervoort et Alain Maron en son sein, la décision est soutenue par le bourgmestre Olivier Deleuze, cela n’a rien d’opportuniste. Et un rappel du fond du dossier : le terrain appartient au logis floréal, qui a une vocation sociale. L’installation de ces préfabriqués est bien une réponse à une urgence sociale et elle permettra de loger à Watermael-Boitsfort 27 familles sur deux sites. Et on souligne que les préfabriqués n’ont rien de définitifs. L’installation doit être réversible et ne doit pas nécessiter d’abattre des arbres, a précisé le ministre-président devant le parlement, alors que le collectif estime le contraire et que le chantier nécessite des travaux de terrassement qui excluent tout retour en arrière, et que le temps qu’on les installe, l’utilité de ces logements modulaires aura disparu.

Cet épisode, on pourrait donc en sourire.  C’est même un cas d’école de la communication Nimby  “je suis pour accueillir les réfugiés ukrainiens, mais pas chez moi” nous explique en substance le collectif. Cela ressemble fort au célèbre “je suis ne pas raciste, mais…”. Je veux bien être solidaire, mais je ne veux pas qu’on touche à mon confort. “Pas dans mon jardin”, dans le langage de Watermael-Boitsfort, se traduit par “pas dans mon potager”. Avec une nuance supplémentaire que le partisan de l’agriculture oublie un peu vite. Le potager ne lui appartient pas en réalité. On lui en a laissé l’usage parce que le terrain était vide en attendant des travaux. Il a décidé de se l’approprier et ne voudrait surtout pas que quelqu’un d’autre vienne y mettre les pieds.

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Fabrice Grosfilley

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03 avril 2023 - 11h38
Modifié le 04 avril 2023 - 17h47