L’édito de Fabrice Grosfilley : l’impuissance face à l’escalade

Nous sommes au bord d’une guerre totale. Ces mots sont ceux de Josep Borrell, le Haut Représentant de l’Union européenne pour les relations extérieures. Des mots qui claquent comme un cri d’alarme alors que les frappes israéliennes ont fait près de 500 morts, dont 35 enfants, hier au Liban. Le chef de la diplomatie européenne, qui tenait ces propos hier soir à New York en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, a donc appelé à un cessez-le-feu le long de la Ligne bleue, qui sépare le nord d’Israël du sud du Liban, où est implanté le Hezbollah.

La Ligne bleue est une sorte de démarcation, pas une véritable frontière, tracée par les Nations Unies après qu’Israël ait mis fin à son occupation du sud Liban entre 1982 et 2000. On ne parle pas de frontière, car son tracé est contesté par le Liban. C’est la FINUL, Force Intérimaire des Nations unies, qui est chargée de la surveiller .Pour Josep Borrell, C’est le moment de faire quelque chose. Tout le monde doit faire tout ce qu’il peut pour arrêter cela”, a-t-il dit, en reconnaissant l’échec des efforts diplomatiques jusqu’à présent pour mettre fin à la guerre à Gaza.

Ces propos de Josep Borrell sonnent comme une incantation. Mais ils révèlent aussi, en creux, l’impuissance des diplomates et l’inefficacité des appels à la retenue. Rien que dans la journée d’hier, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, s’est dit “très sérieusement inquiet” du nombre de victimes civiles le long de la Ligne bleue. Le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, a indiqué que son pays était fermement opposé aux “attaques aveugles contre des civils”, ajoutant que Pékin serait toujours aux côtés du Liban. L’Égypte et la France ont demandé une réunion d’urgence du Conseil de sécurité. Les États-Unis promettent d’avancer des “idées concrètes” pour faire baisser la tension.

Ce matin d’ailleurs, Joe Biden montera à la tribune des Nations unies. Ce sera son dernier discours en tant que président des États-Unis dans cette enceinte. On entendra aussi aujourd’hui le président turc Recep Tayyip Erdogan. Le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, s’exprimera jeudi, et le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, jeudi ou vendredi. Au-delà de toutes ces prises de parole solennelles et officielles, c’est évidemment en coulisses, dans les corridors, dans des salles de réunion à la porte bien fermée, que l’on tentera d’arracher des accords.

Ce matin, il faut bien dire que les chances de faire plier Benyamin Netanyahu et son gouvernement paraissent faibles. Pour des raisons de supériorité militaire, d’abord. On voit bien que le rapport de force est disproportionné et que l’occasion pour l’armée israélienne de marquer des points et de démanteler, en tout ou en partie, le Hezbollah, dans la foulée de la guerre menée contre le Hamas à Gaza, est une opportunité stratégique. Pour des raisons de politique intérieure, aussi. Benjamin Netanyahu doit la survie de sa majorité au soutien des partis d’extrême droite, et tant que les opérations militaires sont en cours, il échappe au risque d’un débat politique qui pourrait faire chuter son gouvernement. C’est une sorte de fuite en avant.

Après avoir rasé une partie de Gaza, Israël entreprend donc de recréer une sorte de zone tampon à la frontière libanaise. Et nous, depuis l’Europe, nous nous interrogeons sur la pertinence de cette stratégie. On peut tenter de repousser son ennemi toujours plus loin, il finira toujours par revenir. C’est comme si Israël faisait une croix sur tout espoir de paix, et se condamnait à vivre, à moyen ou  long terme, dans un état de guerre permanent, tout en faisant payer le prix aux populations civiles voisines. Plus de 40 000 Palestiniens ont été tués à Gaza depuis le 13 octobre, dont 17 000 “terroristes”, selon le vocabulaire des autorités israéliennes, ce qui signifie qu’un mort sur deux n’était pas un “terroriste”. Près de 500 Libanais ont été tués pour la seule journée d’hier. Le simple fait de donner ces chiffres se passe de tout commentaire.

Fabrice Grosfilley