L’édito de Fabrice Grosfilley : les voyages de Charles Michel
La contre-attaque est massive. À la télévision hier soir sur RTL, dans la presse écrite ce matin avec des entretiens au Soir, à la Libre Belgique, à Sudinfo, mais aussi au Standaard ou à l’hebdomadaire Moustique : Charles Michel a donc voulu marquer le coup et ratisser large. Non, les voyages du président du Conseil européen ne seraient pas des dépenses somptuaires et si leur coût a réellement augmenté ces dernières années et augmentent encore en 2023, c’est parce qu’il y a effectivement plus de missions qui sont nécessaires vu le contexte international, explique dans ces entretiens, le président du Conseil Européen. “Cela coûte plus cher qu’avant parce que la situation l’exige. (…) Il y a simplement la nécessité d’honorer une action internationale dans l’intérêt de l’Europe”, dit-il notamment dans le journal le Soir.
Cette histoire de voyages à l’étranger a commencé dans le journal spécialisé américain (plus précisément son édition européenne qui scrute les faits et gestes du microcosme politique européen) Politico. Elle a ensuite rebondi mardi dans le journal Le Monde, avec un grand article en page deux. Le budget voyage prévu pour l’an prochain (2024) pour Charles Michel et son équipe proche sera de 2,6 millions, une augmentation de 27%. En 2023, il devrait déjà frôler les deux millions, un tiers de plus que ce qui avait été prévu au budget initial.
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Si on compare à Donald Tusk, le prédécesseur de Charles Michel, c’est un poste qui a été multiplié par 4. Alors, bien sûr, Charles Michel ne manque pas d’arguments pour sa défense : l’inflation des prix, la nécessité de pouvoir s’isoler et avoir des conversations sensibles pendant qu’il est en déplacement, ce qu’on ne peut pas faire dans un Thalys ou un avion commercial, un emploi du temps surchargé où chaque minute compte, et un contexte international avec la guerre en Ukraine, qui implique de prendre de nombreux contacts. Il n’empêche, cette augmentation de son budget voyage fait désordre. Cela s’accompagne d’un gout marqué pour les déplacements en jet privés alors que l’Union Européenne essaye de se montrer vertueuse en matière de bilan carbone.
Le journal Le Monde a ainsi épinglé une série de déplacements aériens à Paris, Berlin, Strasbourg, des villes à portée de train ou de berline (surtout quand on dispose d’un gyrophare)… À chaque fois, c’est un jet de la compagnie Luxaviation qui est utilisé. Et comme le président du Conseil doit souvent aller à Strasbourg, l’addition monte rapidement. La palme du déplacement le plus onéreux étant un aller-retour en Chine pour rencontrer le président Xi Jinping : 460 000 euros en jet privé… alors que des vols en ligne commerciale auraient pu être possible.
Dans les interviews qu’il a donnés hier, Charles Michel justifie donc ces nombreux déplacements par le mandat qui lui a été donné. Et suggère à demi-mot que ces attaques personnelles visent en fait la place que l’Union Européenne entend jouer par son intermédiaire sur la scène internationale. “Je ne suis pas né de la dernière pluie“, dit-il au Soir, “je mesure bien qu’un rôle renforcé du Conseil sur le plan international, ça ne plaît pas à tout le monde. “Allusion à peine voilée aux États-Unis (il est vrai que Politico est un journal très américano-centré et conservateur). On peut aussi émettre l’hypothèse d’un règlement de compte entre têtes européennes. Tout le monde a en mémoire le fameux “sofa gate” (petit rappel vidéo ici). La concurrence entre Charles Michel, président du Conseil, et Ursula Von der Leyen, président de la Commission, pour incarner l’Europe est plus vive que jamais. “Je ne vais pas me laisser déstabiliser”, prévient Charles Michel. On notera juste, de notre côté, que sur le fond, Charles Michel ne reconnait pas d’erreur, ni sur le montant des budgets engagés, ni sur son recours massif aux jets privés. Et que riposter dans des journaux belges à des révélations qui viennent du Monde ou de Politico, ça fait peut-être un peu de bruit en Belgique, mais cela risque de ne pas dépasser nos frontières médiatiques et cela ne réglera pas le fond du problème.
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Fabrice Grosfilley