L’édito de Fabrice Grosfilley : l’utilité des pouvoirs de proximité
Un Edito signé Fabrice Grosfilley.
Y a-t-il trop de niveaux de pouvoir en région bruxelloise ? Serions-nous plus efficaces si nous supprimions les communes pour confier toutes leurs compétences à la Région ? Ce débat n’est pas nouveau : il refait périodiquement surface. Ces dernières semaines, il s’impose avec un peu plus de vigueur, notamment en raison de l’absence de gouvernement régional en bonne et due forme, ce qui alimente les critiques sur une supposée mauvaise gestion de Bruxelles.
C’est un débat nécessaire. Des ajustements sont probablement envisageables, et si l’objectif est de rendre les pouvoirs publics plus efficaces dans l’intérêt des citoyens, tout le monde y gagnera. En revanche, si l’idée consiste à renforcer son influence, à limiter celle du camp adverse, à réduire les coûts sans se soucier des conséquences sur les services publics, ou à appliquer des recettes soi-disant efficaces vues ailleurs sans vérifier leur pertinence pour Bruxelles, le résultat sera contre-productif.
Depuis longtemps, les partis néerlandophones de Bruxelles avancent deux mesures phares pour réformer la Région : la fusion des communes et celle des zones de police. Concernant la fusion des communes, peu de francophones y sont favorables. Une exception notable : Georges-Louis Bouchez, qui avait exprimé son accord de principe – peut-être sous le coup de l’énervement – lors d’une réunion avec les chefs de file des partis bruxellois fin décembre (je l’avais raconté ici). Quant à la fusion des zones de police, l’enthousiasme manque également côté francophone, bien que Maxime Prévot se soit déclaré favorable mardi matin au micro de BX1.
Ce vendredi matin, dans La Libre Belgique, quatre bourgmestres membres de son parti (Benoît Cerexhe à Woluwe-Saint-Pierre, Claire Vandevivere à Jette, Christian Lamouline à Berchem-Sainte-Agathe, et Jean-Paul Van Laethem à Ganshoren) prennent le contre-pied de leur président. Ils rappellent que les seules études réalisées sur ces questions montrent que ces fusions n’amélioreraient pas l’efficacité. Ils ajoutent que les négociateurs travaillant sur les accords de gouvernement ne posséderaient pas “une connaissance aussi fine des zones de police bruxelloises que les bourgmestres”. Ces derniers appellent donc les francophones à se mobiliser pour se faire entendre : “Touche pas à ma commune, touche pas à ma zone”, voilà leur mot d’ordre du jour.
Très régulièrement dans ce débat, on cite les exemples de Paris et d’Anvers. À Paris, il y a effectivement une mairie pour deux millions d’habitants, mais il faut y ajouter 20 mairies d’arrondissement. Même si la répartition des compétences diffère légèrement, ce modèle n’est pas si éloigné de notre système à 19 communes plus une Région. Si l’on voulait s’inspirer de Paris, il faudrait renforcer la Région sans nécessairement faire disparaître les 19 communes. À Anvers (400 000 habitants), la situation est similaire : Anvers est une commune, mais elle est divisée en 10 districts (Deurne, Hoboken, Wilrijk, etc.). Rappelons que la Région bruxelloise compte 1,2 million d’habitants, soit trois fois plus qu’Anvers, avec une histoire et une diversité incomparables. Anderlecht a peu en commun avec Evere ou Woluwe-Saint-Pierre. Saint-Josse ne ressemble pas à Watermael-Boitsfort. Ixelles, ce n’est pas Koekelberg.
Alors oui, on peut envisager des fusions à Bruxelles. Mais pourquoi ne propose-t-on pas de fusionner Jurbise avec Mons, Chaudfontaine avec Liège, ou Knokke avec Ostende ? Ces exemples illustrent une réalité préoccupante : l’idée que les Wallons et les Flamands sauraient mieux que les Bruxellois ce qu’il faudrait faire à Bruxelles. Que Georges-Louis Bouchez et Maxime Prévot commencent à embrasser cette idée est révélateur, même si on devine qu’ils envoient des signaux à leurs partenaires du fédéral.
Questionner le modèle bruxellois est légitime. Réfléchir à ce qui doit relever des communes ou de la Région est nécessaire. Mais prétendre qu’il suffirait de supprimer les communes ou d’avoir une seule zone de police, c’est risquer de perdre le contact qu’offre la proximité. On va voir son bourgmestre, un échevin, un président de CPAS ou un commissaire de police parce qu’on les connaît et qu’ils sont accessibles. C’est cela, la démocratie de terrain. Quand ces interlocuteurs sont éloignés, il faut passer par des filtres bureaucratiques pour espérer obtenir gain de cause. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, moins de proximité entraîne plus de bureaucratie. Méfions-nous des solutions qui paraissent trop simples.